L’agence de notation Moody’s Ratings a rétrogradé la note souveraine du Sénégal de B3 à Caa1. Un coup dur pour la crédibilité financière du pays, au moment même où le gouvernement affiche 13 000 milliards F CFA d’engagements d’investissement. Dans cet entretien exclusif, le docteur Serigne Moussa Dia, économiste et enseignant-chercheur, décrypte les raisons de cette dégradation, ses conséquences et les leviers pour restaurer la confiance.
Une sanction qui interroge la trajectoire budgétaire : une dette qui continue de croître
L’annonce de Moody’s n’est pas tombée du ciel. Selon Serigne Moussa Dia, plusieurs signaux d’alerte étaient déjà visibles.
« Le Sénégal continue à s’endetter et les efforts d’épuration de la dette antérieure sont insuffisants », explique-t-il. « Cela fait mécaniquement grimper le ratio dette/PIB, une tendance qui inquiète les investisseurs. »
Malgré un léger recul du déficit budgétaire en proportion du PIB, celui-ci augmente en valeur absolue. En clair, l’État dépense toujours plus qu’il ne génère.
Quand la note baisse, le coût de la dette s’envole : des emprunts plus chers et plus rares
« Chaque fois que la note d’un pays se déprécie, le taux d’intérêt appliqué à ses obligations d’État grimpe. Cela signifie que le Sénégal devra payer plus cher pour emprunter », avertit l’économiste.
Cependant, nuance-t-il, tout n’est pas perdu :
« Le Sénégal s’appuie de plus en plus sur des financements endogènes, comme le montre le dernier plan de redressement, financé à 90 % par des ressources internes. »
Les 13 000 milliards F CFA d’investissements : mirage ou opportunité ?
Des promesses à manier avec prudence
Lors du Forum FII Sénégal, le pays a décroché des promesses d’investissements colossales. Mais cette manne dépendra des conditions contractuelles.
« Si ces engagements sont indexés sur les taux du marché, c’est défavorable au Sénégal. En revanche, si les taux sont fixés entre États, l’impact sera limité. »
L’économiste met en garde contre les erreurs du passé : « Le Sénégal a souffert, dans les années 1990, de dettes à taux variables. Il faut éviter ce piège. »
La confiance, pierre angulaire de la solvabilité
Pour le Dr Dia, la clé réside dans la capacité à générer des ressources domestiques.
« La véritable interrogation est là : le Sénégal a-t-il les revenus suffisants pour faire face à ses engagements ? »
Les premiers trimestres de 2025 montrent une faiblesse : les infrastructures existantes ne produisent pas encore de revenus suffisants. L’économiste salue néanmoins la création d’un ministère des Infrastructures, symbole d’une volonté politique de mieux planifier les investissements structurants.
Des réformes structurelles en marche
Le gouvernement a engagé plusieurs chantiers. Il s’agit notamment de la révision du code des investissements, de la refonte du code des impôts et des douanes, et de l’adoption d’un code de bonne gouvernance.
« Ces réformes peuvent attirer la confiance des bailleurs, à condition qu’elles s’accompagnent d’une gestion rigoureuse », insiste Serigne Moussa Dia.
L’enjeu du pétrole et du gaz
L’exploitation prochaine du gaz naturel et du pétrole pourrait bouleverser la structure économique du pays. Mais l’économiste prévient :
« les ressources naturelles ne garantissent pas la prospérité. Seule une gestion transparente et tournée vers la productivité nationale peut créer un effet d’entraînement durable. »
Une crédibilité à reconstruire
La notation demeure un miroir de la gouvernance. La décision de Moody’s ne doit pas être perçue comme une sanction, mais comme un signal. Elle invite le Sénégal à renforcer sa discipline budgétaire et à prouver sa capacité à financer son développement par lui-même.
« La confiance, en économie comme en politique, ne se décrète pas : elle se construit, pas à pas, par la performance et la transparence », conclut le Dr Dia.