À quelques heures du scrutin présidentiel prévu ce dimanche 12 octobre, le Cameroun connaît une campagne électorale inédite, marquée par l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) à des fins de désinformation.
Des images truquées circulent massivement sur les réseaux sociaux, montrant des candidats devant des foules artificiellement gonflées. Une pratique qui alimente les inquiétudes sur l’intégrité du processus démocratique.
Des foules inventées de toutes pièces
Tout est parti d’une photo montrant Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF), en meeting à Yagoua, dans le nord du pays. L’image, largement partagée, semble représenter une foule compacte venue l’acclamer. Mais en y regardant de plus près, plusieurs visages apparaissent en double, des détails flous trahissent une retouche, et un logo de l’assistant IA de Google, Gemini, est visible en arrière-plan.
La journaliste Annie Payep, qui a reçu ces images via WhatsApp, a rapidement alerté :
« J’ai trouvé les images bizarres. En les examinant de plus près, j’ai compris qu’elles avaient été générées par une intelligence artificielle », confie-t-elle.
Une analyse de l’AFP a confirmé ses soupçons, détectant plusieurs anomalies caractéristiques d’images synthétiques. Le SDF a d’abord nié toute implication, dénonçant une tentative de manipulation orchestrée par des adversaires politiques, avant que plusieurs captures d’écran ne viennent renforcer la version de la journaliste.
Une tendance qui se généralise
Le SDF n’est pas un cas isolé. Le Mouvement patriotique pour la prospérité du peuple (MP3) a lui aussi été épinglé pour avoir publié une photo truquée de son candidat, Hiram Iyodi, présenté dans un marché populaire. Les internautes ont rapidement relevé des duplications de visages et des incohérences visuelles.
Sur X (anciennement Twitter), la porte-parole du candidat a assumé cet usage :
« Je ne vais pas m’excuser de vivre dans mon temps », a-t-elle écrit.
Même le président sortant Paul Biya, 92 ans, au pouvoir depuis 43 ans, n’échappe pas à la polémique. Une vidéo de campagne diffusée en ligne contient, elle aussi, des séquences générées par IA, provoquant moqueries et critiques sur les réseaux sociaux.
Une stratégie à double tranchant
Pour Destiny Tchehouali, professeur en communication à l’Université du Québec à Montréal, cette évolution marque un tournant :
« La désinformation intentionnelle n’est plus le fait de simples militants, mais d’équipes de campagne officielles. »
Objectif : créer une illusion de popularité, séduire les indécis et occuper l’espace médiatique à moindre coût.
Mais la stratégie pourrait se retourner contre ses auteurs. Les jeunes internautes, rompus aux outils numériques, détectent rapidement les trucages.
« Ces images très artisanales finissent par discréditer les candidats », estime le politologue Moussa Njoya.
Un cadre légal dépassé
Face à cette vague de désinformation, le Cameroun reste dépourvu de véritable arsenal juridique. Les lois existantes contre les discours haineux ou les contenus manipulés sont rarement appliquées, faute de moyens techniques pour identifier les auteurs. Quant aux images générées par IA destinées à embellir la réalité, aucune législation ne les encadre.
Pour Tchehouali, il y a urgence :
« Les autorités électorales doivent mettre en place des mécanismes de vérification et de régulation. Sinon, c’est la confiance des citoyens dans le processus démocratique qui est en jeu. »
B.B