C’est l’attaque terroriste la plus importante survenue au Mali, mardi (17.09.24), depuis l’accession au pouvoir de la junte dirigée par le colonel Assimi Goita. Elle traduit, aussi, la capacité de nuisance des groupes djihadistes qui ont ciblé des symboles stratégiques du pouvoir militaire malien, occasionnant des pertes en vies humaines et matérielles, selon le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans le JNIM, qui a revendiqué l’attaque.
Dans cet entretien exclusif, Seidik Abba, président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES) et chercheur associé au Groupe interdisciplinaire en histoire de l’Afrique, revient sur la double attaque qui a touché une école de gendarmerie et l’aéroport international de Bamako.
lesnouvellesdafrique.info : Une école de la gendarmerie attaquée, des avions de combats détruits à l’aéroport international de Bamako dont notamment l’avion présidentiel. Que peut-on retenir de cette double attaque ?
Seidik Abba : C’est une attaque complexe qui a été menée et préparée depuis longtemps par le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans appelé le JNIM. Elle s’est appuyée sur une cellule dormante et une complicité à l’intérieur de Bamako. C’est une opération particulière et spectaculaire. Les groupes jihadistes ont choisi des cibles pour marquer le coup afin d’avoir la résonance médiatique internationale que peut revêtir une telle opération. Dans le contexte actuel où les projecteurs sont orientés vers d’autres régions du monde comme le Proche-Orient et la guerre en Ukraine, cette double attaque permet donc aux jihadistes d’attirer l’attention vers eux. C’était le but recherché. Au regard du timing, des cibles et de leurs modes opératoires, on peut dire qu’ils ont voulu faire une démonstration de force, pour montrer qu’ils ne sont pas totalement affaiblis en dépit du coup qui leur a été porté ces derniers temps. Ils peuvent donc réagir en choisissant leurs cibles.
lesnouvellesdafrique.info : Comment expliquer cette énième attaque terroriste ?
Seidik Abba : Le risque zéro n’existe nulle part. Les terroristes ont une capacité de dissimulation qui leur permet de réaliser ces opérations. Dans le cas du Mali, cette opération n’a pu se faire qu’à travers une infiltration. Les jihadistes ne sont pas différents au quotidien de nous autres. Ce sont souvent des personnes que l’on connaît. Ils ont une vie normale que l’on ne peut pas soupçonner. Ils peuvent se lever un jour et rejoindre le camp des jihadistes. Ils connaissent bien le terrain et repèrent leurs cibles. Ils procèdent aux opérations sachant qu’ils s’appuient sur des cellules dormantes et des complicités. Ces types d’opérations sont difficiles à détecter et à neutraliser, y compris dans les pays qui sont beaucoup plus développés en technologie. Alors, c’est sans surprise que les jihadistes conduisent ces types d’opérations.
lesnouvellesdafrique.info : L’armée malienne peut-elle faire face aux terroristes ? Cette attaque ne représente-elle pas un coup dur pour les Fama ?
Seidik Abba : Je n’ai pas de doute sur la capacité de l’armée malienne à faire face aux djihadistes. La difficulté, c’est plutôt la nature de la lutte contre le terrorisme.
Nous sommes dans une situation de guerre asymétrique avec un ennemi invisible qui se fond dans la masse et qui n’a pas de principe. Il peut utiliser la population comme bouclier humain. À partir de là, cela devient extrêmement difficile. Donc il ne faut pas les sous-estimer. On n’a pas gagné la guerre contre le terrorisme au Sahel malgré la présence internationale à un moment où il y avait 15 000 soldats de la force Minusma et 5100 autres de la force Barkane.
Donc, on ne peut pas, à deux ans, demander à l’armée malienne des résultats qui n’avaient pas été obtenus. Je pense qu’il y a des difficultés, mais la lutte contre le terrorisme au Mali progresse. Il y a quelques années, une bonne partie du pays échappait à l’État.
Aujourd’hui, l’ensemble du territoire est sous son contrôle, même s’il y a de temps en temps des attaques terroristes.
De plus, le paradigme au Sahel a changé. Pendant longtemps, c’était les djihadistes qui attaquaient les armées sahéliennes, mais là, l’initiative des opérations revient aux forces armées du Mali qui vont sur le terrain afin de trouver les groupes jihadistes. Donc, on peut dire qu’il y a une évolution. À cela s’ajoute le fait que le Mali s’est associé au Burkina Faso et au Niger pour créer l’Alliance des États du Sahel. Cela donne l’enjeu et l’objectif de lutter contre le terrorisme. Ce qui est très important.
lesnouvellesdafrique.info : Avec ces attaques qui se multiplient, ne pensez-vous pas que les putschistes ont montré leurs limites sur la gestion sécuritaire du pays ?
Sedik Abba : La multiplication des attaques ne peut pas être imputée aux pouvoirs militaires du Sahel. Même s’ils ont justifié leur acte de prise de pouvoir par le défi sécuritaire. Nous avons remarqué que la question n’est pas simple. Ce n’est pas parce qu’il y avait des pouvoirs civils dans ces trois États qu’ils ont été incapables, c’est la nature du terrorisme elle-même qui rend l’obtention de résultats difficile.
Le défi sécuritaire au Sahel ne peut pas être réglé uniquement sur le plan militaire et sécuritaire. Il faut beaucoup de facteurs, notamment la bonne gouvernance, la cohésion sociale. Si les militaires espèrent régler le problème par la force en achetant des drones ou en recrutant du personnel, je pense qu’ils se trompent de direction. Il faut plutôt construire une réponse holistique. La mutualisation avec le Niger et le Burkina me semble aller dans la bonne démarche. Il faut renforcer les acquis et les compléter avec les initiatives sur le plan de l’emploi des jeunes, de l’économie…
S’ils le font, je pense qu’il y a des raisons d’espérer mettre un terme au terrorisme parce que cette question a mis du temps à s’installer, donc elle mettra du temps à être résolue. Il faut avoir la bonne orientation, car les pouvoirs militaires à eux seuls ne peuvent pas régler la question sécuritaire. C’est la nature du conflit qui fait qu’il est difficile à vaincre. La communauté internationale s’est complètement désintéressée de ces pays, car elle estime qu’il y a beaucoup de coups d’État militaires alors que ces pays ont besoin de leur soutien.
Je pense qu’il y a la responsabilité de la communauté internationale à accompagner ces pays à vaincre le terrorisme et les défis sécuritaires. Car ce qui se passe au Sahel concerne la sécurité du monde entier et de l’Afrique en particulier. Il y a peu de mobilisation de la communauté internationale pour leur venir en aide.
lesnouvellesdafrique.info : Ceci n’est-il pas un signe pour que la junte militaire revienne à la raison ?
Seidik Abba : La leçon que l’on peut tirer de ces attaques est que la lutte contre le terrorisme n’est jamais gagnée à l’avance. Et ces derniers, malgré les coups qu’ils ont pu prendre, n’ont pas baissé la garde. Ils montrent qu’ils sont encore résilients et peuvent frapper une capitale comme Bamako. Je crois que le pouvoir militaire l’a bien compris.
Rien ne peut se faire sans la coopération avec la population. Cela permettrait d’avoir le renseignement humain pour neutraliser ces types d’attaques. Si l’on veut des renseignements sur leurs entrées et sorties et détecter des mouvements suspects, il faut, en plus des moyens technologiques, les renseignements humains. C’est-à-dire, créer un climat de confiance entre la population et les forces de défense et de sécurité. Ce travail doit être fait au niveau de la junte et tirer des leçons des risques qu’il y a que les terroristes agissent dans la capitale.
Avec ce qui vient de se passer, la sécurité va être renforcée et les choses vont se faire . sur le plan politique, l’agenda va être mis en place. La Constitution a été adoptée, les partis politique sont autorisés à avoir des activités. Il faut, à mon avis, rétablir la confiance entre le pouvoir et les partis politiques, ce qui n’est pas le cas. Comme vous le savez, en juin dernier, des responsables politiques ont été arrêtés et emprisonnés dans différentes prisons. Il faudra ainsi voir quelle mesure prendre pour que ces hommes politiques soient élargis et créer un climat de sérénité pour la poursuite des discussions entre les autorités, les partis politiques et les membres de la société civile afin d’arriver à un espace de dialogue et de concertation qui permettrait d’avoir un agenda politique pour le Mali. Car l’absence d’un agenda politique et d’horizons clairs crée un sentiment d’incertitude qui sera difficile pour les relations économiques, les investisseurs et les partenaires. Il faut travailler à un apaisement politique et au renforcement de la sécurité du pays.