Sur les routes poussiéreuses du nord ivoirien, des hommes ordinaires accomplissent un acte extraordinaire : acheminer du carburant vers le Mali, au péril de leur vie. Depuis que le groupe jihadiste JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), affilié à Al-Qaïda, a décrété un blocus sur les camions-citernes, chaque trajet est devenu une mission suicidaire.
“On ne sait jamais si on rentrera vivant”, confie Baba, 30 ans, le regard vide, maillot de Manchester United sur les épaules.
Un blocus jihadiste pour étouffer Bamako
Depuis deux mois, les jihadistes ont intensifié leur stratégie de “jihad économique”, incendiant des centaines de camions en provenance d’Abidjan ou de Dakar. Objectif : asphyxier Bamako, affaiblir la junte militaire au pouvoir, et gagner le soutien populaire en exploitant les pénuries.
“Le JNIM cherche à montrer l’incapacité du gouvernement à protéger ses citoyens”, analyse Bakary Sambe, du Timbuktu Institute.
Patriotisme, peur et précarité
Malgré les risques, des dizaines de chauffeurs continuent de rouler. Par patriotisme, par nécessité financière, ou par courage. Mamadou Diallo, 55 ans, parle de “bonne cause”. D’autres évoquent leurs familles, qui redoutent chaque départ.
Mais derrière cette bravoure se cache une réalité sociale brutale : pas de contrat, pas d’assurance, pas de retraite. “Si tu meurs, c’est fini. Après ton enterrement, on t’oublie”, déplore Bablen Sacko, chauffeur ivoirien.
Des convois sous escorte, mais toujours vulnérables
Les camions se chargent à Yamoussoukro ou Abidjan, puis empruntent les corridors de Tengréla ou Pogo. Des escortes militaires prennent le relais côté malien, mais même elles ne garantissent pas la sécurité. Les axes Kadiana-Kolondiéba et Loulouni-Sikasso sont devenus des zones de mort.
“J’ai vu des jihadistes brûler deux camions. Les chauffeurs sont morts. J’étais juste derrière”, raconte Moussa, 38 ans.
Un carburant devenu symbole de sacrifice
Le Premier ministre malien Abdoulaye Maïga a qualifié ce carburant de “sang humain”, en hommage aux chauffeurs et militaires tués sur les routes. Une reconnaissance qui contraste avec l’absence de protection sociale pour ces héros silencieux.
“Chacun a un rôle dans la construction du pays. Le nôtre, c’est d’approvisionner le Mali”, affirme Bablen Sacko.
Un avenir incertain
Face à l’insécurité, certains transporteurs ivoiriens ont immobilisé leurs flottes. D’autres refusent désormais les trajets vers le Mali. Et pendant ce temps, Bamako continue de tourner, alimentée par le courage de quelques-uns.
“Si les camions s’arrêtent, c’est tout un pays qui s’éteint”, résume Sidiki Dembélé, entre deux bouchées de riz.
B.B






