C’est une page d’histoire de la relation franco-africaine qui a été tournée ce 17 juillet 2025.
Sur le tarmac de l’aéroport de Dakar, à l’occasion d’une cérémonie militaire qui réunissait les forces sénégalaises et françaises, les 350 militaires français encore présents au Sénégal ont officialisé leur départ du pays de Léopold Sédar Senghor. Présentes au Sénégal depuis son accession à l’indépendance en 1960, les forces françaises ont remis au haut commandement sénégalais, à titre de symbole, les « clés » du Camp Geille. Le Sénégal a donc pris possession de la base militaire de Ouakam et de l’aérodrome de Dakar.
La dimension symbolique de cette rétrocession ne réside pas seulement dans la remise à l’armée sénégalaise des emprises que la France aura occupées depuis plus de six décennies. Elle tient également aux liens très anciens entre le Sénégal et la France et qui sont bien antérieurs à l’accession de ce pays à la souveraineté internationale le 4 avril 1960.
Liens séculaires avec la France
En effet, il n’est pas superflu de souligner que le Sénégal fut la porte d’entrée de la France en Afrique francophone et a été durant longtemps département français.
Le premier africain qui siégea au parlement français fut Blaise Diagne. Et quant à Léopold Sédar Senghor, il serait fastidieux de s’étendre sur le rôle de premier plan qu’il a joué au plan culturel mais aussi diplomatique, pour le renforcement des liens entre l’Afrique et la France, pour ne citer que la francophonie institutionnelle dont il est l’un des pères fondateurs.
Au regard de cet arrière-plan historique et diplomatique, la cérémonie du 17 juillet 2025 relève davantage d’un changement d’époque que d’une rupture.
Dans la réalité quotidienne des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique francophone, notamment aux plans anthropologique et historique, et en premier le Sénégal, une rupture est inenvisageable, contrairement aux slogans que claironne depuis quelque temps une propagande démagogique prétendument panafricaniste. Les brassages entre les peuples, entre les mouvements de la société civile, y compris entre les formations politiques, ont tissé au fil du temps des liens indissolubles.
Les nouvelles autorités sénégalaises n’ont d’ailleurs pas perdu ces réalités intangibles de vue, raison pour laquelle le nouveau chef de l’Etat sénégalais, Bassirou Diomaye Faye a parlé d’un « partenariat rénové ».
Départ concerté et respect mutuel
Dans le droit fil de cette nouvelle donne, il y’a lieu de souligner le caractère concerté du départ des forces armées françaises du Sénégal. Il n’aura pas été précipité, mais mûrement pensé entre les parties françaises et sénégalaises dans leur intérêt commun.
Le nouveau pouvoir sénégalais était également tenu de prendre en compte un contexte nouveau qui prévaut sur l’ensemble du continent africain. Dans ce continent extrêmement jeune et ouvert aux mutations du vaste monde, la mutation générationnelle en cours est aussi idéologique.
De nombreux Africains sont acquis à l’idée de l’urgence d’une souveraineté véritable de leurs pays, débarrassés de tout ce qui apparaît comme les vestiges de l’époque coloniale, voire des survivances d’un ordre néocolonial. Les bases militaires françaises sont longtemps apparues pour certains Africains, dès l’aube des indépendances, comme la matérialisation de cette survivance néocoloniale.
Les manifestations monstres au Niger devant la base militaire française à Niamey (début septembre 2023) sont l’une des illustrations récentes de cette protestation.
Le nouveau pouvoir de Dakar en a d’ailleurs fait l’un de ses arguments de campagne lors de la dernière élection présidentielle de 2024 et l’un des points essentiels du volet international de son programme politique. S’exprimant sur ce sujet dans un média international, Bassirou Diomaye Faye déclarait peu après son accession à la magistrature suprême en avril 2024: « Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires dans un pays souverain ».
Recevant à Dakar l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon, président de La France Insoumise (LFI), Ousmane Sonko, l’actuel Premier ministre sénégalais exprima sa désapprobation par un propos à la tonalité panafricaniste : «Plus de soixante après nos indépendances, nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles, l’armée française par exemple, bénéficie toujours de plusieurs bases militaires dans nos pays, et sur l’impact de cette présence sur notre souveraineté et notre autonomie stratégique ».
Au-delà de ces positions de principe des nouvelles autorités du Sénégal, elles se sont inscrites dans l’air du temps mais en revanche, ne s’inscrivent pas dans une diplomatie militaire de la table rase. Elles ont conscience qu’entre le Sénégal et la France, comme entre l’Afrique, la France et l’Europe, il existe de nombreux défis sécuritaires communs à relever. Les uns et les autres ne pourront y parvenir qu’en tissant des synergies communes.
Par conséquent, pour l’avenir de la coopération militaire entre le Sénégal et la France, il reste donc à voir les contours de ce « partenariat rénové » qui seront certainement précisés durant les mois et les années à venir.
Par Eric Topona Mocnga, journaliste à la
rédaction Francophone de la Deutsche Welle, à
Bonn (Allemagne).