Le président de la République du Sénégal entame une tournée économique en Casamance, au sud du pays. Une région à la fois hautement symbolique et politiquement sensible, puisqu’elle est considérée comme le fief du Premier ministre Ousmane Sonko, avec lequel le chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, ne partagerait plus aujourd’hui la même vision de l’exercice du pouvoir.
Dans l’histoire politique du Sénégal, les tournées dites « économiques » ont rarement été dénuées de portée politique. Pour le journaliste et analyste politique Assane Sambe, les déplacements présidentiels dans les régions relèvent avant tout d’une tradition républicaine. Il s’agit, selon lui, d’une démarche normale consistant pour le chef de l’État à aller à la rencontre des populations, à écouter leurs préoccupations et à appréhender concrètement leurs réalités quotidiennes.
Toutefois, rappelle l’analyste, ces visites ont souvent été des moments de forte mobilisation politique. Les responsables locaux et les partisans du pouvoir cherchent généralement à offrir au président un accueil triomphal, dans une logique de démonstration de force et de loyauté. Cette surenchère était particulièrement visible à l’époque où le président cumulait les fonctions de chef de l’État et de chef de parti.
Or, souligne Assane Sambe, le contexte a profondément évolué. Le président Bassirou Diomaye Faye n’est pas chef de parti. Dès lors, l’organisation d’un accueil strictement partisan perd de sa pertinence et change la nature même de ces déplacements.
Le choix d’ouvrir cette tournée par la Casamance suscite néanmoins des interrogations. Pour l’analyste, cette décision est « doublement risquée ». D’une part, l’absence de statut de chef de parti rend difficile toute mobilisation politique classique. D’autre part, la Casamance demeure le bastion politique du Premier ministre Ousmane Sonko, désormais perçu comme un rival interne en raison de divergences de vues sur la conduite des affaires publiques.
La question centrale est donc de savoir si le chef de l’État souhaite maintenir un caractère strictement économique à cette visite ou s’il assume le risque d’un message politique implicite. En commençant par le fief de son Premier ministre, le président pourrait chercher à affirmer son autorité et à démontrer qu’il est un acteur politique à part entière, capable d’investir des territoires réputés acquis à d’autres figures. Une posture à fort enjeu politique, dont les intentions restent toutefois difficiles à décrypter.
Dans les faits, l’accueil sera assuré par les démembrements de l’État, les chefs religieux, les autorités traditionnelles, les associations et les forces vives locales. Tout indique donc que le président a fait le choix d’inscrire cette tournée dans une logique essentiellement économique et institutionnelle.
Assane Sambe insiste par ailleurs sur une dimension cruciale : la paix en Casamance. Au-delà des enjeux de développement, cette visite pourrait contribuer à l’apaisement des tensions, à la levée de certaines incompréhensions et à la consolidation durable de la paix dans une région longtemps marquée par le conflit. Dans ce contexte, le président aurait plus à gagner en s’attaquant aux problèmes structurels qu’en cherchant une démonstration de force politique.
L’analyste n’exclut toutefois pas que cette démarche soit perçue comme un défi symbolique lancé au Premier ministre sur son propre terrain. Un message implicite qui pourrait se résumer ainsi : « si je peux commencer ici, je peux le faire ailleurs ».
Enfin, interrogé sur l’éventualité d’une promotion politique autour d’une coalition « Diomaye Président », Assane Sambe se montre catégorique : non. Selon lui, le chef de l’État évitera une telle initiative, encore moins dans le fief d’un Premier ministre devenu adversaire politique. Par sens de la responsabilité et par pudeur politique, il s’en abstiendra, conscient que toute initiative de ce type lui en ferait porter seul les conséquences.
Alioune Sow







