Il est devenu une véritable menace pour la junte au pouvoir en Guinée. Le journaliste d’investigation, Mamadou Babila Keita, s’est distingué par son travail sans relâche sur la corruption et la gouvernance dans le pays. Absent du territoire national pour des raisons de sécurité, clame-t-il, il est quand bien même présent dans le champ politique. Moyen ? Internet. Ses lives accablent le pouvoir en place. Après avoir été menacé puis traqué en vain, c’est finalement son père qui a été enlevé à Nzérékoré par des inconnus. Mais qui est ce journaliste qui veut mettre à genou le régime de Mamadi Doumbouya ?
Un parcours fait d’engagement
La corruption Guinée, un sujet qui est devenu son cheval de bataille. Ce soldat de la plume lève le voile sur les zones d’ombre qui minent l’économie de son pays. Mamoudou Babila Keita est un journaliste d’investigation : cela dérange ! En tant qu’administrateur du site d’information Inquisiteur.net et journaliste à Hadafo média, il a mené plusieurs enquêtes, notamment sur les marchés publics et la gestion des ressources de l’État.
Son investigation la plus notable, publiée en 2024 sur des allégations de corruption au ministère de la Justice, lui a valu des poursuites judiciaires, une condamnation pour diffamation et une suspension de six mois par la Haute Autorité de la Communication (HAC).
Suite à une tentative d’arrestation à Kankan en juillet 2024, à laquelle il a échappé de justesse, il a été contraint de fuir le pays, illustrant les risques auxquels font face les journalistes d’investigation en Guinée. Mamoudou Babila Keita est particulièrement connu pour sa critique virulente du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) et sa remise en question des motivations réelles du coup d’État du 5 septembre 2021, maintenant son engagement pour la transparence et la démocratie malgré les menaces et les persécutions.
Accusations, procès, condamnation…
En 2024, Mamoudou Babila Keita publie une enquête intitulée « Parfum de corruption au ministère de la Justice » qui va déclencher une série de poursuites judiciaires. Dans cette investigation, il met en lumière des irrégularités présumées dans l’attribution de marchés publics, notamment concernant quatre entreprises dont il affirme que certaines ne sont pas enregistrées auprès des autorités compétentes (APIP, services fiscaux).
Cette publication conduit à deux actions en justice distinctes initiées par l’ancien ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright. La première, devant le tribunal de Mafanco, porte sur des accusations de diffamation. La seconde, devant le tribunal de Kaloum, porte sur ses allégations de complicité dans des faits d’injures, de chantage, de menaces et de harcèlement moral.
Le 20 juin 2024, Mamoudou Babila Keita comparaît devant le tribunal correctionnel de Mafanco. Il est reconnu coupable de diffamation et condamné à une amende de 3 millions de francs guinéens. Le tribunal ordonne également la suppression de l’article incriminé dans un délai de 5 jours et la publication de la décision judiciaire dans un journal choisi par le plaignant.
Parallèlement à ces procédures judiciaires, la Haute Autorité de la Communication (HAC) suspend Mamoudou Babila Keita et son site Inquisiteur.net pour une durée de 6 mois, arguant que le journaliste n’a pas pu apporter les preuves des accusations de corruption.
Le père pour le fils
Traqué depuis des mois, Mamoudou Babila Keita réussit toujours à échapper aux autorités guinéennes. Alors qu’il est en exil dans un pays encore inconnu, c’est son père qui est arrêté. Dans une vidéo devenue virale, il raconte, en pleurs : « Je suis au regret de vous annoncer que mon papa a été enlevé ce matin dans ma famille à Nzérékoré, par des inconnus ».
Contexte. Son père, El Hadj Adama Keita, un commerçant de 75 ans, faisait ses ablutions dans la concession familiale et s’apprêtait à se rendre à la mosquée pour la prière de l’aube quand il a été entraîné de force par des inconnus dans « un véhicule administratif Toyota Prado », qui a ensuite démarré en trombe.
Mamoudou Babila Keita, dont la famille reçoit des menaces depuis plusieurs jours, en appelle désormais aux Nations unies, mais refuse de baisser les bras : « Mon père, où qu’il soit aujourd’hui, est fier de moi, je pense. Dans ma vie, tout ce qu’il m’a interdit, c’est de m’aligner au mensonge. » Le journaliste est prêt à sacrifier sa vie pour ses convictions, qu’il garde intactes : « Peu importe ce qu’il va se passer, je préfère mourir sur la voie de la dignité en étant debout que de vivre à genoux dans l’indignité. »