Comment une fondatrice Cleantech (BleagLee) et un investisseur en capital-risque de la diaspora (Aurion Capital) incarnent l’équation innovation–capital dont l’Afrique a besoin pour passer à l’échelle
Par Sylvie Bello, Cameroon American Council
L’histoire de l’innovation en Afrique est trop souvent racontée de manière fragmentaire. On célèbre les fondateurs sans se demander qui dispose des capitaux nécessaires pour leur permettre de passer à l’échelle. On applaudit les réussites de la diaspora sans les relier au continent. Ce qui manque n’est pas le talent — c’est l’alignement.
En décembre 2025, le Cameroon American Council (CAC) a distingué deux leaders dont les trajectoires professionnelles répondent à ce déficit ensemble, et non séparément : Juveline Ngum Ngwa, fondatrice de l’entreprise Cleantech camerounaise BleagLee, nommée Innovatrice de l’Année 2025 du CAC, et Ali « Tonton » Diallo, investisseur américain en capital-risque né au Cameroun, nommé Investisseur de l’Année 2025 du CAC.
Leur reconnaissance illustre ce que j’appelle l’équation innovation–capital — l’association dont l’Afrique a besoin pour passer de la promesse à la puissance.
L’innovation sans capital est limitée
Le parcours de Juveline Ngum Ngwa n’est pas un conte de fées de start-up ; c’est une étude de cas sur les infrastructures. Dans des entretiens avec la African Development Bank, elle raconte avoir grandi dans l’ouest du Cameroun en souffrant de maladies respiratoires causées par l’incinération des déchets à ciel ouvert et avoir été témoin d’inondations ayant déplacé sa famille — des expériences qui ont façonné sa décision de construire des solutions environnementales plutôt que de simplement les défendre.
Elle a fondé BleagLee (« Blessed Eagles ») à Bamenda, au Cameroun, une entreprise Cleantech qui utilise des logiciels d’intelligence artificielle et des drones pour identifier, collecter et transformer les déchets en intrants industriels à forte valeur ajoutée, notamment des polymères recyclés et des solutions d’énergie propre. Son approche en ingénierie et la conception de ses produits ont été documentées par la Royal Academy of Engineering, où elle a été sélectionnée pour le Africa Prize for Engineering Innovation.
Le modèle d’adaptation climatique de BleagLee — en particulier l’utilisation de drones pour réduire les risques d’inondation tout en créant des emplois verts — a également été mis en avant par le Global Center on Adaptation à travers son YouthADAPT Challenge, que Juveline a remporté en 2021.
Sa formation et ses premières expériences professionnelles dans les opérations de gestion des déchets et le développement commercial sont détaillées par We Are Tech Africa, qui retrace son évolution depuis la gestion communautaire des déchets jusqu’à la création d’une entreprise climatique à grande échelle.
En 2025, BleagLee a été sélectionnée parmi les cinq finalistes mondiaux du Milken-Motsepe Prize in AI & Manufacturing, le plus grand concours d’innovation d’Afrique, qui distribue 2 millions de dollars par an, dont un grand prix d’un million de dollars.
Cette reconnaissance n’a rien de symbolique. Le prix cible des entreprises disposant d’un historique opérationnel, d’une croissance de leurs effectifs et d’une viabilité commerciale — des critères que BleagLee remplit en développant des infrastructures de valorisation des déchets au Cameroun et au-delà.
Pourtant, l’histoire de Juveline illustre aussi une réalité structurelle : l’innovation seule ne permet pas de se développer à grande échelle. Sans capitaux de croissance alignés et sans partenaires institutionnels, les fondateurs africains restent célébrés, mais contraints.
Le capital sans proximité manque des opportunités
Ali Diallo représente l’autre moitié de l’équation. Ancien White House Presidential Innovation Fellow et leader de l’innovation affilié au MIT’s Legatum Center, où il a géré des programmes mondiaux de fintech, dont le Zambezi Prize, Diallo a construit une infrastructure de capital-risque reliant startups, gouvernements et multinationales.
À travers Aurion Capital et NovaWave Capital, notamment via un partenariat de venture studio avec la plateforme LG NOVA de LG Electronics, Diallo a contribué au déploiement et à la mise à l’échelle d’investissements aux États-Unis, en Asie et dans la région du Golfe, dans des secteurs tels que la santé, l’énergie, l’intelligence artificielle et la fintech. Son travail a été couvert par Bloomberg, MIT News, TechCrunch, VentureBeat et NASDAQ TV, reflétant son rôle d’investisseur mondial — et non de niche.
La portée structurelle du travail de Diallo apparaît plus clairement dans son contexte. Les données de BLCK VC montrent que les professionnels noirs représentent environ 3 % des professionnels du capital-risque et seulement 2 % des associés décisionnaires, malgré des recherches d’Accenture démontrant que les investisseurs noirs sont nettement plus enclins à investir dans des entreprises dirigées par des Noirs.
La carrière de Diallo remet en question ce déséquilibre non par la rhétorique, mais par le déploiement concret de capitaux.
Lorsque l’équation s’équilibre
Juveline Ngum Ngwa et Ali Diallo ne travaillent pas encore ensemble. Mais leur reconnaissance parallèle en tant qu’Innovateur et Investisseur de l’Année 2025 du CAC est précisément révélatrice. L’écosystème camerounais produit désormais des fondatrices capables de rivaliser au plus haut niveau mondial et des investisseurs disposant des bilans financiers, de l’accès aux instances de gouvernance et de la présence géographique nécessaires pour amplifier cette innovation.
Cette convergence est rare.
Pour les décideurs publics, cela signifie que les capitaux de la diaspora doivent être considérés comme une infrastructure, et non comme de la philanthropie.
Pour les fondations et les organisateurs de prix, cela souligne l’importance de connecter les lauréats à des gestionnaires de fonds disposant d’un réel pouvoir de déploiement.
Pour les investisseurs, c’est un rappel que la prochaine génération d’entreprises à forte croissance — souvent dirigées par des femmes et axées sur le climat — existe déjà.
Au sein du Cameroon American Council, notre travail Policy-to-Portfolio suit intentionnellement ces dynamiques, en analysant les prix de l’innovation et les flux de capitaux à travers l’Afrique et sa diaspora, notamment dans notre recherche 2024-2025 publiée dans The African Journal Online.
Les distinctions d’Innovateur et d’Investisseur de l’Année 2025 ne sont pas cérémonielles. Elles sont diagnostiques.
Le travail à venir
L’Afrique ne manque pas d’idées. Elle manque de systèmes intégrés.
L’équation innovation–capital nous rappelle que talent, capital et gouvernance réunis permettent le passage à l’échelle. Le moment camerounais — incarné par une fondatrice qui construit une infrastructure de gestion des déchets pilotée par l’IA sur le continent et un investisseur de la diaspora qui déploie des capitaux institutionnels à l’étranger — montre ce qui devient possible lorsque ces éléments s’alignent enfin.
La question n’est plus de savoir si l’Afrique peut innover.
La question est de savoir si les capitaux mondiaux sont prêts à suivre.







