Malgré l’appel au boycott du référendum du 21 septembre, le « oui » l’a emporté largement en Guinée, ouvrant la voie à l’adoption de nouvelles dispositions constitutionnelles sous l’ère du général Mamadi Doumbouya. Mais pour l’écrivain guinéen Thierno Monenembo, critique reconnu de la junte militaire, ce résultat est avant tout la réponse craintive d’un peuple face à une répression qui ne dit pas son nom depuis l’arrivée au pouvoir du chef de la transition.
LNA : Thierno Monenembo, vous avez qualifié de mascarade le scrutin du 21 septembre dernier. Pourquoi ce qualificatif ?
Je ne trouve pas d’autres mots pour qualifier cette élection. Le terme « mascarade » est même approprié pour désigner toutes les élections qui se sont succédé en Guinée depuis l’indépendance. C’est triste à dire, mais la dernière véritable élection libre remonte à 1958. Chez nous, le trucage électoral est une constante. Tout le monde sait que Mamadi Doumbouya a mobilisé toute l’administration, y compris ses ministres. Il a amadoué la population en distribuant de l’argent et en organisant des bals populaires pour inciter les gens à voter. Et cela s’est déroulé dans des conditions totalement opaques : on ignore réellement qui a voté et qui ne l’a pas fait. Il cherchait un « oui » massif et il l’a obtenu. On sait comment les élections se passent en Guinée, et même un peu partout en Afrique, à l’exception de quelques pays comme le Sénégal, le Bénin ou le Ghana. Je le dis et le répète : c’était bel et bien une mascarade et non une élection.
LNA : Pourtant, le « oui » l’a emporté avec un score soviétique de plus de 80 %. Le scrutin présidentiel est prévu pour le 28 décembre prochain. Ne craignez-vous pas que Mamadi Doumbouya s’éternise au pouvoir ?
Ce « oui » massif est téléguidé. Le peuple guinéen y a consenti pour échapper à la mort et à la torture. Les morts mystérieuses et les disparitions forcées auraient continué et les conséquences auraient été terribles. Cette Constitution a été mise en place pour un but précis : faire fonctionner un pouvoir illégitime sur la base de la corruption et de la répression.
LNA : Selon vous, quels sont les points dangereux qui figurent dans les nouvelles réformes acceptées par les Guinéens ?
Tout d’abord, cette Constitution n’a pas lieu d’être. Doumbouya ne devait en aucun cas proposer un tel texte. Le peuple guinéen avait accepté son putsch par générosité, en raison de son opposition à la troisième candidature d’Alpha Condé, mais à condition d’une transition rapide, brève et intelligente. Au lieu de cela, il en a profité pour asseoir un vernis juridique et se donner, en quelque sorte, un permis de tuer pour continuer la répression qui est devenue le maître mot depuis son arrivée au pouvoir. Cette Constitution en elle-même est dangereuse.
LNA : Ce scrutin ne favorisait-il pas d’emblée le « oui » ? La campagne électorale du référendum a été marquée par une forte présence du pouvoir.
Vous savez, le système politique en Afrique et particulièrement en Guinée – fonctionne ainsi : imposer son pouvoir par une répression physique.
Mais, dans le cas de Mamadi Doumbouya, cela ne suffit pas. Pour valider son pouvoir illégitime, il a ajouté une répression intellectuelle et morale. Il a fait en sorte que la Constitution soit reconnue par son peuple et même par la communauté internationale. C’est cette comédie constitutionnelle qui lui a permis de gagner. Encore une fois, la répression est à la base de tout dans la vie politique guinéenne.
LNA : Le boycott était-il, selon vous, la meilleure stratégie pour faire face au pouvoir ?
À mon avis, oui. Pour s’opposer à un régime totalitaire, le boycott était un bon moyen parce que le résultat était connu d’avance. Il n’aurait servi à rien à l’opposition de participer à un scrutin truqué. Un appel au « non » aurait aussi été vain, surtout après la suppression de la Commission électorale indépendante, remplacée par l’administration du territoire qui a organisé l’élection de bout en bout. C’est elle qui dépouille et qui connaît réellement le nombre de participants.
LNA : Vous n’êtes pas tendre non plus avec la communauté internationale. Que lui reprochez-vous ?
Je lui reproche son indifférence, son silence actif et même coupable. Sinon, comment comprendre son mutisme face aux disparitions de Foniké Mengué et de Bilo Bah, ou face à l’assassinat du général Sadiba Coulibaly ? Il faut reconnaître que l’Union européenne, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne se sont manifestés sur ces cas de disparitions. Mais la France, elle, est restée silencieuse. Mis à part cela, c’est silence radio sur tout ce que Mamadi Doumbouya est en train de faire. Le mutisme de la communauté internationale face à la répression, à la corruption et au trucage électoral est inadmissible.
LNA : Parlons de vous, Thierno Monenembo. Comment vivez-vous en Guinée en tant qu’écrivain critique de la junte ? Vous aviez récemment dénoncé le vol de votre manuscrit chez vous.
L’écrivain que je suis essaie de mobiliser toutes les énergies possibles pour faire face aux intimidations et résister aux chantages. Le vol de mon manuscrit, orchestré par le régime actuel, est une autre forme de répression. En volant ce texte, ils pensaient découvrir des secrets d’État. Mais qu’ils sachent que je n’en garde aucun.
Tout ce que j’écris est publié. La plupart sont des chroniques, des scénarios ou des pièces de théâtre. Il s’agit d’une intimidation, d’une manière de me faire taire. Tuer, emprisonner ou faire disparaître les voix dissonantes : telle est la règle établie aujourd’hui en Guinée.
Ndéye Aîssatou Diouf