Le Président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, a longtemps été salué par les panafricanistes pour son apparente posture de résistance face aux puissances occidentales et son rapprochement stratégique avec la Russie, perçu comme un acte fort de souveraineté nationale.
Le lancement du Sango Coin en 2022, présenté comme une alternative visant à libérer l’Afrique de l’emprise monétaire française, a renforcé son image de leader audacieux et innovant.
Inspirés par cet élan souverainiste, les Chefs d’État de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont eux aussi amorcé un virage géopolitique en direction de la Russie, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, allant jusqu’à rompre les relations diplomatiques avec la France.
Cependant, après avoir bénéficié du soutien militaire des mercenaires russes de Wagner pour contenir les groupes rebelles, le Président Touadéra surprend en sollicitant désormais un appui financier auprès de l’Union européenne pour financer le Programme National de Développement (PND). Un revirement stratégique qui suscite interrogations et débats dans un contexte politique tendu en Centrafrique.
Ce revirement intervient dans un contexte politique national particulièrement tendu, marqué par une vive crispation entre l’opposition et le pouvoir en place. Les meetings de l’opposition sont systématiquement empêchés, et les appels au dialogue restent sans réponse, alors même que le pays se dirige à grands pas vers les élections groupées.
Les élections locales, initialement prévues pour le mois d’août, risquent d’être une nouvelle fois reportées, faute de financement de la part des bailleurs traditionnels, qui tardent à débloquer les fonds nécessaires.
À titre de rappel, dans le cadre du Plan de Relèvement et de Consolidation de la Paix en Centrafrique RCPCA au sortir de la transition en 2016, les forces vives de la nation ont fait bloc autour du gouvernement, dans un élan d’unité nationale. Le chef de file de l’opposition, Anicet Georges Dologuélé, faisait même partie de la délégation officielle envoyée à la table ronde de Bruxelles pour plaider en faveur d’un appui financier destiné à la reconstruction du pays.
Cette mobilisation a permis à la République centrafricaine d’obtenir plus de 2 000 milliards de francs CFA en promesses d’aide. Mais près d’une décennie plus tard, une question centrale reste posée : comment ces fonds ont-ils été gérés et quels en ont été les impacts concrets sur la vie quotidienne des populations ?
Selon un leader de la société civile, « Touadéra et son clan ont écarté tout le monde de la gestion de ces fonds ». Pendant ce temps, plus de 70 % des ménages centrafricains peinent à se nourrir au quotidien.
L’opposition, de son côté, continue d’exiger un rapport clair et transparent sur l’utilisation des fonds mobilisés, soulignant que leur mauvaise gestion pourrait compromettre leur remboursement à terme. Pour l’ancien député Jean-Pierre Mara, « ces fonds n’ont pas servi les intérêts de la population. Des emprunts dilapidés entre amis ne peuvent et ne doivent surtout pas être remboursés par l’Etat ».
Comment les Européens réagiront-ils à ce revirement, alors qu’il y a encore quelques années, ils étaient ouvertement diabolisés par le régime de Bangui et ses alliés, notamment le groupe Wagner ?
Le Président Touadera accusait les occidentaux d’être à l’origine de tous les malheurs du pays, à travers des campagnes de dénigrement et de désinformation diffusées sur les réseaux sociaux.
Accepteront-ils de financer à nouveau des programmes dont les fonds risquent d’être détournés de leur objectif initial, et dont le remboursement, à terme, pourrait poser de sérieux problèmes ?
Pourquoi, dans ce cas, le régime centrafricain ne se tourne-t-il pas vers Moscou pour solliciter cette aide au développement ?
Pour de nombreux observateurs, la Russie agit avant tout comme un prestataire de services sécuritaires, à l’image d’une société privée qui attend une rémunération après chaque mission.
Dès lors, la République centrafricaine aurait tout à gagner en renouant sincèrement ses relations avec les partenaires occidentaux, au lieu de continuer à jouer à un dangereux jeu d’équilibriste entre grandes puissances, dont chacune défend d’abord ses propres intérêts.
Cette offensive diplomatique européenne de quatre jours, entamée par le président Touadéra, pourrait révéler s’il est prêt à assouplir sa posture, tant vis-à-vis de ses opposants politiques que dans ses relations avec l’Occident. Cet assouplissement serait une condition essentielle pour espérer mobiliser les 8 000 milliards de FCFA nécessaires au financement du Programme National de Développement (PND).
Adrien KOUNDOU-ZALIA