Le Tchad en route vers l’AES ?

Le Tchad en route vers l’AES ?

Tout a commencé comme un galop d’essai. Il s’est d’abord agi d​’un des proches de l’entourage du chef de l’État, Mahamat Idriss Deby Itno, qui n’​a guère fait mystère de son souhait de voir le Tchad rejoindre la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES).

​​Invité sur le plateau de Manara Radiotélévision (MRTV), une chaîne proche du pouvoir tchadien, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Gassim Chérif, a exprimé le souhait de voir son pays rejoindre l’Alliance des États du Sahel (AES).

« Je pense que ce serait une bonne chose que le Tchad rejoigne l’Alliance des États du Sahel », a déclaré en substance Gassim Chérif, qui fut porte-parole et chargé des Relations extérieures du ​Conseil du commandement militaire pour le salut de la République,​ le CCMSR​, un groupe rebelle opposé au régime en place.

Pour certains observateurs, il s’agissait de propos de circonstance dans une conjoncture géopolitique où la relation entre le Tchad et son partenaire historique, la France, avait du plomb dans l’aile. Il faut certes relever que dans l’ambiance euphorique qui a suivi la décision du Burkina Faso, du Niger et du Mali de faire bande à part au sein de l’AES tout en se retirant avec fracas de la CEDEAO, certains influenceurs panafricanistes, qui ont pignon sur rue sur le continent africain et dans sa diaspora ont bruyamment invité le Tchad, y compris le Sénégal, à rejoindre cette nouvelle entité géopolitique qu’ils considèrent comme le creuset véritable d’un panafricanisme et d’un souverainisme authentiques pour l’Afrique.

Signes avant-coureurs​

Les questions de politique étrangère relevant des pouvoirs régaliens et exclusifs du président de la République, il faut reconnaître que le chef de l’État, Mahamat Idriss Deby Itno, a multiplié,​ ces derniers temps, les actes qui continuent de laisser penser qu’un cheminement avec l’Alliance des États du Sahel est possible. Comme son prédécesseur et père, le maréchal Idriss Deby Itno, le chef de l’État actuel, dès sa prise de fonction, et chaque fois qu’il s’est agi de défendre les intérêts du Tchad, y compris avec ses voisins les plus proches et aux intérêts stratégiques communs, n’a jamais manqué de rappeler la défense inflexible de la souveraineté ​de son pays, comme c’est à la mode en ce moment au Sahel. Le différend pétrolier qui a opposé le Tchad et le Cameroun en est une​ parfaite illustration.​ L’on n’oubliera pas non plus le conflit tchado-libyen pour le contrôle de la bande d’Aozou entre 1978 et 1987​.

Cette insistance sur la souveraineté du Tchad, donc sa liberté de diversifier ses partenaires ou de prendre ses distances, a connu un relief particulier avec la décision de mettre un terme​, fin novembre 2024, à la présence pourtant ancienne de plusieurs décennies des troupes françaises présentes au Tchad.

Toutefois, de là à conclure que le Tchad serait sur le point d’intégrer l’Alliance des États du Sahel, il nous semble qu’un pas est vite franchi.

Des liens anciens…

Il faut d’abord rappeler, pour tout analyste qui s’en tient à une approche réaliste, que les liens entre le Tchad et les États de l’AES, en l’occurrence le Niger, sont fort anciens. Ils ont tous été membres du G5 Sahel, non par effet de mode, mais parce que ces pays font face à des défis sécuritaires communs​ : la lutte contre la nébuleuse Boko Haram.​ Le Niger et le Tchad ont également appartenu à la Force multinationale mixte (FMM) établie par les pays du Bassin du lac Tchad ​créée en ​octobre 2014​ pour lutter contre Boko Haram​ (Niger, Tchad, Cameroun, Nigeria​ et Bénin​)​.

En novembre 2024, N’Djaména a émis des doutes au sujet de la viabilité de cette force après une sanglante attaque djihadiste dans la région du lac (ouest du Tchad) et le président tchadien a même menacé de s’en retirer. Fin mars 2025, la junte militaire au pouvoir à Niamey a annoncé​ sa décision de se retirer de cette force anti djihadiste pour renforcer la sécurisation des sites pétroliers du nord du pays.

​… et des défis sécuritaires communs

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​Le Tchad et le Niger sont confrontés à une menace djihadiste qui ne cesse de monter en puissance et face à laquelle tous s’accordent à reconnaître que seule une mutualisation des moyens humains et matériels permettrait de neutraliser cette pieuvre, à défaut de l’éradiquer. Entre ​ces deux pays (leur frontière s’étend sur environ 1 175 km​) existent des liens séculaires qui précèdent la constitution des États sur ces territoires. Ceux-ci sont humains, anthropologiques et naturels pour ce qui concerne par exemple leur frontière terrestre. C’est dire que ces deux pays sont voués à coopérer dans​ leur intérêt et celui de leurs populations.

Ces observations faites, il n’est objectivement pas possible d’en déduire qu’il serait dans l’intérêt du Tchad de rejoindre l’Alliance des États du Sahel, et pour plusieurs raisons que ne contesterait guère toute analyse sérieuse.

 ​AES, tigre de papier

L’Alliance des États du Sahel (AES)​ a été créée en septembre 2023 par le Mali, le Niger et le Burkina Faso.  ​Et nul ne peut, à ce stade de son existence qui demeure plus formelle que réelle, faire un pari sur sa consolidation et sa longévité dans l’arène hautement compétitive des relations internationales.

Ce n’est pas faire injure à l’AES que de reconnaître qu’il lui manque jusqu’à ce jour les moyens de ses ambitions. C’est peut-être ce constat de réalité qui a récemment conduit le chef de l’État ​ ivoirien, Alassane Ouattara, recevant, ​le 11 août 2025, son homologue de Sierra Leone, ​ Julius Maada Bio, par ailleurs, ​président en exercice de la CEDEAO,​ d’affirmer qu’il ne désespère pas de voir le Burkina Faso, le Niger et le Mali retourner dans le giron de l​’organisation sous-régionale.

D’autre part, les actuels États membres de l’AES n’ont toujours pas acquis en interne la stabilité et le consensus qui leur permet de déployer leur projet géopolitique sur la longue durée. À l’intérieur de ces États, les poches d’instabilité demeurent importantes, ainsi que les risques de déstabilisation, comme récemment au Mali​ avec les attaques djihadistes récurrentes et la vague d’arrestations de hauts gradés de l’armée accusés d’avoir voulu déstabiliser les institutions de la Transition.

Qu’adviendrait-il de l’AES si au sein de l’un de ses trois États membres actuels survenait un changement de pouvoir au sommet de l’Etat qui se traduirait par la décision de rompre avec​ l’​organisation intergouvernementale ?

Toute analyse froide et réaliste ne peut faire abstraction de cette hypothèse comme base de réflexion, donc de décision.

Enfin, il n’est pas superflu de rappeler que le Tchad a une histoire, un environnement géostratégique et géopolitique spécifique qui ne peuvent pas être perdus de vue dans la perspective d’un éventuel changement de paradigme dans sa doctrine des relations internationales.

À titre d’exemple, les États membres de l’AES envisagent la création d’une monnaie commune, d’une banque commune, d’un passeport commun​ (mis en circulation le 29 janvier 2025​ et fabriqués par une entreprise française. Pourtant, par le passé, la société a été très décriée par les ​militaires maliens.

Or le Tchad est membre de la ​Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC)​et de la ​ Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), institutions avec lesquelles il est lié par des normes économiques, monétaires, juridiques, lesquelles ont une incidence sur son fonctionnement interne. Comment serait-il possible, dans les faits, pour l’État tchadien, de concilier cette double appartenance ?

En définitive, au moment de la publication de cet article, il est excessif de ​conjecturer une intégration prochaine du Tchad au sein de ​l’Alliance des États du Sahel​. Les liens que ces États maintiennent avec le Tchad sont dictés par des réalités historiques qui transcendent les contingences géopolitiques, à l’instar des liens que les trois États membres de l’AES maintiennent avec les États de la CEDEAO.

 

Par Éric Mocnga Topona, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)

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