L’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, se voulait une réponse souveraine et coordonnée aux défis sécuritaires de la région. En rupture avec la CEDEAO et en quête d’un nouveau modèle de coopération régionale, cette confédération militaire et politique affiche une unité de façade. Pourtant, derrière les discours d’harmonie, des tensions internes commencent à émerger, menaçant la cohésion de l’alliance.
Unité affichée, divergences réelles
La récente crise du carburant à Bamako, exacerbée par les pressions djihadistes, a mis en lumière les fragilités de l’AES. Si les trois États partagent la volonté de lutter contre le terrorisme et de s’émanciper des influences occidentales, leurs orientations géopolitiques divergent. Le Mali, sous Assimi Goïta, s’est rapproché de Moscou, adoptant une posture radicale. Le Burkina Faso et le Niger, bien que solidaires, entretiennent des relations plus nuancées avec des puissances comme la Turquie, la Chine ou l’Algérie. Ces différences pourraient engendrer des désaccords stratégiques sur la direction à prendre.
Une coordination militaire entravée
La mise en place d’une force de défense commune est en cours, mais la coordination reste difficile. Chaque pays conserve son autonomie militaire, et les menaces spécifiques auxquelles ils font face – insécurité, terrorisme, instabilité politique – compliquent l’élaboration d’une stratégie unifiée. Cette fragmentation opérationnelle pourrait freiner l’efficacité de la réponse sécuritaire.
Rivalités régionales et leadership disputé
L’AES cherche à s’imposer comme alternative à la CEDEAO et à l’Union africaine, mais cette ambition suscite des tensions. L’Algérie, accusée par Bamako de soutenir des groupes armés, héberge plusieurs opposants maliens, alimentant la méfiance. Par ailleurs, une compétition implicite pour le leadership de l’alliance semble se dessiner entre ses membres.
Des ambitions économiques fragiles
Le projet de monnaie unique, baptisé “Sahel”, illustre les ambitions économiques de l’AES. Mais sa mise en œuvre se heurte à de nombreux obstacles. Les trois pays utilisent encore le franc CFA, les rendant dépendants de l’UEMOA et de la BCEAO. Le Burkina Faso semble plus pressé que ses partenaires, ce qui pourrait créer des frictions sur le calendrier et les modalités de la réforme.
Transitions politiques à géométrie variable
Les trois États sont dirigés par des juntes militaires en transition vers des régimes civils. Le rythme et les orientations de ces transitions varient, fragilisant potentiellement l’unité politique de l’alliance. Si ces divergences ne sont pas maîtrisées, elles risquent de mettre à l’épreuve la cohésion de l’AES à moyen terme.
Une lutte antiterroriste en question
Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger, réunis au sein de l’AES, avaient promis de vaincre le terrorisme. Pourtant, selon l’organisation Acled (Armed Conflict Location and Event Data), les attaques djihadistes ont triplé entre 2019 et 2024, avec 28 000 incidents recensés en presque six ans.
L’AES se trouve à la croisée des chemins. Si elle incarne une volonté de rupture et d’autodétermination, elle doit faire face à des défis internes majeurs. Pour survivre et prospérer, l’alliance devra dépasser ses divergences, harmoniser ses stratégies et construire une vision commune. Faute de quoi, ce qui semble aujourd’hui une eau dans le gaz pourrait bien se transformer en rupture.
B.B






