An 10 de l’insurrection au Burkina Faso : « Aujourd’hui le Burkina est une société polytraumatisée dans un pays sans institutions solides », selon le journaliste Ahmed Barry

Il y’a 10 ans au Burkina Faso , Blaise Compaoré, alors président , a été contraint à la démission à la suite d’une insurrection populaire qui l’a conduit à fuir son pays. 48 heures historiques où la jeunesse avec une détermination sans faille a réussi à lui arracher le pouvoir. Pouvoir qu’il détenait depuis vingt-sept ans en 2014. Et, le Burkina Faso entre désormais dans une phase de transition. Ouagadougou aura connu trois putschs, trois attentats et deux élections présidentielles.

Dans cet entretien, Ahmed Barry, journaliste revient sur cet événement et le quotidien des burkinabés depuis l’accession au pouvoir de la junte de Ibrahim Traore.

 

lesnouvellesdafrique.info: Cela fait 10 ans, le 31 octobre 2014, qu’une insurrection populaire contraignait à la démission le président Blaise Compaoré. Dix ans après, les Burkinabé doivent-ils regretter Blaise Compaoré lorsqu‘on voit ce qui se passe avec le pouvoir militaire ?

 

Ahmed Barry: Il ne s’agit pas de regretter Blaise COMPAORE. Mais plutôt se désoler de voir que l’insurrection populaire a finalement créé les conditions de l’émergence d’un avatar de Blaise COMPAORE. Ibrahim Traoré est un Blaise COMPAORE en pire. Il a fait faire au Burkina un recul de plusieurs décennies en arrière. L’insurrection c’était pour plus de démocratie. Ibrahim Traoré a eu l’outrecuidance de s’essuyer ses rangers sur notre démocratie mais pire, il nous tient en laisse avec des prétoriens, qui plus est, des prétoriens russes ou nous avions affronté et désarmé le redoutable Régiment de Sécurité de Blaise COMPAORE, le RSP. D’ailleurs, pour notre malheur, c’est parceque nous avons démantelé le RSP que nous avons permis que des « Dalton » s’approchent et s’emparent du pouvoir d’Etat.

Mais c’est semble-t-il le propre des révolutions. Elles sont inaugurées par des naïfs, poursuivies par des intrigants et consommées par des scélérats. Nous sommes à la phase des scélérats. Cependant, il ne s’agit nullement de regretter ce moment historique de la vie de notre pays. Plus que jamais le peuple Burkinabé, grand peuple, attaché aux valeurs de liberté et de démocratie va surprendre. Ce que nous vivons actuellement est un triste intermède. Il est appelé à se clore et à nous guérir pour toujours des régimes militaires. L’irruption des militaires dans la vie politique n’apporte que des amertumes dans la vie des Burkinabè. Ibrahim Traoré détient pour l’instant le Palm de tous les excès. Les Burkinabè il faut le rappeler n’ont jamais accepté les régimes autoritaires. Alors que l’Afrique des années 1960 et 1970 était sous le joug des partis uniques, les Burkinabè ne l’ont jamais accepté. Ce qui fait qu’en 1978, à la présidentielle, le président en exercice, Sangoulé Lamizana, est contraint au second tour. Même aujourd’hui cela reste exceptionnel. Les Burkinabè qui ont fait cet exploit sont les ascendants de ceux qui ont fait l’insurrection de 2014. C’est d’ailleurs pourquoi Ibrahim Traoré a fait appel aux Russes pour assurer sa sécurité. Mais comme on sait aucune milice ne résiste à un peuple qui dit NON ! L’insurrection a marqué les Burkinabè comme SANKARA les a marqué. L’intermède actuel au lieu de les en dégoûter va les appéter. Comme disait l’ancien président ivoirien, Félix Houphouet Boigny « le bonheur, le vrai bonheur on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu ».

 

lesnouvellesdafrique.info: La fin du pouvoir Compaoré est aussi marqué par la multiplication des attaques terroristes et la perte de contrôle d‘une partie du territoire burkinabè. À cela s‘ajoute des violations des droits humains et la confiscation du pouvoir par les militaires. Comment sortir de cette spirale de violence et de coups d‘Etat ?

 

Ahmed Barry: Le régime démocratique est le seul à même de nous sortir de la terrible situation actuelle. Effectivement, avec le départ de Blaise COMPAORE le pays a progressivement basculé dans le terrorisme islamiste. Cela est dû en grande partie à l’incurie des successeurs immédiats de Blaise COMPAORE. Ils n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu. Ils n’ont pas su protéger le pays. Ils ont laissé s’exacerber les conflits communautaires qui ont servi de cheval de Troie aux terroristes pour s’implanter et déstabiliser la société et l’Etat. Aujourd’hui le Burkina est une société polytraumatisée dans un pays sans institutions solides.

 

lesnouvellesdafrique.info : Vous faites partie des Burkinabè qui critiquent ces actes du pouvoir militaire qui vous accuse de conspiration. Regrettez-vous aussi les années Compaoré?

 

Ahmed Barry: A défaut de résultats sur le front de la lutte contre le terrorisme, le régime fait dans le populisme. Il exhume les reliques de la période SANKARA pour divertir les Burkinabè. Ce dont les Burkinabè ont besoin aujourd’hui, c’est la paix et la sécurité.

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lesnouvellesdafrique.info : Selon vous pourquoi les pouvoirs de transition se multiplient au Burkina?

Ahmed Barry: Les terroristes chaque jour attaquent et tuent civils et militaires. Pour le premier semestre 2024, plus de 15000 Burkinabé ont été tués soit directement par les terroristes ou par les actions de contreterrorisme. Mais le pire c’est la dévastation des libertés. Se comportant comme Pol Pote au Cambodge, Ibrahim Traoré a transformé le Burkina en un immense camp de rééducation. Il est interdit de contester Ibrahim Traoré. Interdit aux juges de prononcer des verdicts défavorables aux partisans de IB. Le juge qui ose est envoyé dans un camp de rééducation, pour apprendre à rendre des verdicts conforme à la volonté du chef de la junte.

Comme on dit quand on ne peut pas changer les maux, on joue sur les mots. In fine, « Le pire dans le pire, c’est l’attente du pire.”. Les Burkinabè sont pour ainsi dire dans une salle d’attente où ils n’attendent rien. Ibrahim Traoré leur donne le tournis avec un tourbillon de promesses, les unes plus déroutantes que les autres. A peine a t’il promis de faire du Burkina le premier producteur de cacao dans le monde que le voici promettant que la première voiture électrique made in Burkina sortira des usines ( non encore construites) avant décembre 2024. Voilà le quotidien des Burkinabè. Entre la terreur terroriste qui ne recule pas et les outrances du chef d’une junte, la moins compétente de l’histoire du pays.

 

lesnouvellesdafrique.info : Les autorités de la transition ont décidé en cette dixième année de la fin du régime Compaoré de réinstaurer la devise nationale de l’ère de Thomas Sankara « la patrie ou la mort, nous vaincrons » est-ce que c’est de cela dont ont besoin actuellement les Burkinabè?

 

Ahmed Barry: Le rétablissement de la devise « la patrie ou la mort nous vaincrons ! », fera peut-être Ibrahim Traoré ressembler un peu plus à Thomas SANKARA. Cependant, on peut se demander si un clone, même parfait, de SANKARA est ce que les Burkinabè désirent aujourd’hui ? On peut en douter. Plutôt que de ressembler à SANKARA, les Burkinabè en sauront gré à Ibrahim Traoré si il tenait déjà parole. Il a promis aux Burkinabè qu’en six mois, il allait régler la crise terroriste. Il entame sa troisième année et les Burkinabè ne voient rien venir. Pire, la situation s’aggrave.

 

lesnouvellesdafrique.info: Quel regard portez-vous sur la confédération AES, un regroupement dirigé par des putschistes ?

 

Ahmed Barry: L’AES est pour l’instant un OVNI qui a permis aux juntes de se soustraire des contraintes de la CEDEAO. Un an après sa création, les terroristes pour fêter son premier anniversaire, ont perpétré une audacieuse attaque contre Bamako dans ses secteurs les plus sécurisés; l’aéroport international et militaire et un camp de gendarmerie. Pourtant c’est au nom de la mutualisation des forces militaires pour lutter contre le terrorisme que l’AES a été officiellement créée. Donc pour l’instant l’AES a échoué dans sa raison d’être. Il a réussi incidemment à autonomiser les juntes de la CEDEAO.

 

lesnouvellesdafrique.info: Enfin que faut-il faire pour refonder l’Etat burkinabé ?

 

Ahmed Barry: Pour guérir le pays il faut réhabiliter ses institutions. Pour cette réhabilitation il n’y a que la démocratie pour conférer la légitimité. C’est pourquoi les militaires, comme le tout militaire, ne sont pas du tout la solution à la crise actuelle.

Rappelons que depuis son renversement, Blaise Compaoré est exilé en Côte d’Ivoire. La justice burkinabè l’a condamné, en 2022, par contumace, à la prison à perpétuité pour sa participation à l’assassinat de son prédécesseur.

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