Il y a cinq ans disparaissait Jerry Rawlings, figure emblématique des coups d’État transformés en réformes démocratiques au Ghana. Aujourd’hui, son nom est brandi par les militaires du Sahel pour justifier leur prise de pouvoir. Une analogie que politologues et observateurs jugent trompeuse.
Un héritage complexe
Jerry Rawlings reste une figure singulière dans l’histoire politique africaine. Arrivé au pouvoir par deux coups d’État en 1979 et 1981, il a marqué le Ghana par une transition vers un régime civil et des réformes économiques qui ont ouvert la voie à la démocratie. Son parcours, mêlant autoritarisme initial et ouverture progressive, nourrit encore aujourd’hui un débat sur la légitimité des ruptures militaires.
AES : la tentation de l’Histoire
Au Niger, au Burkina Faso et au Mali, les juntes regroupées au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) invoquent Rawlings pour justifier leurs actions. Selon elles, la prise de pouvoir par la force serait un « mal nécessaire » face à la corruption et à l’insécurité. Cette rhétorique s’appuie sur l’idée que l’armée peut être un acteur de refondation nationale, comme ce fut le cas au Ghana dans les années 1980.
Une comparaison contestée
Pour Mamadou Baadiko Bah, politologue guinéen et leader de l’Union des Forces Démocratiques, cette analogie est « infondée ».
Les contextes diffèrent radicalement : Rawlings a rapidement engagé son pays sur la voie d’institutions stables, tandis que les régimes sahéliens peinent à définir une feuille de route claire vers la démocratie. « Instrumentaliser l’Histoire pour légitimer un pouvoir militaire est dangereux », avertit-il, soulignant que la militarisation prolongée fragilise la gouvernance et accentue l’isolement diplomatique.
Entre mythe et réalité
L’évocation de Rawlings révèle une tension profonde : la nostalgie des « hommes forts » face à la crise des États sahéliens. Mais l’Histoire ne se répète pas mécaniquement. Là où Rawlings a fini par céder la place à des institutions, les juntes actuelles semblent s’installer dans une logique de confrontation avec la communauté internationale, sans calendrier électoral crédible.
Cinq ans après la disparition de Jerry Rawlings, son nom continue de hanter les débats africains. Mais la comparaison avec les putschistes de l’AES, loin d’être neutre, interroge sur la manière dont l’Histoire est mobilisée pour justifier des choix politiques incertains.
B.B







