« La Russie, à travers la mainmise des Wagner sur l’appareil politique et militaire centrafricain, ne craint rien », Jean-Pierre Mara (ancien député centrafricain) 

"La Russie, à travers la mainmise des Wagner sur l'appareil politique et militaire centrafricain, ne craint rien", Jean-Pierre Mara (ancien député centrafricain) 

Le réchauffement des relations entre Paris et Bangui ne serait pas bien perçu par Moscou, du moins pour bien des observateurs. Le voyage en catimini de deux émissaires centrafricains de Faustin-Archange Touadera en France, qui remonte à novembre dernier, n’aurait pas plu au groupe paramilitaire russe Wagner.

Il s’agirait de négociations secrètes pour l’ancien député centrafricain Jean-Pierre Mara.
Ce membre du Parti social-démocrate de Centrafrique (PSD) affilié au BRDC, le Bloc républicain pour la défense de la démocratie en Centrafrique, est d’avis que Bangui affiche une logique floue de manœuvres vis-à-vis d’un partenaire aussi stratégique que Wagner. Il répond aux questions de la rédaction de lesnouvellesdafrique.info.

lesnouvellesdafrique.info (LNA) : Deux émissaires du président centrafricain Faustin Archange Touadera – son ministre de l’intérieur et le directeur général de la police – ont effectué un voyage secret à Paris à l’insu du groupe paramilitaire russe Wagner. Peut-on parler de négociations secrètes ?

JPM : J’ai appris comme tout le monde sur les réseaux sociaux qu’une telle mission a eu lieu et, comme il est toujours la pratique d’amateurisme de ce pouvoir, tout finit par se savoir. Effectivement, vu que ce n’est que quelques mois après que l’information a fuité, on peut parler de négociations secrètes.

LNA : Est-ce que la RCA cacherait ses relations avec la France pour ne pas frustrer la Russie, pourquoi ?

JPM : Comment peut-on sincèrement croire à une démarche responsable consistant à vouloir cacher une telle démarche à un partenaire que ce gouvernement présente partout comme le partenaire le plus fiable qui l’aide à résoudre tous ses problèmes ?
Il y a une logique floue dans les manœuvres du pouvoir centrafricain vis-à-vis de ses interlocuteurs, ceux-là même qui lui accordent du crédit.

LNA : La France a alloué le 13 novembre dernier 10 millions d’euros en guise d’aide budgétaire à Bangui. Cette aide avait été gelée durant 3 années après l’arrivée du groupe paramilitaire russe Wagner en République centrafricaine, en 2017, et les attaques répétées, dont celles visant les intérêts français. Comment analysez-vous ce retour de la France en RCA ?

JPM : Pour être honnête avec vous, je peux vous dire que seules les autorités françaises comprennent leur démarche et la logique qui va avec. N’oublions simplement pas comment le pouvoir centrafricain et ses soutiens panafricanistes ont été manipulés par la machine de propagande russe entre 2016 et 2018 pour discréditer la France. Ce pays (la France) a été présenté par Touadera et son équipe comme seul responsable de la mauvaise gestion en RCA, pour ne pas dire le principal responsable de l’échec socioéconomique de la RCA, alors que les raisons du retard que connait le pays ainsi que les causes de la pauvreté endémique du peuple centrafricain sont la mal gouvernance et l’injustice sociale pratiquées par Touadera et son équipe.

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LNA : comment Bangui compte faire pour ne pas perdre son partenariat avec la Russie ?

JPM : je vous prie de poser cette question à Touadera et au gouvernement centrafricain.

LNA : mais vous avez certainement une idée sur la question ?

JPM : Je ne suis pas partisan de la stratégie de l’esclave qui veut quitter son ancien maître pour être dompté par un nouveau maître, que ce dernier soit la Russie ou autre.
Je ne suis ni un adepte de la Russie et de sa stratégie pour contrecarrer la France en Afrique ni de la domination et de l’aliénation des Centrafricains par qui que ce soit.
Je souhaite simplement que la Russie et les Wagner quittent la RCA. Leur présence ne sert qu’à maintenir un système de prédation, d’injustice et de mal gouvernance au pouvoir. Nous savons qu’un mercenaire de Wagner est payé dix fois (10) plus cher qu’un soldat centrafricain. La présence de la Russie est une lourde charge financière sans contrepartie en développement économique. Pour répondre à votre question, la Russie va quitter la RCA comme elle le fait en ce moment en Syrie. Leur présence ne sert pas la cause du peuple centrafricain.

LNA : la coopération RCA-France sera-t-elle perçue par Moscou comme une trahison ?

JPM : Je crois que la Russie, à travers la mainmise des Wagner sur l’appareil politique et militaire centrafricain, ne craint rien. Tant que le gouvernement français verse des aides budgétaires ou autres au gouvernement centrafricain et tant que ce dernier s’en sert pour payer les prestations des Wagner, notamment le maintien au pouvoir de Touadera par tous les moyens, les Russes feront semblant d’être gênés, mais en réalité, ils ne diront rien. Si ce n’était pas le cas, pourquoi n’ont-ils pas quitté la RCA dès le premier rapprochement ? Touadera a été reçu plusieurs fois courant 2024 à l’Elysée, il a établi une feuille de route avec le pouvoir français, document dont personne ne connait le contenu. Cela n’a provoqué une quelconque réaction de Moscou. Dernièrement, une statue montrant une effigie de Prigojin a été érigée à la gloire de ce dernier le jour même de la célébration de la proclamation de la République centrafricaine (1ᵉʳ décembre 1958, 1ᵉʳ décembre 2024), une insulte à Boganda, le père fondateur de la RCA, et un mépris au peuple centrafricain. Des officiers centrafricains et le ministre de la Défense de la RCA ont salué la mémoire de Prigojine, patron des Wagner, alors qu’en Russie personne n’a le droit de lui rendre pareil honneur. Personne ni en France ni en Russie n’a commenté. Je ne pense pas que les Russes voient en ces rapprochements une trahison. Les deux puissances ont peut-être des intérêts distincts et ne cherchent nullement à se contrecarrer.

LNA : votre dernier mot.

JPM : L’attitude de la France et ses positions en Centrafrique sont incompréhensibles.
Même s’il y a des intérêts stratégiques convoités, la posture adoptée depuis peu est difficile à comprendre. On ne peut pas répéter les mêmes erreurs chaque fois.

Comme au Tchad, la France risque de faire les frais d’une mauvaise appréciation de sa stratégie. Pire, nous autres opposants restons ouverts pour un dialogue franc avec le monde occidental afin de trouver les moyens de limiter les conséquences de l’exploitation abusive de nos ressources par les Wagner. Malheureusement, le monde occidental à travers la MINUSCA et le Rwanda s’ajoute au drame avec la Russie à travers les Wagner pour nous maintenir à l’état sauvage et à l’asservissement.
À tout cela s’ajoutent les démarches actives de l’Union européenne pour organiser un semblant d’élection locale afin de légitimer Touadera. Le peuple centrafricain subit une conspiration qui ne dit pas son nom. Nous ne savons plus quel est le partenariat qui est souhaitable pour la République centrafricaine. Et cela se passe sous les yeux des autres peuples africains.
Il n’y a pas d’avenir pour le peuple centrafricain.

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