Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye en avril 2024, l’État sénégalais a multiplié les Appels Publics à l’Épargne (APE) pour financer son agenda de développement et répondre aux besoins de trésorerie. Ces émissions obligataires domestiques, destinées à mobiliser l’épargne nationale, ont permis de lever plusieurs centaines de milliards de FCFA par opération, avec un total cumulé sur les sept premiers mois de 2025 estimé à 1 455 milliards de FCFA.
Selon le gouvernement, les fonds levés à travers les APE sont destinés à financer des projets stratégiques dans les secteurs clés : éducation, santé, énergies renouvelables, agriculture, numérique, logistique et aménagement du territoire. Toutefois, si les secteurs prioritaires sont clairement identifiés, le détail projet par projet reste incomplet, ce qui alimente la demande de transparence.
Une arme à double tranchant
Pour l’économiste et expert en planification stratégique Bachir Ndiaye, les APE sont un outil utile pour mobiliser rapidement des ressources internes.
« Ils témoignent de la confiance des investisseurs et permettent à l’État de financer des projets sans recourir strictement à l’endettement extérieur », explique-t-il.
Mais l’expert met également en garde sur les risques réels :
Augmentation de l’endettement public : avec une dette globale (publique + parapublique) estimée à 130 % du PIB, chaque nouvelle émission alourdit le service de la dette future.
Pression sur les finances publiques : une part croissante des recettes pourrait être consacrée au remboursement et aux intérêts, au détriment des dépenses sociales et d’investissement.
Risques de liquidité : si les recettes budgétaires n’augmentent pas suffisamment, l’État pourrait se retrouver en tension de trésorerie.
« Les APE ne sont pas dangereux en eux-mêmes, mais dans un contexte de dette élevée, ils doivent être utilisés avec prudence, transparence et une stratégie claire de soutenabilité budgétaire », conclut Bachir Ndiaye.
Les chiffres clés
Depuis avril 2024, le Sénégal a conduit plusieurs émissions APE significatives, parmi lesquelles :
Entre janvier et juillet 2025, l’État a réalisé 33 levées pour un total d’environ 1 455 milliards de FCFA (dont 1 068 milliards en OAT – Obligation Assimilable du Trésor – et 387 milliards en BAT – Bons Assimilables du Trésor) selon une note de marché (Société Générale / rapport de synthèse). Ce chiffre donne un ordre de grandeur des ressources internes mobilisées sur cette période.
Émissions notables : 150 milliards, 300 milliards, 300 milliards et 400 milliards de FCFA par tranches successives.
Ces opérations témoignent de la capacité de mobilisation de l’épargne intérieure et de l’intérêt des investisseurs pour les titres souverains sénégalais. Mais elles soulignent également l’enjeu de soutenabilité dans un contexte où la dette déjà élevée nécessite une stratégie prudente.
Transparence et gouvernance
Un des enjeux majeurs des APE réside dans la transparence : si le gouvernement communique sur les secteurs prioritaires, la ventilation détaillée des fonds projet par projet reste insuffisante. Les observateurs et les citoyens réclament une meilleure visibilité sur l’usage des ressources pour s’assurer de leur efficacité et de leur impact réel.
Bachir Ndiaye insiste : « Il est essentiel que l’État publie un suivi clair et détaillé de l’affectation des fonds, afin que les citoyens et les partenaires puissent juger de la pertinence et de l’efficacité des dépenses financées par les APE. »
Un levier stratégique à manier avec prudence
Les APE constituent un levier financier stratégique pour le Sénégal, permettant de mobiliser l’épargne nationale et de financer des projets prioritaires. Toutefois, leur utilisation doit être rigoureusement encadrée, surtout dans un contexte de dette élevée et de besoins croissants de financement social et infrastructurel.
Pour que ces instruments servent réellement le développement économique et social, il faudra combiner prudence dans l’endettement, transparence sur l’utilisation des fonds, et stratégie claire de soutenabilité budgétaire. Comme le rappelle Bachir Ndiaye, « les APE peuvent être un outil efficace, à condition de ne pas sacrifier la stabilité financière à court terme sur l’autel des besoins immédiats de financement ».







