Dakar abrite du 5 au 12 mai 2025 la 5ème assemblée générale des conférences épiscopales d’Afrique de l’Ouest (Cerao). Une occasion pour la centaine d’archevêques et évêques venant de seize (16) pays de la sous-région de se réunir en conclave afin de discuter de paix, de justice sociale et surtout d’autonomie ecclésiastique en Afrique de l’Ouest.
Abbé Alphons Biram Ndour, curé à l’île de Gorée (Dakar) est revenu sur les objectifs de cette rencontre épiscopale qui se déroule dans ce lieu mythique où le dialogue islamo-chrétien est une réalité.
LNA : la 5ème assemblée des conférences épiscopales régionales de l’Afrique de l’Ouest s’est ouverte à Dakar sous le thème : » pour une église synodale et autonome au service de la justice et de la paix en Afrique de l’Ouest ». Pourquoi ce choix selon vous ? La paix et la justice font autant défaut dans le continent?
Abbé Alphons Biram Ndour : on peut dire que le choix de ce thème découle de la préoccupation permanente de nos pères évêques pour un devenir meilleur en développement inclusif pour nos jeunes nations. C’est une manière pour eux de se pencher sur les réalités de l’heure. La paix et la justice sont gages d’un développement stable. Elles nous offrent cette possibilité de vivre en communion, en unité, faire en sorte que nos terres connaissent des lendemains meilleurs.
Vous savez, nos terres d’Afrique sont des terres de joie, des terres de promesse, pleine de richesses, dès lors, il s’avère nécessaire que nous œuvrions pour plus de paix et de justice. C’est pourquoi, le thème procède de cette réalité mais aussi d’une prise de conscience que nous africains, avons notre mot à dire et il est de notre devoir d’œuvrer pour la paix et la justice. La paix est fragile mais si au Sénégal, nous avons la chance de vivre une certaine stabilité depuis fort longtemps , tel n’est pas le cas pour d’autres pays du continent qui vivent des lendemains incertains. Des attaques djihadistes, l’extrémisme violent, les coups d’Etat, l’immigration irrégulière qui jette nos enfants à l’eau sont autant de phénomènes, qui aujourd’hui méritent de porter des réflexions. Et c’est autour de ces questions que vont se constituer des conclaves tout au long de ces jours avec nos évêques afin de discuter de ces sujets brûlants.
LNA : le Sénégal abrite une deuxième fois la 5ème édition après la toute première qui a eu lieu en avril 1949 sur ses terres. Que représente Dakar pour la Cerao ?
Abbé Alphons Biram Ndour: Je vais reprendre les mots du président de la Cerao Monseigneur Alexis Touably Youlo, lorsqu’il disait que si le siège de la Cerao est en Côte d’Ivoire, le cœur se trouve au Sénégal.
Ceci s’explique par le fait que le pays a eu à diriger plusieurs rencontres du genre d’abord en 1949, et en 1964 avec le cardinal Hyacinthe Thiandoum. Donc cette 5ème assemblée sonne comme quelque chose de déjà vu. Surtout que ces temps-ci, la capitale sénégalaise est devenue aussi par la force des choses, le capital catholique de l’Afrique de ‘l’Ouest. C’est un honneur pour nous que de recevoir ceux qui nous viennent des 16 pays membres de la Cerao pour visiter le Sénégal qui reste une terre d’amitié, une terre de teranga (l’hospitalité), de paix et de dialogue islamo-chrétien.
Cela s’est plus fait sentir dans le discours du président de la Cerao qui a mis en exergue des figures bien de chez nous telles que l’écrivain Cheikh Hamidou Kane, le président poète Léopold Sédar Senghor. Cela prouve l’affection qu’il porte au Sénégal .
Aussi je voudrais faire un petit rappel sur le fait que le premier président de la Cerao créé en 2012 fut le cardinal Théodore Adrien Sarr, qui a été l’archevêque de Dakar, cardinal émérite qui nous a honoré de sa présence aujourd’hui lors de l’ouverture de la 5ème conférence épiscopale. C’est pour vous dire que le choix porté sur le Sénégal n’est pas fortuit. Aujourd’hui, le Sénégal figure parmi les pays terres de croyance, terre des hommes et de religion. Il donne encore l’expression de son exception qui est celle du dialogue islamo-chrétien mais aussi de la teranga.
LNA : pouvez vous revenir sur l’objectif de cette conférence de haute portée religieuse qui regroupe une centaine de dignitaires ecclésiastiques?
Abbé Alphons Biram Ndour : L’objectif de cette rencontre est on peut dire une continuité des enjeux politico-économiques, socio-religieux que traverse le continent ouest africain.
Parmi ses objectifs (Cerao) figurent la prise en charge de la question de la justice, celle de l’unité, celle du dialogue inter- religieux mais aussi de la solidarité.
Depuis longtemps, vous savez, les aides reçues nous proviennent de l’Occident. Raison pour laquelle les débats qui vont se tenir ces jours-ci vont tourner autour de l’autonomisation de nos églises locales. Comment faire pour que nos églises puissent compter sur elles-mêmes, qu’elles soient autonomes, qu’elles trouvent des solutions ? Je pense qu’il est temps que nous africains, commencions à tisser nos nattes avec nos propres fils.
La paix et la solidarité doivent constituer ce fil qui devrait réunir l’Afrique, l’expression de nos ententes, de notre unité. Je suis d’avis qu’il est l’heure que l’africain, l’homme noir puisse s’affirmer, ne plus vivre dans la complexité. Nous devons compter dans le concert des nations. Aujourd’hui, l’Afrique fait partie des continents où le catholicisme est très présent, plus que présent qu’en Europe. L’avenir aujourd’hui c’est l’Afrique. Développons nos talents, mettons les en œuvre, prenons en conscience. Mettons les en contribution pour le devenir du monde et celui de l’humanité.
LNA : comment concevoir une Afrique nouvelle dans un contexte où le continent fait face à des défis sécuritaires avec notamment le terrorisme qui sévit au Sahel et les tensions politico-sociales ?
Abbé Alphons Biram Ndour: L’Afrique fait face à de nombreux défis tels que cités plus haut, effectivement. Et ce malgré la richesse de sa diversité culturelle, naturelle qui n’est plus à démontrer. Je pense que dans ce contexte difficile, il urge de réfléchir à une nouvelle Afrique unie et prospère. Il y a des pistes pour arriver à cette fin. D’abord le développement qui passe par repenser la gouvernance en renforçant les institutions démocratiques et la justice, en luttant contre la corruption afin de garantir l’Etat de droit mais aussi en favorisant l’implication des jeunes et des femmes dans la gestion publique.
La paix ne peut pas se faire sans la justice. Pour cela, il faut une coopération régionale, sous régionale, l’éducation à la paix et au dialogue inter communautaire, même interconfessionnelle. Mais et surtout il faudra miser sur l’éducation et la jeunesse et l’adapter aux réalités africaines avec des compétences techniques et entrepreneuriales.
L’Afrique est en mesure de montrer qu’elle fait partie du monde. Concevoir une Afrique nouvelle est devenue une urgence. Mais c’est une nécessité qui exige une volonté politique forte, une implication active des citoyens et cela exige une solidarité inter-état membre de la Cedeao et des diocèses membres de la Cerao. Et nous espérons que ces discussions qui regroupent nos pères évêques vont démontrer que nous avons droit à une Afrique meilleure, une Afrique nouvelle et que nous sommes capables du meilleur.