Après le débat soulevé en juillet dernier par Ousmane Sonko concernant le port du foulard islamique, le gouvernement sénégalais a levé l’interdiction des signes religieux dans les écoles. Le 6 octobre dernier, le ministère de l’Éducation nationale a publié un arrêté portant sur le respect des croyances religieuses.
Cependant, son application pose déjà problème dans certains établissements scolaires.
Publié au lendemain de la rentrée des classes (06.10.2024), l’arrêté stipule en son article 5 que « le respect des croyances religieuses inclut l’acceptation du port des signes religieux, tels que le voile, la croix, les perles sacrées, sans préjudice à une identification claire de l’élève dans l’enceinte de l’école, dans les classes et lors des activités pédagogiques. Ce respect de la différence ne soustrait pas l’élève, excepté pour des dispenses objectivement motivées, de la participation aux activités pédagogiques et sportives obligatoires».
Cet arrêté fixe un délai de 60 jours aux inspections d’académie pour se prononcer et constitue un acte administratif d’application immédiate. Cependant, pour certains observateurs académiques, il reflète une décision hâtive. En effet, les règlements intérieurs ayant été modifiés avant la publication de l’arrêté, ceux-ci ne pourraient être applicables qu’à partir de l’année prochaine.
Depuis sa publication, l’arrêté a créé des tensions dans les établissements privés catholiques. Hier, lundi (14.10.2024), des élèves se sont vu refuser l’accès à un collège catholique du Sine à Fatick (Ouest). Les parents accusent le principal d’avoir ignoré l’arrêté du ministère.
La semaine dernière, une élève voilée de l’école Sainte-Bernadette de Dakar a également été renvoyée. Ces incidents ont suscité l’indignation des parents, qui désapprouvent ces agissements au sein des directions d’école.
Pour cet ancien proviseur du lycée Seydina Limamoulaye de Dakar, la question du port du voile dans les écoles catholiques n’est pas nouvelle. Seulement pour cette fois-ci, c’est la manière dont le débat a rebondi dernièrement qui a installé la polémique sur la place publique. Mandao Mbaye est d’avis que si les musulmans ne sont pas réfractaires au port d’uniforme , ce n’est pas le voile de 3 à 4 filles sur une population importante qui devrait poser problème.
Cependant, si l’on se réfère à l’article 2 de l’arrêté, les actes de ces responsables d’établissements sont justifiés : « Il est prescrit le contrôle d’approbation des règlements intérieurs des établissements d’enseignement et de formation publics et privés relevant de l’Éducation nationale. Les règlements intérieurs sont soumis à l’approbation des inspections d’académie. Tout règlement intérieur non approuvé est non applicable. »
Par ailleurs, le Sénégal a toujours été un modèle en matière de coexistence pacifique entre ses différentes communautés religieuses. Le dialogue islamo-chrétien y est exemplaire. Musulmans et chrétiens célèbrent ensemble les fêtes religieuses et les cérémonies familiales sans difficulté, ce qui explique la sensibilité de la question soulevée par cette polémique.
Lors d’une cérémonie récompensant les meilleurs élèves du Sénégal, le Premier ministre sénégalais avait averti les établissements qui continuaient d’interdire le port du voile à l’école :
« Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. En France, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie et de style, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile. »
Ces propos avaient provoqué une réaction d’une partie de la communauté chrétienne, notamment du Conseil national du laïcat, qui rassemble les associations et mouvements catholiques du pays. Ils avaient été perçus comme une attaque contre les écoles catholiques.
Si plusieurs responsables de l’Église ont exprimé leur mécontentement, le ministère de l’Éducation y voit un respect des convictions religieuses dans les espaces publics, en particulier en milieu scolaire. C’est pourquoi les autorités appellent les responsables d’écoles à ne pas entraver l’identification religieuse des élèves.
Mandao Mbaye préconise de reposer le débat de manière subtile de sorte d’éviter de heurter les sensibilités.
« Une école confessionnelle a beau être une école catholique , il n’en demeure pas moins qu’elle soit implantée dans un pays dit laïc et à 95% musulman estime t’il. D’autant plus qu’au Sénégal, toutes les religions cohabitent avec beaucoup d’harmonie ».
Ces réglages ne doivent poser problème sinon vu sous l’angle de la polémique peuvent pousser les gens à se braquer ajoute M. Mbaye. Dès lors, l’enseignant suggère aux autorités concernées (ministère et responsables d’écoles) de s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions.
Toutefois, la controverse autour du port du voile n’est pas nouvelle au Sénégal. Elle avait déjà provoqué un tollé en 2019, lorsque l’institution Sainte-Jeanne d’Arc, une prestigieuse école catholique de Dakar, avait interdit le port du voile à 22 élèves musulmanes lors de la rentrée scolaire. Il avait fallu l’intervention du Vatican pour trouver un compromis entre l’institution et l’État sénégalais.