Tribune : « Le poids des promesses trahies », par Amadou Thyndel Diallo 

Le général Mamadi Doumbouya avait promis la refondation et l’inclusion, en particulier de la jeunesse. Or, le projet de Constitution introduit un verrou discriminatoire : l’élévation de l’âge minimum pour se présenter à l’élection présidentielle à 40 ans.

La Constitution est l’acte fondateur d’un État. Elle représente la voix du peuple, l’expression de sa souveraineté et la garantie de ses droits. En Guinée, le 5 septembre 2021, le général Mamadi Doumbouya avait promis au peuple de rompre avec les dérives du passé, de restaurer la démocratie et d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire nationale.

Beaucoup de Guinéens, notamment la jeunesse, ont cru à cette parole, espérant une véritable refondation de l’État. Mais à la lumière du nouveau projet de Constitution, il apparaît que les promesses faites au peuple semblent trahies. Ce texte, loin d’incarner une rupture, porte les germes d’une confiscation du pouvoir et d’un recul démocratique.

1. Le poids des promesses trahies

À son arrivée au pouvoir, Mamadi Doumbouya avait déclaré que  « la mission d’un soldat est de sauver son pays, pas de le confisquer ». Il s’engageait à rendre le pouvoir au peuple après une transition. Pourtant, ce projet de Constitution concentre des pouvoirs exorbitants entre les mains du Président de la République, rappelant les excès des régimes passés.

2. Un exécutif surpuissant

Plusieurs dispositions renforcent l’autorité présidentielle : Le Président est chef de l’État, chef de l’exécutif et chef des armées.

Il nomme aux postes stratégiques sans contre-pouvoir réel.

Le contrôle parlementaire est affaibli, et le rôle de l’Assemblée nationale reste marginalisé.

Le pouvoir judiciaire, qui devrait être indépendant, demeure sous influence par le biais de nominations présidentielles.

Ainsi, la séparation des pouvoirs, principe fondamental de tout régime démocratique, est compromise.

3. Les libertés en danger

La Constitution reconnaît des droits, mais avec des formulations floues qui ouvrent la porte à la répression. Par exemple, la liberté de manifestation ou d’expression peut être restreinte au nom de « l’ordre public », notion souvent utilisée par les régimes autoritaires pour museler les opposants et réduire la contestation citoyenne.

4. Une jeunesse sacrifiée

La jeunesse guinéenne a été au premier rang des luttes pour la démocratie. Beaucoup sont tombés lors des manifestations de 2007, 2009 ou encore 2020 contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Leurs sacrifices avaient permis d’arracher certains acquis démocratiques. Or, cette nouvelle Constitution risque de balayer ces conquêtes :

Les élections transparentes sont menacées par un exécutif trop puissant.

Les mécanismes de participation citoyenne sont faibles.

La voix des jeunes, qui devait être au centre du renouveau, est ignorée.

5. Une comparaison avec les Constitutions précédentes

La Constitution de 2010 (sous la transition de Konaté) avait ouvert la voie au pluralisme et posé des bases démocratiques.

Le projet actuel renforce l’hyper-présidence et réduit les contre-pouvoirs, reproduisant les mêmes travers qui avaient mené à la chute d’Alpha Condé.

Dans la Constitution de 2010, l’âge minimum requis était de 35 ans, ce qui permettait déjà à une nouvelle génération d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État.

Le nouveau projet relève ce seuil à 40 ans, créant une barrière supplémentaire. C’est un recul démocratique. Au lieu de donner plus de chance à la jeunesse, on verrouille l’accès au pouvoir pour les maintenir spectateurs.

Au lieu d’une évolution démocratique, la Guinée risque une régression institutionnelle.

5.1. Comparaison avec d’autres pays

Dans plusieurs États africains, l’âge minimum pour briguer la magistrature suprême reste fixé à 35 ans (Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, etc.).

Dans certaines démocraties avancées, il est encore plus bas. La Guinée, en fixant la limite à 40 ans, s’écarte de la tendance mondiale et africaine en matière d’ouverture politique.

6. Les risques pour la stabilité politique

Une Constitution imposée par une junte, sans consultation réelle et sans adhésion populaire, devient une source de tension. L’histoire guinéenne le prouve : chaque fois que la voix du peuple est confisquée, la contestation s’amplifie. Ce texte, loin d’apaiser, prépare les conditions d’un conflit politique futur.

7. Une trahison historique face aux luttes de la jeunesse

Depuis l’indépendance, la jeunesse guinéenne a été le fer de lance de toutes les grandes transformations politiques du pays.

Dans les années 1950, c’est la jeunesse scolarisée qui, sous l’impulsion du PDG-RDA de Sékou Touré, a mené la mobilisation pour dire « Non » au référendum de 1958 et choisir l’indépendance.

En 1977, lors des révoltes de la faim, ce sont les jeunes, aux côtés des femmes du marché de Madina, qui ont osé défier le régime autoritaire de Sékou Touré.

En 1990 et 2000, les mouvements étudiants, notamment l’Union Générale des Étudiants de Guinée (UGEG), ont animé les luttes pour plus de liberté académique et démocratique.

En 2007, la grève générale historique, menée par les syndicats mais fortement portée par la jeunesse, a paralysé le pays et obligé le régime de Lansana Conté à céder.

Le 28 septembre 2009, ce sont les jeunes qui se sont massivement mobilisés pour dire non à la dictature de Dadis Camara, au prix d’un massacre sanglant qui restera gravé dans la mémoire collective.

En 2019-2020, ce sont encore des jeunes, dans le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), qui ont mené les manifestations contre le 3e mandat d’Alpha Condé, souvent au péril de leur vie.

Ces exemples prouvent que la jeunesse guinéenne n’est pas spectatrice, mais actrice centrale du destin national. Elle a versé son sang, subi les prisons, affronté les balles pour que la Guinée avance.

8. La contradiction avec le sacrifice des jeunes

Comment peut-on aujourd’hui, dans une Constitution censée refonder la République, exclure ceux qui ont été les premiers artisans de la démocratie ?

Leur imposer 40 ans comme seuil d’âge, c’est effacer leurs luttes.

C’est nier que des camarades sont morts pour des idéaux que l’État devrait aujourd’hui protéger.

C’est aussi condamner la jeunesse à un rôle secondaire, alors qu’elle a toujours été en première ligne.

En vérité, cette disposition révèle une peur : la peur de voir émerger de jeunes leaders porteurs d’une vision nouvelle, libres des compromissions anciennes, et capables d’incarner une rupture réelle.

9. Une clause anti-jeunesse

La Guinée est un pays jeune : plus de 70 % de sa population a moins de 35 ans. Fixer l’âge minimum à 40 ans revient à exclure la majorité de la population du jeu démocratique. C’est une contradiction flagrante avec le discours sur l’inclusion et la refondation.

Or, les instruments internationaux (notamment la Charte africaine de la jeunesse adoptée en 2006 et ratifiée par la Guinée) insistent sur la participation pleine et entière des jeunes aux instances de décision politique. De plus, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (2007), également ratifiée par la Guinée, exige l’élargissement de la participation citoyenne et non son exclusion.

10. Une manœuvre politique déguisée

Ce choix n’est pas neutre : il vise à écarter une génération entière de candidats. Dans un pays où l’élite au pouvoir redoute la montée de jeunes leaders charismatiques issus des mouvements citoyens et étudiants, relever l’âge minimum est une manière subtile de verrouiller le jeu électoral.

11. Les conséquences démocratiques

La jeunesse se voit confisquer son droit de participer pleinement au pouvoir.

Cela crée un sentiment de frustration et de trahison chez ceux qui ont toujours été en première ligne des combats démocratiques.

Une Constitution qui exclut les jeunes n’est pas l’expression de la démocratie, mais l’expression de la peur de la jeunesse par les élites.

Conclusion

La nouvelle Constitution de la République de Guinée devait être un instrument de refondation et de libération. Elle apparaît plutôt comme une tentative de verrouillage politique au profit d’un homme et de son cercle.

Le peuple guinéen, et particulièrement sa jeunesse, doit rester vigilant. Car une Constitution ne doit pas être l’outil d’une junte militaire, mais le bouclier du peuple. La souveraineté appartient au peuple, et aucune manœuvre ne doit la lui arracher.

L’âge minimum de 40 ans pour être candidat à la présidentielle est une insulte faite à la jeunesse guinéenne. Elle est le cœur battant de la nation, celle qui a toujours payé le prix fort pour la liberté et la démocratie. Écarter la jeunesse du scrutin présidentiel, c’est trahir l’esprit de justice, d’équité et d’inclusion que devrait incarner une Constitution.

Car une véritable démocratie n’exclut pas : elle ouvre.

Une véritable refondation ne verrouille pas : elle libère

Amadou Thyndel Diallo, président de la Nouvelle Dynamique 

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