La justice sénégalaise a officiellement ouvert ce vendredi une enquête sur les violences politiques qui ont secoué le pays entre 2021 et 2024. Une initiative saluée par les organisations de défense des droits humains, mais qui suscite déjà des réactions politiques. Le Secrétariat exécutif national (SEN) de l’Alliance pour la République (APR), parti de l’ancien président Macky Sall, a tenu à mettre en garde le gouvernement contre ce qu’il considère comme une « justice à deux vitesses ».
Dans une déclaration rendue publique, le SEN rappelle l’existence de la loi d’amnistie n°2024-09, votée le 13 mars 2024, et souligne que « toute poursuite concernant des faits déjà couverts par cette loi ne saurait être recevable sans une abrogation pure et simple ». Pour le parti présidentiel sortant, la démarche judiciaire actuelle pourrait fragiliser « les fondements de l’État » si elle venait à cibler sélectivement certains acteurs.
L’APR dénonce notamment une possible discrimination entre les responsables politiques, dont certains ont invoqué l’amnistie pour bénéficier d’un non-lieu, et les Forces de défense et de sécurité, accusées d’exactions durant la répression des manifestations. « Il ne saurait être acceptable de diriger des enquêtes discriminatoires contre les Forces de Défense et de Sécurité, qui ont assuré leur mission régalienne de préserver l’ordre public », précise le communiqué.
Une enquête sensible et attendue
Cette réaction intervient alors que le ministre de la Justice a lancé une vaste enquête confiée à la Division des investigations criminelles (Dic) et à la Section de recherches (Sr) de la gendarmerie de Colobane. La procédure vise à établir les responsabilités dans les faits de « meurtres, actes de torture, assassinats et crimes contre l’humanité » survenus entre 2021 et 2024.
Parmi les premières personnes entendues figure Pape Abdoulaye Touré, fondateur de l’Initiative Zéro Impunité (IZI) et coordonnateur du mouvement Sénégal Notre Priorité (SNP), lui-même victime déclarée de tortures. D’autres proches de victimes, comme Abdoulaye Wade, frère de Cheikh Wade tué aux Parcelles Assainies, et Binta Bâ, mère d’Alassane Barry, adolescent mort lors des manifestations de mars 2021, ont également reçu des convocations.
La société civile, à travers notamment Amnesty International, accompagne les victimes et leurs familles dans cette quête de vérité et de justice. « Tout le monde a vu en direct le policier qui a tiré », a rappelé Seydi Gassama, directeur exécutif de l’ONG au Sénégal, insistant sur la nécessité d’un accompagnement juridique solide.
La mise en branle de la justice ouvre une nouvelle séquence pour le pays. Si les victimes et leurs proches espèrent enfin obtenir réparation, l’opposition comme le camp de Macky Sall s’interrogent sur la portée réelle de ces investigations. Pour l’APR, il n’y aura pas de justice crédible sans un préalable clair : l’abrogation de la loi d’amnistie.