La presse locale sénégalaise a rapporté que, lors du Conseil des ministres du 12 novembre, le président Bassirou Diomaye Faye a affirmé avoir « assumé la décision de porter Aminata Touré à la tête de la coalition Diomaye Président ». Une annonce qui a surpris ceux qui doutaient de l’authenticité d’un communiqué interprété comme le signe d’une divergence entre le chef de l’État et son Premier ministre.
Diomaye, qui avait choisi de rester en retrait de la mêlée politique après avoir démissionné des instances de son parti naturel, le Pastef, semble aujourd’hui manifester un regain d’intérêt pour un autre appareil politique. Décryptage avec Adama Sadio, docteur en sciences politiques.
C’est dans la normalité de la politique africaine
« Je dirais d’abord que cela reste dans la normalité de la politique africaine. Le duo Diomaye–Sonko aurait constitué une exception s’ils étaient parvenus au pouvoir ensemble, puis avaient gouverné sans tensions majeures jusqu’en 2029, sans que l’un ou l’autre ne soit candidat », explique le politologue.
Il rappelle qu’au Sénégal, on a toujours théorisé que le chef de l’État ne devait pas être en même temps le chef de son parti. « Cela remonte aux années 1981 avec Abdoulaye Wade dans l’opposition. Avant cela, on parlait de parti-État, c’est-à-dire une confusion entre le parti et l’État. Le chef de l’État recevait ses militants au palais, allant parfois jusqu’à faire du palais la permanence de son parti. Presque tous les présidents l’ont fait, sauf Bassirou Diomaye Faye pour le moment. »
Une théorie interne au Pastef qui change de portée
Dans les textes du Pastef, ils ont toujours théorisé qu’une fois au pouvoir, le président du parti devait démissionner de ses fonctions partisanes. Mais en réalité, ce n’est pas le président du Pastef qui a accédé au pouvoir : c’est son secrétaire général. Cette disposition « ne concernait donc pas directement Diomaye Faye. Cela ne l’a pas empêché de renoncer à ses responsabilités politiques pour rester en dessous de la mêlée. »
Avant la semaine dernière, souligne-t-il, « nous avions un président éloigné de la chose politique. C’est même la première fois qu’un parti au pouvoir se rend aux législatives sans que son président issu de ce parti ne fasse campagne. Diouf, Wade et Macky Sall faisaient tous campagne, car la majorité parlementaire leur permettait de gouverner. »
« Lorsque Diomaye a déclaré que le meilleur gagne et non que mon parti remporte les élections, cela traduisait encore cette posture de retrait. Mais depuis la restructuration de la coalition Diomaye Président, on ressent un autre Diomaye : un homme qui veut devenir un acteur politique. En voulant redonner vie à Diomaye Président et en la confiant à Aminata Touré, il n’est plus dans ses tâches étatiques, mais dans une démarche purement politique. »
Pourquoi ce virage ?
Pour Adama Sadio, la principale explication est claire : « Diomaye est le seul président sénégalais arrivé au pouvoir sans contrôler totalement son appareil politique. Mohammed Ould Ghazouani en Mauritanie ou encore Adama Barrow en Gambie ont vécu des situations similaires. Ghazouani, par exemple, une fois au pouvoir, a orchestré un coup d’État interne dans son parti pour écarter Ould Abdel Aziz, et tout l’appareil politique lui a fait allégeance. »
« Diomaye Faye sait que récupérer le Pastef est impossible, même en tant qu’ancien secrétaire général qui connaît bien son parti. Il opère donc une voie de contournement : mettre en place un autre cadre, élargir Diomaye Président avec des acteurs influents de la scène politique, y compris dans l’opposition. Et c’est avec ce cadre qu’il compte aller à la présidentielle de 2029. »
« En somme, Diomaye, qui n’avait pas d’ambition présidentielle pour 2029, est devenu un Diomaye politique, avec désormais des ambitions claires. Pour moi, c’est là le principal point de divergence entre lui et Sonko. Les deux nourrissent la même ambition. Et pour 2029, chacun sait qu’il faut que l’autre soit neutralisé politiquement d’ici là. Même si des négociations aboutissaient à un accord temporaire, tant que l’un ou l’autre ne mettra pas son ambition en veilleuse, le problème persistera. »
Vers un « Diomaye politique » ?
« Le plus malheureux, c’est que nous risquons de voir, dans les semaines ou mois à venir, non plus un Diomaye Président, mais un Diomaye politique, comme Wade ou Macky l’ont été. Il recevra les partis au palais, présidera des rencontres de la coalition Diomaye Président, ou se rendra à l’intérieur du pays pour des poses de premières pierres : des activités politiques déguisées. »
Et le politologue de conclure : « Diomaye était protégé jusque-là : les attaques visaient principalement son Premier ministre. Mais s’il devient acteur politique, il s’expose directement. Beaucoup de médias pourraient soutenir ce repositionnement, jusqu’à valider la marginalisation progressive du Premier ministre. Ensuite, on verra probablement de nombreux opposants rejoindre Diomaye Président. Face à cela, Sonko conservera ses inconditionnels, mais peu de DG ou de ministres, car ceux-ci ont goûté aux délices du pouvoir et ne le suivront pas dans un affrontement ouvert avec le régime actuel. »







