Contre toute attente des parents, c’est à la morgue pour certains et dans les salles d’urgence débordées des hôpitaux de Bangui que se sont retrouvés de nombreux élèves censés composer l’examen du baccalauréat, session de juin 2025, ce mercredi 25 juin.
Tout est parti d’une détonation provenant d’un transformateur de l’Énergie Centrafricaine (ENERCA), situé à proximité du lycée Barthélemy Boganda, l’un des plus grands centres d’examen de la capitale. Ce jour-là, les candidats de la série littéraire y composaient.
Pris de panique à la suite de cette forte explosion, les élèves ont fui dans tous les sens. Certains ont sauté du haut des étages, d’autres ont été piétinés dans les escaliers ou ont chuté en tentant de fuir.
Le bilan provisoire fait état de plusieurs dizaines de morts et de centaines de blessés, dont des cas graves, répartis dans les différents centres hospitaliers de Bangui.
Ce drame met une fois de plus en lumière les failles criantes en matière de sécurité, de gestion des infrastructures scolaires, et de prévention des risques en milieu scolaire, dans un pays déjà fragilisé par des crises à répétition.
Les organisations de la société civile et plusieurs partis politiques s’indignent et condamnent le gouvernement, qu’ils jugent irresponsable au regard des dégâts causés. La Marche pour la Démocratie et le Salut du Peuple (MDSP), dirigée par le Dr Dominique Désiré Erenon, « s’indigne de la teneur de la déclaration du ministère de l’Éducation nationale, qui appelle plutôt à la poursuite des examens du baccalauréat alors que nous sommes véritablement en deuil national ».
Il faut signaler qu’il y a quelques semaines, un jeune garçon, vendeur d’œufs, a été victime d’un court-circuit sous la pluie, dû aux mauvaises installations de l’ENERCA.
On peut se demander pourquoi les élèves n’ont pas résisté à ce simple bruit de transformateur. Dans un pays normal, un tel bruit serait peut-être passé inaperçu. S’il devait y avoir une réaction, ce sont les surveillants qui auraient dû sortir en premier pour vérifier l’origine du bruit, puis revenir informer calmement les élèves. Mais pourquoi ces derniers ont-ils presque tous eu le même réflexe de fuir précipitamment les salles de classe ?
C’est là que s’illustre la profondeur des séquelles laissées par les conflits armés. Quand on dit que la guerre laisse des traces visibles et invisibles, c’est exactement ce qui est vécu aujourd’hui en République centrafricaine.
Dans un pays où les enfants n’ont pas grandi sous les bruits des balles, ce drame aurait probablement été évité. Ici, enfants et adultes sont nés et ont grandi dans un climat de violence, conditionnés à réagir au moindre bruit suspect.
Un habitant du quartier Gobongo, Jean témoigne : « Même en tant qu’adulte et père de famille, je sursaute au moindre bruit, peu importe l’endroit où je me trouve. C’est devenu un réflexe. »
Un spécialiste psychiatre interrogé sur la question, Dr Paul, explique :
« Les multiples crises qu’a traversées ce pays ont laissé des traces profondes dans l’inconscient collectif. Cela influence durablement les comportements des populations. Dès qu’un bruit inhabituel survient ou qu’un événement inattendu se produit, les réactions sont souvent excessives, instinctives, parfois même paniquées. » Il ajoute « Ce réflexe est lié à une mémoire traumatique collective : avoir grandi dans un climat d’insécurité, marqué par les coups de feu, les explosions ou les déplacements forcés, finit par conditionner le cerveau à réagir en mode survie. »
Justine témoigne à son tour que même dans la rue, « quand j’entends par exemple une roue d’une voiture ou moto s’exploser, je cours pour me mettre à l’abri, car je pense à une attaque armée ».
Les traces invisibles des guerres en Centrafrique continuent de faire des victimes peut-être plus que la guerre en soi même.
Ce qui s’est produit dans la journée du mercredi 25 juin au Lycée Barthélemy Boganda de Bangui en est une illustration frappante. Face à la détonation du transformateur électrique, les élèves ont paniqué, pensant probablement à une attaque armée, d’autant plus que le lycée est situé à proximité immédiate de la résidence du Chef de l’État et du siège de l’Assemblée nationale.
Ce réflexe de peur généralisée souligne le traumatisme profond encore présent dans les esprits, surtout chez les jeunes qui ont grandi dans un environnement marqué par les violences répétées.
L’État gagnerait à investir sérieusement dans la prise en charge psychologique de la population, à travers des programmes de santé mentale adaptés, tout en renforçant les dispositifs de gestion des urgences, dont les limites ont été clairement révélées lors de ce drame.
Adrien KOUNDOU-ZALIA
Journaliste d’Investigation et
Expert en Communication Politique