Par Arthur-Aimé Ndong, chercheur et analyste politique
Selon une récente enquête du média centrafricain Corbeau News, la société de mercenariat russe Wagner se rendrait responsable de la destruction massive des forêts centrafricaines pour produire du charbon de bois, dominant le marché national tout en marginalisant les producteurs locaux[1].
Après avoir exporté massivement des bois précieux jusqu’en 2023, le groupe Wagner est désormais tourné vers la production industrielle de charbon de bois de chauffe, inondant le marché local, marginalisant les petits producteurs, et faisant fi de l’importance des forêts tropicales pour l’équilibre écologique et la survie des populations locales.
De l’exportation de bois à la mainmise sur le charbon
Entre 2021 et 2023, Corbeau News rapporte que le groupe Wagner a été à l’initiative d’un vaste trafic de bois précieux – notamment de sapelli et d’iroko – entre la Centrafrique et plusieurs marchés internationaux via sa société écran Bois Rouge (rebaptisée Wood International Group). Extraits de concessions massives – à l’image de celle de Lobaye de 187 000 hectares – les grumes de bois précieux transitaient ensuite vers le port de Douala au Cameroun, avant d’être exportés.
En mai 2023, une enquête menée par l’organisation britannique Earthsight[2], qui documente des crimes contre l’environnement, avait révélé le trafic mené par Wagner pour inonder les marchés internationaux – dont européens – de grumes en provenance de Centrafrique. En 2022, Bois Rouge était le septième exportateur de bois centrafricain vers l’Union européenne (UE) : elle y a vendu 465 m3 de bois de sapelli, générant des profits estimés à 2 millions EUR par an[3].
L’adoption par l’UE en 2023 d’une réglementation plus stricte contre les produits issus de la déforestation a contraint le Cameroun à interdire le transit de bois centrafricain sur son sol, stoppant net l’exportation des grumes par Wagner. Face à ces restrictions, Wagner a opéré un virage stratégique dans l’exploitation cynique des ressources naturelles, en recentrant ses activités autour de la production massive de charbon de bois. Non pas destiné à l’exportation, mais pour être consommé directement sur le marché national centrafricain.
Un marché national asphyxié par Wagner
A ce jour, Wagner dominerait le marché du charbon de bois en Centrafrique, contrôlant 80 à 90 % de l’approvisionnement à Bangui et dans d’autres grandes localités, selon certaines estimations recueillies par Corbeau News. Le groupe serait responsable d’une exploitation industrielle à grande échelle dans les forêts de Lobaye, détruisant les arbres et les transformant sommairement dans des fours rudimentaires, avant de les distribuer à grande échelle sur le marché national, privant les petits producteurs centrafricains d’une de leurs principales sources de revenus en menant des pratiques anticoncurrentielles : dans les différents quartiers de Bangui, des sacs de charbon remplis produits par Wagner se vendaient en juin dernier à 4 000 FCFA, des prix cassés, imbattables pour les producteurs locaux. Les bénéfices engrangés par Wagner s’élèveraient à plusieurs milliards FCFA annuels, d’après Corbeau News.
De nombreuses familles vivant près des frontières du Cameroun ou du Congo dépendent de la vente de charbon – artisanal – pour survivre. Officiellement pour lutter contre la déforestation et ses conséquences environnementales, un arrêté ministériel du 17 mai 2024 avait été pris par le ministère des Eaux et Forêts interdisant l’exportation de bois-énergie, y compris le charbon, et prévoyant des amendes de 500 000 à 1 000 000 FCFA en cas de contournement[4]. Or, cette mesure frappe durement les petits producteurs, incapables de payer de telles sommes, tandis que les activités industrielles de Wagner se poursuivent sans entraves.
Un désastre écologique et humain
La production massive de charbon par Wagner est un double désastre, à la fois écologique et humain. Les forêts de Lobaye, véritables écosystèmes abritant des éléphants, gorilles et léopards… sont saccagées à un rythme effréné, aggravant la crise climatique. En outre, les populations autochtones comme le peuple Aka, qui dépendent de ces écosystèmes pour survivre, se voient dans l’obligation de quitter leurs terres ancestrales dorénavant exploitées de manière industrielle. Des données délivrées par Global Forest Watch en 2023 montraient que la Centrafrique avait déjà perdu 193 000 hectares de forêts humides entre 2001 et 2021 du fait de la déforestation, soit 21 % de sa perte totale de couvert arboré[5], témoignant de la nécessité de faire cesser, ou de mieux contrôler, les pratiques d’exploitation forestière abusives – comme celles pratiquées par Wagner.
Un pays pillé par la Russie
« En Centrafrique, les richesses naturelles sont bradées à des acteurs étrangers, tandis que les citoyens paient le prix fort ». La domination de Wagner sur l’exploitation du charbon de bois donne à voir une triste réalité locale : les forêts disparaissent sous les fours à charbon et les petits commerçants, déjà frappés par la pauvreté, le sont d’autant plus.
Alors que ces pratiques ne peuvent plus être ignorées, la communauté internationale doit maintenir la pression sur les activités illégales de Wagner, et financer des projets de reforestation. Dans l’intérêt et pour la protection des populations locales, il est plus que jamais nécessaire que la loi soit appliquée de manière équitable en Centrafrique.
Par Arthur-Aimé Ndong, chercheur et analyste politique

Ressources :
[1] : « Centrafrique : Wagner, nouveau roi du charbon de bois de chauffe, domine le marché centrafricain ». Corbeau News, 23 juin 2025.
[2] : « Russian mercenaries cash in on Europe’s scramble for African timber ». Earthsight, 16 mai 2023. https://www.earthsight.org.uk/news/russian-mercenaries-cash-in-on-african-timber
[3] : « Comment le groupe Wagner mène un trafic de bois en Centrafrique ». RFI Afrique, 16 mai 2023. [4] : Rolf Steve Domia-leu, « Centrafrique : l’appel à l’aide d’exportateurs de charbon de bois et bois de chauffe, activité désormais interdite ». RFI Afrique, 31 mai 2024.