Les Centrafricains sont appelés aux urnes le 28 décembre 2025 pour renouveler l’ensemble de leur personnel politique dans le cadre d’un quadruple scrutin inédit, comprenant l’élection présidentielle, les législatives, les régionales et les municipales. Le dépôt des candidatures pour l’ensemble des scrutins est ouvert du 2 au 11 octobre, selon l »Autorité nationale des élections (ANE). Le chef de l’État sortant, Faustin-Archange Touadéra a déposé sa candidature en premier, et il est enregistré comme candidat n°1 par l’ANE. Les autres candidats de l’opposition brandissent la menace de boycott.
Fait rare depuis de nombreuses années, les électeurs seront donc appelés à désigner non seulement le
président de la République, mais aussi les députés et les conseillers municipaux. Une étape importante aura ainsi été franchie dans la reconstruction d’un État longtemps classé au rang des « États faillis ».
La RCA, victime de ses ressources naturelles
La République centrafricaine, à l’instar de l’ex-Zaïre devenu République démocratique du Congo (le 29 mai 1997), fait partie de ces États qu’une formule consacrée considère comme victimes de la « malédiction des ressources naturelles ». La RCA est l’exemple emblématique de ces pays immensément riches, mais dans lesquels vivent des populations immensément pauvres. S’agissant de la RCA, le scandale est d’autant plus déroutant que ce pays est très faiblement peuplé : moins de 6 millions d’habitants pour une superficie de 623 000 km 2 . Selon les indicateurs de la Banque mondiale,
470 indices miniers ont été répertoriés en République centrafricaine, notamment l’or, le diamant, le pétrole, en plus des immenses richesses de son sol, sans oublier sa flore, sa faune, sa biodiversité – qui est l’une des plus foisonnantes des forêts du bassin du Congo. Mais le pays occupe le 191 e rang sur 193, selon l’indice du développement humain. Depuis son accession à l’indépendance en 1960 et la
mort tragique de son président panafricaniste Barthélemy Boganda (le 23 mars 1959 dans un accident d’avion mystérieux qui ne laisse aucun survivant), les citoyens de la RCA n’ont jamais décidé de leur avenir collectif. Depuis le coup d’État qui a porté au pouvoir un ancien sergent de l’armée
française d’Indochine, qui devint quelques années plus tard le très fantasque empereur Jean Bedel Bokassa (il accède ainsi au pouvoir le soir du 31 décembre 1965 et devient officiellement le 2e président de la République centrafricaine le lendemain), jusqu’à l’élection en 2016 de Faustin-Archange Touadéra, la RCA navigue d’instabilités et de crises politico-militaires à d’autres.
Espoirs déçus
Cependant, l’élection du Pr Faustin-Archange Touadéra a semblé inaugurer une ère politique nouvelle, celle d’une refondation véritable de l’État et de la société centrafricaine, au moins pour deux raisons. Le Pr Touadéra n’était pas, d’une part, un habitué du marigot politique centrafricain. Et, d’autre part, ce
professeur d’université, mathématicien de formation, était davantage connu dans les amphithéâtres.
L’actuel chef de l’État centrafricain était donc le symbole d’un renouvellement de la classe politique de
son pays. Mais la République centrafricaine que dirige depuis 2016 Faustin-Archange Touadéra se rendra-t-elle aux urnes dans un état meilleur que son pays ne l’était au moment de son accession au pouvoir ?
Il faut d’emblée reconnaître que, pour s’être maintenu au pouvoir durant 9 ans sans que les nombreux
groupes armés qui essaiment dans le pays entrent dans la capitale, Bangui, c’est la preuve que, sans
avoir pacifié l’ensemble du territoire national, le président Touadéra a tout au moins remporté le pari
d’une certaine stabilité et d’un relatif assainissement de la filière du commerce des pierres précieuses. Une note récente du think tank Institut d’études de sécurité, intitulée République centrafricaine. Une
stabilisation toujours précaire, ne manque pas de le reconnaître : « En 2024, les autorités centrafricaines
ont enregistré deux victoires diplomatiques majeures avec la levée de l’embargo sur les armes à destination des Forces armées centrafricaines (FACA) par le Conseil de sécurité, le 30 juillet, et la fin de
l’interdiction d’exportation des diamants par le Processus de Kimberley, le 15 novembre, laissant
penser que les plaies ouvertes par la crise de 2013 commencent à cicatriser. »
Cette embellie sur le front de la gouvernance et de la sécurité ne s’observe cependant pas sur le terrain du respect des institutions et de l’inclusion politique. Durant le mandat en cours du président Touadéra,
comme c’est de mode pour nombre de ses pairs d’Afrique subsaharienne francophone, le chef de l’État
actuel n’a pas résisté à la tentation de modifier la constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats, compromettant ainsi gravement les possibilités d’alternance au sommet de l’État. La présidente de la Cour constitutionnelle, Danièle Darlan, ne sera pas reconduite à son poste, pour avoir
opposé des arguments de droit à une démarche qu’elle jugeait anticonstitutionnelle. Elle sera démise de ses fonctions, selon les termes d'un décret rendu public le 25 octobre 2022.
Vieux démons de l’ivoirité
Dans la même dynamique de rétrécissement des libertés démocratiques, les conditions d’éligibilité à la
présidence de la République semblent emprunter aux vieux démons mortifères de l’ivoirité, en excluant
implicitement et de fait certains candidats. Les demandes insistantes de l’opposition pour un dialogue
politique avant la tenue des élections générales de décembre prochain ont jusqu’à présent reçu de la part du président Touadéra une fin de non-recevoir. Ces indicateurs ne sont pas de nature à donner des gages de sérénité et d’apaisement.
La loi de la jungle
La sécurisation du pays évoquée précédemment, même si des avancées en ce sens sont réelles, est loin
d’être optimale. Comme le souligne à juste titre la note de l’ISS, les groupes armés ont été repoussés et cantonnés à la périphérie du pays, mais sont actifs dans des zones de non-droit où ils font prévaloir la loi
de la jungle. Le régime en place à Bangui demeure sous l’entière dépendance des paramilitaires russes de l’Africa Corps (ex-Wagner), dont les activités prédatrices dans certaines régions minières de RCA
sont légion. Ce contexte sécuritaire délétère, auquel s’ajoute une scène politique toujours en quête d’apaisement, autorise à se demander si la RCA, à l’issue des scrutins prochains, fera un pas en avant décisif vers la consolidation de l’État de droit et de son processus démocratique.
Éric Topona, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn
(Allemagne)