La presse sénégalaise est à l’agonie. En tout cas, tout semble vouloir le faire croire. L’édito commun qui a fait la Une des journaux et qui a été partagé ce lundi ( (12.08.24) dans les médias annonce une mort programmée du secteur des médias si les nouvelles autorités n’y prennent garde.
Dans cet entretien accordé à votre rédaction lesnouvellesdafrique.info, l’un des auteurs de cet édito, Mamadou Ibra Kane, président du patronat de la presse au Sénégal et du Conseil des Diffuseurs et Editeurs de Presse au Sénégal ( CDEPS) lance un appel fort sur les risques d’engloutissement des media au Sénégal.
lesnouvellesdafrique.info (LNA) : ce lundi matin, un édito commun a fait la Une des journaux du pays dans lequel vous faites part d’une journée sans presse mardi(13.08.2024). Qu’est ce qui est à l’origine?
Mamadou Ibra Kane: c’est parce que tout simplement la presse a vu ses problèmes s’amplifier avec la venue des nouvelles autorités dans un sens où avec l’ancien régime nous avions négocié l’effacement de la dette fiscale compte tenu de la crise dans le secteur de la presse consécutive à la pandémie de Covid 19.
Il faut savoir que le secteur des médias a connu une perte des recettes de l’ordre de 70%, car malheureusement n’étant pas considéré au Sénégal comme un secteur stratégique. Les entreprises de presse n’ont pas bénéficié des fonds Covid de 1000 milliards distribués aux entreprises en difficulté. L’on peut dire que la presse est en situation de quasi faillite depuis le Covid. D’où des négociations entreprises avec l’ancien président Macky Sall qui était dans les dispositions d’épurer les dettes fiscales.
A leur arrivée, les nouvelles autorités nous ont fait savoir que les entreprises de presse doivent s’acquitter de ces dettes fiscales pourtant effacées. En plus de cela, elles nous imposent des modalités de paiement qui ne sont pas dans les moyens des entreprises qui veulent bien payer mais avec des moratoires. Seulement ces moratoires nous sont refusés. Des actes carrément hostiles de la part du nouveau gouvernement.
D’autres actes posés sont leurs décisions de résilier de manière unilatérale les contrats publicitaires entre l’État et ses démembrements et des entreprises des presse. Ce qui est illégal dans un état de droit.
Dans une autre manière, c’est le refus de l’Etat de payer les dettes de l’Etat vis-à-vis des entreprises de presse. Une mesure qui vise à asphyxier le secteur des médias sans compter celle de la rémunération de la mission du service qui est voté dans le budget de l’État qui fait l’objet de refus de la part du nouveau régime. Il considère qu’il n’est pas question de verser des subventions à d’anciens médias ou journalistes qui les ont combattu du temps où ils étaient encore dans l’opposition. Une vision très étroite de la pluralité de la presse les ayant mis tous dans le même sac puisque tout le monde en souffre.
LNA: vous n’y allez pas trop fort lorsque vous attribuez tout ce qui arrive à la presse sénégalaise aux nouvelles autorités? Les avez-vous sollicitées?
M.I.Kane: ce n’est pas le nouveau régime comme je viens de vous le dire. Ce sont des faits antérieurs qui ont conduit à cette situation. Sauf que nous espérions des conditions plus favorables avec l’arrivée de ce nouveau régime pour une pression républicaine, libre et indépendante et viable économiquement. Nous avons introduit des demandes d’audience auprès du
Président de la République. Mais nous n’avons jusque-là pas reçu d’écho favorable. Le nouveau régime ne veut pas négocier avec la presse. Mais nous sommes prêts à le faire. Nous ne sommes que des citoyens. Ce sont les nouvelles autorités qui ont la légitimité populaire et donc nous devons nécessairement passer par elles pour trouver des solutions à un secteur aussi névralgique que le secteur de la presse.
C’est comme si elles nous faisaient la sourde oreille. C’est pourquoi nous avons décidé de faire cette journée sans presse pour alerter le citoyen sénégalais, alarmer l’opinion nationale et internationale sur les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse et la liberté d’expression au Sénégal.
LNA: Et concrètement, comment est-ce que cette journée sans presse va se dérouler ?
M.I.Kane : les quotidiens ne vont pas paraître du moins ceux qui sont indépendants. Les journaux qui sont liés au nouveau régime certainement, oui, ils ne vont pas respecter le mot d’ordre. En tout cas, tous les grands journaux du Sénégal ne vont pas paraître. De la même manière pour les radios et télévisions, ce sera micros éteints et écrans noirs. Tous vont observer la journée sans presse.
LNA: dans une de vos récentes interventions, vous parlez de lobbys présents dans le secteur de la presse, pouvez-vous être plus explicite ?
M.I.Kane : ils existaient déjà ces lobbys. Ils sont politiques, économiques et religieux. mais avec le Covid, ils sont devenus plus importants. D’autant plus que la presse disons traditionnelle n’avait plus les moyens de sa politique.
Aujourd’hui, ils veulent se substituer à la presse républicaine pour porter des intérêts privés dans le domaine économique, politique et religieux. Et ce serait une menace pour la démocratie si on continue d’aggraver la crise économique et sociale dans les médias.
Elle va conduire de plus en plus au renforcement des lobbys dans le secteur de la presse et celle de la presse étrangère. Il faut savoir que les journalistes au Sénégal n’ont plus les moyens de travailler, ni les moyens d’être payés etc..
LNA : seriez-vous prêts à renoncer à cette journée de presse si l’état réagit entre temps?
M.I Kane : nous, nous voulons discuter et pas imposer des solutions au nouveau régime. Nous sommes pour un débat intellectuel, un débat d’idées, arguments contre arguments.
Mais ce n’est pas le cas du régime actuel. On a plutôt l’impression qu’ils veulent une liquidation des médias et des entreprises de presse. Nous sommes d’avis que ce n’est pas la solution pour la paix sociale au Sénégal, pour la démocratie sénégalaise.
Nous sommes ouverts à toute négociation avec eux. Nous lançons un appel fort et espérons être entendus. Tout ce que nous voulons c’est que nos droits soient respectés. Que l’Etat de droit puisse fonctionner y compris dans le secteur de la presse.