NOTE DE LECTURE : DAKHLA, UNE INVITATION À DÉCOUVRIR

L’ouvrage de Soukaina Agoujil est inclassable dans la palette des genres littéraires ; le ranger dans une case relève a priori d’une gageure. Lorsque l’on s’immerge dans les 124 pages de ce texte, fascinant par la qualité de la narration comme par les mondes qu’il révèle, l’impression qu’on en tire est d’avoir entre les mains tout à la fois une fresque historique, une autobiographie, un essai historique et quelquefois un plaidoyer nationaliste.

Au commencement était Dakhla. Une localité située au cœur du Sahara, objet d’un contentieux territorial depuis des décennies entre le Maroc et les autonomistes sahraouis soutenus par l’Algérie voisine.

Défenseuse farouche de la marocanité de Dakhla, l’autrice puise également dans la localité de Dakhla de justes raisons qui légitiment sa fierté et son attachement à ce territoire. Dakhla est un coin de paradis sur terre, et ce n’est pas une hyperbole que de l’affirmer. Elle est riche de merveilles naturelles qui l’élèvent à une échelle mondiale pour quelques-unes de celles-ci, qu’il s’agisse de son climat singulièrement apaisant ou de la beauté féerique de ses côtes. Mais Dakhla est aussi riche de ses hommes et du foisonnement des cultures dont elle a été le creuset tout au long de son histoire.

Afin de restituer la richesse de son récit, Soukaina l’articule autour de sept parties qui s’harmonisent comme une orchestration symphonique. De la première partie intitulée Le Sahara marocain, une région au cœur de la nation à la septième partie intitulée Dakhla, carrefour des cultures et de progrès, elle convoque l’histoire, la géographie, mais aussi son lien fusionnel avec cette cité à la fois symbolique et emblématique du Maroc actuel dont les progrès, les grandes ambitions et les grandes réalisations forcent l’admiration du monde entier.

La ville se distingue par ses paysages fabuleux qui fascinent les regards tout autant qu’ils apaisent l’esprit. La poésie des paysages de la ville en fait un lieu de vie privilégié pour tous ceux qui veulent s’extraire de la cadence trépignante de la ville moderne. C’est le même charme qu’exercent certains édifices historiques. Ils ne racontent pas seulement leur propre histoire en raison de leur résistance à l’érosion du temps. Ils ont été les témoins muets du passage des hommes et des événements et, en ce sens, ces édifices restituent dans la pierre un pan de l’histoire du Maroc.

Dakhla est aussi pour l’autrice une plongée dans un océan de réminiscences personnelles et familiales.

En effet, l’autrice effectue à travers cet ouvrage une sorte de “retour au pays natal”, s’il nous est permis de paraphraser le célèbre recueil de poèmes d’Aimé Césaire. Dakhla est en réalité une part d’elle-même. Elle habite à Dakhla tout autant que Dakhla habite en elle. Ses racines personnelles et familiales se trouvent dans cette localité aux mille symboles où elle a vu le jour.

Comme dans de nombreux récits, voire certaines œuvres romanesques. C’est en ce sens que l’histoire personnelle et l’histoire collective ne font qu’une : « Mais avant de comprendre pleinement l’attachement profond qui me lie à Dakhla, il est essentiel de revenir aux racines de mon histoire, à cette enfance bercée par l’amour et les valeurs qui ont façonné ma vie », annonce-t-elle d’emblée dans la quatrième partie intitulée Vivre et grandir à Dakhla.

Cette séquence autobiographique au cœur du récit imprègne l’ouvrage d’une tonalité mémorielle. L’enthousiasme narratif de l’autrice qui émerge de chacune des pages de cet ouvrage est à la hauteur de sa volonté et de sa détermination de graver dans le marbre de la mémoire, et pour la postérité, une histoire personnelle, familiale et nationale dont Dakhla est le prestigieux creuset.

Dakhla, une invitation à découvrir est certes une invitation au voyage dans un passé fabuleux, mais aussi un clin d’œil aux enjeux du présent autour de cette cité. Soukaina ne manque pas d’évoquer l’hostilité longtemps entretenue par l’Algérie, qui aura fait feu de tout bois pour voir Dakhla échapper au Maroc. Son ouvrage est, en ce sens, parfaitement actuel, comme en témoigne la reconnaissance récente par la France du Sahara​ comme partie intégrante du territoire marocain et, plus récemment, le Royaume-Uni : « […] après la restitution du Sahara marocain, l’Algérie a adopté une stratégie visant à déstabiliser la région. Dans les années qui ont suivi cet événement historique, certains membres de familles sahraouies vivant dans les provinces récupérées ont été emmenés de force dans les camps de Tindouf, en Algérie, sous le contrôle de groupes armés créés et soutenus par l’Algérie […]. Cette période difficile reste gravée dans la mémoire collective des Sahraouis et de tous les Marocains. Le rôle joué par l’Algérie, loin de favoriser une résolution pacifique, a contribué à maintenir un climat de division et de privation, rendant encore plus nécessaire la recherche d’une solution juste et durable. »

Toutefois, au-delà de ce devoir de mémoire, le propos essentiel de cet ouvrage n’est pas de contribuer à la résurgence des plaies et des traumatismes du passé.

De Dakhla, Soukaina souhaite que le lecteur retienne les trésors naturels et d’humanisme de cette localité, ses fabuleuses promesses d’avenir dans une mondialisation parfois conflictuelle, dont la pérennité est tributaire d’une véritable philosophie du « donner » et du « recevoir » si chère à Léopold Sédar Senghor : « Vivre à Dakhla, c’était bien plus qu’un simple quotidien, c’était une école de vie, un cocon où l’amour et le respect étaient les pierres angulaires de notre existence. C’est ici que j’ai appris les vraies valeurs, celles qui façonnent un être humain, celles qui nous accompagnent bien au-delà de l’enfance. Une enfance vécue dans cette atmosphère d’affection et de communauté m’a permis de grandir avec une vision du monde pleine de compassion, de respect et d’un profond attachement à ce qui compte vraiment ».

Par Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle

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