Par Allé Badou SINE
Inspecteur principal des impôts et des domaines
Ancien Directeur des Domaines
Dans un paysage souvent figé par les dogmes et la routine bureaucratique, Ndèye Nangho DIOUM émerge avec une rare audace intellectuelle. Jeune inspectrice des impôts et des domaines, son ouvrage Gouvernance des biens communs et comptabilité patrimoniale au Sénégal témoigne d’une volonté de repousser les limites imposées par les traditions administratives.
Bien que nos chemins professionnels ne se soient jamais croisés, je ne peux que saluer l’ingéniosité et l’éclat de cette nouvelle génération d’inspecteurs des impôts, qui nous donne foi en l’avenir.
La singularité de cette auteure réside dans sa double formation d’économiste et de juriste, qu’elle met au service d’une réflexion multidimensionnelle. Refusant de succomber à la routine administrative, elle brise les chaînes d’une technocratie étouffante. Là où d’autres se contenteraient de reproduire les schémas classiques, elle déploie une audace intellectuelle qui transcende les cadres traditionnels. DIOUM ose contester une des doctrines fondamentales des inspecteurs des domaines : l’immatriculation systématique des terres du domaine national au profit exclusif de l’État. Cette pratique, souvent présentée comme un remède universel pour sécuriser les droits fonciers et financer les investissements, se révèle, selon elle, lourde de dangers, notamment en facilitant l’accaparement des terres et la spéculation abusive. En écho à ses arguments, les audits fonciers menés sur des projets emblématiques tels que Mbour 4, la VDN3 et Daga Kholpa, illustrent avec force les dérives possibles de ces pratiques. Ces analyses soulignent l’urgence de solutions novatrices pour réformer un système foncier en quête de justice sociale et d’efficience économique.
DIOUM s’affirme comme une économiste rebelle aux carcans. Elle refuse de se perdre dans les labyrinthes de la bureaucratie où tant de talents finissent engloutis, semblables à ces rivières qui disparaissent dans les sables d’un désert. Son écriture révèle une audace rare, témoin d’un esprit brillant et fécond. Son livre, loin de se limiter à une analyse techniciste du droit foncier, se démarque par une approche à la fois critique et visionnaire, un véritable plaidoyer pour la renaissance intellectuelle de la gouvernance foncière.
Une Problématique Cruciale
Dès les premières pages, l’auteure nous plonge dans un constat glaçant : malgré des décennies de lois et de réformes, le système foncier sénégalais reste inadapté aux besoins du développement durable.
Soixante ans après la loi 64-45 du 17 juin 1964 et vingt ans après la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale,
les mêmes problèmes persistent : accaparements, marginalisation des populations locales et inefficacité
économique.
DIOUM remet en question l’immatriculation systématique des terres, une solution prônée par beaucoup
mais qui, selon elle, conduit à des risques évidents de spéculation foncière et d’accaparements abusifs.
Elle s’interroge : existe-t-il des voies alternatives, capables de réconcilier équité sociale et efficacité
économique ? Cette audace conceptuelle démontre une rare capacité à réfléchir au-delà des cadres
traditionnels.
Une Analyse Profonde et Structurée
L’ouvrage puise dans les théories d’Elinor Ostrom sur les biens communs pour proposer une approche innovante des droits de propriété et d’usage. DIOUM redéfinit la fonction sociale de la propriété et plaide pour une sécurisation des droits d’usage sans recourir à une propriété privée absolue. En cela, elle déconstruit les idées reçues notamment la conception civiliste du droit foncier, enracinée dans le code napoléonien, ouvre la voie à une re-problématisation conceptuelle de la gouvernance foncière, à travers une approche combinant économie, sociologie et droit.
Ses propositions, d’une clarté remarquable, incluent la dévolution du domaine éminent de la terre à l’État, la reconnaissance prioritaire des droits fonciers des populations locales, et l’instauration de zonages clairs. Ces idées, à la fois originales et pragmatiques, visent à protéger les ressources foncières tout en préservant leur accessibilité aux communautés locales.
Propositions de Régulation
Loin de prôner la déréglementation ou le statu quo, l’auteure appelle à une régulation stricte du marché foncier. Elle démontre que la privatisation incontrôlée des terres n’est pas une solution viable et propose des mécanismes concrets pour éviter les abus : audits fonciers, zonages précis, et renforcement des institutions locales. Ces propositions témoignent d’un pragmatisme éclairé, conciliant équité sociale et
efficacité économique.
Critique des Arguments
Bien que l’ouvrage brille par sa profondeur analytique, certains points mériteraient un approfondissement. La déconstruction de la vision techniciste est convaincante, mais l’auteure aurait gagné à explorer davantage les implications pratiques de ses idées. De même, le lien entre comptabilité patrimoniale et développement durable, bien qu’évoqué, aurait pu être développé avec plus de précision.
Réflexion et critique finale
Ndèye Nangho DIOUM apporte un vent de fraîcheur dans le débat sur la gestion foncière au Sénégal. Son approche, qui conjugue dimensions économiques, sociales et environnementales, révèle une méthodologie à la fois rigoureuse et audacieuse. Elle incarne l’espoir d’une nouvelle génération d’inspecteurs à l’esprit brillant, capables de transformer les institutions en profondeur.
Ainsi, Gouvernance des biens communs et comptabilité patrimoniale au Sénégal n’est pas seulement un livre, c’est un manifeste pour une gestion foncière plus juste, plus humaine, et profondément ancrée dans les réalités locales. Ndèye Nangho DIOUM nous rappelle que la pensée novatrice est le moteur du progrès, et son travail nous invite à croire en l’avenir d’un Sénégal porté par des esprits brillants et
visionnaires. Son ouvrage, par son originalité et sa force intellectuelle, mérite une place centrale dans les discussions sur le développement durable et la gouvernance des ressources.
Je souhaite vivement que les réflexions fécondes de Ndèye Nangho DIOUM – que je n’ai hélas pas eu le privilège de rencontrer -, ne se perdent jamais dans les aridités administratives, mais qu’elles puissent éclairer les chemins de la réforme foncière, et continuer à guider nos espoirs, comme une rivière qui atteint enfin l’océan……
Par Dr Chérif Salif Sy,
Directeur du Forum du Tiers-monde (FTM)
Secrétaire général de l’Association des Chercheurs Sénégalais (ACS)
Dans un contexte mondial marqué par la crise écologique et les inégalités d’accès aux ressources, le Sénégal incarne à la fois les défis et les espoirs de l’Afrique en matière de gestion durable. L’essai de Ndèye Nangho DIOUM, Gouvernance des biens communs et comptabilité patrimoniale au Sénégal, propose une plongée éclairante dans les tensions entre héritages coloniaux, traditions communautaires
et impératifs économiques modernes.
Au cœur de l’analyse trône le Domaine national, régime foncier unique instauré en 1964 sous l’impulsion de Léopold Sédar SENGHOR. Initialement couvrant 95 % des terres, ce système consacre une propriété collective de la nation, où l’État joue le rôle de gardien au nom des générations présentes et futures. Les droits d’usage (agriculture, élevage, habitat) y sont attribués aux communautés locales par l’intermédiaire de conseils municipaux, à condition que les sols soient mis en valeur. Un idéal de « socialisme africain » qui se heurte aujourd’hui à des réalités complexes : accaparements par des élites locales, conflits entre éleveurs et agriculteurs, et pression croissante pour privatiser les terres au nom du développement économique.
Face à ce modèle, coexistent deux autres régimes hérités du droit français : le Domaine public, dédié à l’usage collectif (mers, forêts, infrastructures), et le Domaine privé, où la propriété individuelle ou étatique prime. L’auteure décrypte avec rigueur les ambiguïtés de cette tripartition. Si le Domaine public protège théoriquement les ressources stratégiques, les concessions minières ou halieutiques illustrent les risques de captation par des intérêts privés. Le Domaine privé, quant à lui, cristallise les contradictions d’une
immatriculation foncière encouragée pour sécuriser les investissements, mais accusée d’exclure les petits exploitants au profit de spéculateurs.
L’ouvrage innove en intégrant la dimension comptable à ce débat. Le Sénégal, suivant les normes internationales, a adopté en 2018 une réforme visant à inscrire les ressources naturelles (sols, forêts, eaux) dans les bilans publics. L’objectif est de mesurer leur valeur économique, de contrôler leur exploitation et de lutter contre les opacités financières – un enjeu crucial dans un pays où les recettes
minières ou gazières peinent à bénéficier aux populations. La création en 2022 d’un Fonds intergénérationnel pour les hydrocarbures incarne cette volonté de transparence, même si son efficacité reste à prouver.
Les propositions de l’auteure esquissent une voie médiane entre libéralisation et statu quo. Elle plaide pour une décentralisation renforcée, où les communes géreraient les terres avec davantage de redevabilité, et pour une régulation étatique plus ferme contre la surexploitation. L’idée d’un « faisceau de droits » inspiré d’Elinor OSTROM – séparant usage, gestion et aliénation – pourrait concilier sécurité juridique pour les investisseurs et protection des communautés. Enfin, la modernisation des outils de contrôle (suivi satellitaire des sols, audits environnementaux) est présentée comme une clé pour lutter contre la corruption et les délits d’initiés.
Ce travail, salué pour son ancrage interdisciplinaire (droit, économie, anthropologie), ne masque pas ses limites. Les données chiffrées sur l’état des ressources ou l’impact des politiques restent parcellaires, reflétant un déficit chronique de transparence administrative. Certaines critiques, comme la lenteur des réformes promises depuis 2004, auraient mérité un développement plus incisif.
Il s’agit d’un essai essentiel pour comprendre les batailles invisibles qui se jouent sur le sol sénégalais. Entre accaparements et résistances communautaires, entre héritage de Senghor et injonctions de laBanque mondiale, Ndèye Nangho DIOUM rappelle une évidence : la terre n’est pas qu’un capital, elle est un lien social, une mémoire et un droit. Un message qui résonne bien au-delà des frontières sénégalaises, à l’heure où les biens communs deviennent l’enjeu géopolitique du siècle.
Pourquoi en parler ?
Un éclairage rare sur les dynamiques foncières en Afrique de l’Ouest.
Des pistes concrètes pour repenser la gouvernance des ressources naturelles.
Une invitation à débattre des modèles de développement à l’ère climatique.
À propos de l’autrice :
Ndèye Nangho DIOUM, inspectrice des impôts et domaines, allie expertise technique et engagement
pour la justice sociale. Son essai s’inscrit dans la lignée des travaux d’Elinor OSTROM, tout en honorant
l’héritage intellectuel de Senghor.