Le mardi 13 mai dernier, la junte au pouvoir au Mali a annoncé la dissolution « des partis politiques et des organisations à caractère politique ». C’était au terme d’un décret présidentiel lu à la télévision nationale.
Par Eric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).
Le Mali semble donner raison à ceux qui estiment que dans l’histoire des peuples, il ne faut jamais exclure le pire, même si à certains moments de l’histoire, le meilleur s’impose dans les esprits comme irréversible et tout semble radieux.
L’Amérique actuelle de Donald Trump ne donne-t-elle pas raison à ceux qui expriment ce pessimisme tragique sur la conduite des affaires humaines ? Qui aurait parié qu’au XXIe siècle, sous l’administration Trump, aux Etats-Unis d’Amérique, les libertés démocratiques régresseraient dans des proportions qui rappellent les heures les plus sombres de la chasse aux sorcières du maccarthysme ?
La décision prise le 13 mai 2025 par le conseil des ministres au Mali, sous la présidence du général Assimi Goïta, de dissoudre les partis politiques, dans le cadre de ce que le gouvernement désigne officiellement comme un « processus de réformes », était attendue depuis quelques semaines par le biais de nombreux signes annonciateurs. Il s’est agi au départ de préparer les esprits, voire l’opinion publique nationale et internationale, de tester la capacité de réaction et d’opposition des formations politiques à une décision de cette nature dont seuls les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ont le secret. Dans le communiqué officiel lu à la télévision publique malienne par Mamani Nassiré, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des réformes politiques et du soutien au processus électoral, l’on apprend que le président Assimi Goita « a assigné une mission précise, poursuivre les réformes (…) afin de donner satisfaction au peuple malien sur la base d’un certain nombre de recommandations formulées lors des assises nationales de la refondation » tenues en décembre 2021. Avec comme objectif ultime, précise le même communiqué, de « gérer la vie politique de façon sereine et en harmonie avec notre option de souveraineté ».
Socle de légitimité
La question qui vient immédiatement à l’esprit est celle de savoir quel est le socle de légitimité d’une telle décision. S’il faut invoquer les « assises nationales » de 2021, leur propre légitimité est tout aussi questionnable. L’expérience le prouve largement, de telles assises émettent rarement un son de cloche discordant par rapport à la volonté politique officielle. Pis encore, certaines assises de cette nature sont des caisses d’enregistrement dont les membres, triés sur le volet pour leur inféodation au pouvoir en place, ne font que traduire ses objectifs.
Lorsque le même communiqué officiel se réfère à la « souveraineté » du peuple malien, il va de soi que les auteurs de ce texte anticipent les griefs qui leur seraient faits en raison de leur déficit de légitimité. Soit.
Or, est-il raisonnable de réduire la souveraineté du peuple malien à des assises volontairement partisanes comme celles de 2021 ? Des décisions d’une telle importance, comme celle de s’associer à la création de l’AES et de quitter la Cedeao, ne peuvent être prises qu’à l’issue d’un référendum, lors duquel s’exprime véritablement la volonté du peuple.
Le mode de gouvernance depuis l’arrivée aux affaires du nouveau pouvoir ne manque pas de susciter interrogations et perplexité.
Au fur et à mesure que le temps s’égrène, les militaires au pouvoir au Mali n’ont de cesse de s’éloigner de la feuille de route du processus de transition pour laquelle ils ont été initialement acclamés non seulement par des Maliens, y compris certaines formations politiques aujourd’hui dissoutes, mais aussi par de nombreux Africains.
Non seulement cette feuille de route a été renvoyée aux calendes grecques, mais nul ne peut aujourd’hui dire avec certitude où va le Mali. Ce ne sont pas tant certaines réformes qui font débat, mais surtout l’absence de cap. Tout ce qui se passe depuis quelques mois donne l’impression d’une navigation à vue, d’une gestion de l’Etat à la petite semaine.
Les militaires au pouvoir doivent se reprendre
Il est important pour le pouvoir actuel de ne pas perdre de vue que le monde est rentré dans une ère où il n’est plus possible aux gouvernants de se soustraire à tout contre-pouvoir et à la reddition des comptes.
Même leur protecteur et mentor Vladimir Poutine, s’est présenté devant le peuple russe pour légitimer son pouvoir par les urnes en dépit du verrouillage du système politique dans ce pays. En Chine, Xi Jinping, quoiqu’investi d’un immense pouvoir, se concerte de manière régulière avec le parti communiste chinois et ne prend guère de décisions importantes pour l’avenir de l’Empire du Milieu sans consulter le parti.
À l’exception peut-être de la Corée du Nord, il n’est guère possible aujourd’hui de neutraliser tout contre-pouvoir dans un Etat, surtout lorsque dans une région comme l’Afrique de l’Ouest, vous évoluez dans un environnement régional avec des régimes dont le mode de gouvernance se veut démocratique.
L’horizon est d’autant plus incertain en l’absence d’un projet politique de substitution qui serait implémenté dans une trajectoire temporelle claire. Ce n’est qu’ainsi que dans une société, on parvient à mobiliser les énergies et à fédérer les volontés individuelles autour d’un projet véritable de transformation sociale.
Le Mali est confronté aujourd’hui à plusieurs défis: reconquérir et protéger l’intégrité territoriale du pays, résorber le péril djhihadiste, faire progresser les standards sociaux pour le bien-être des Malien et surtout organiser des élections générales pour mettre un terme à la transition militaire.
Seule une union sacrée des Maliens relèvera ces défis colossaux.