Dans la capitale du Niger, les impressionnantes scènes de camions, de caravanes de chameaux et d’ânes qui reviennent à la nuit tombée chargés d’énormes cargaisons de bois se font rares. Une des conséquences de la pression de plus en plus importante des jihadistes dans les zones forestières.
Niamey éprouve des difficultés croissantes à se ravitailler à partir du sud-ouest du pays, région proche du Burkina Faso où les jihadistes, très présents, interdisent le commerce du bois.
Dans la capitale de près de deux millions d’habitants, 90% des ménages utilisent le bois pour la cuisine ou l’éclairage, selon les services des Eaux et Forêts.
En plus des repas quotidiens, le bois est utilisé pour les festins de mariage et baptême, et le jour de la fête musulmane de l’Aïd al-Adha où plus de 54.000 tonnes de bois -soit près du quart de sa consommation annuelle- sont généralement consommées pour griller des centaines de milliers de moutons sacrifiés.
Les dernières forêts de ce pays sahélien en grande partie désertique sont situées à moins de 100 km de Niamey. Mais l’armée doit y faire face « aux menaces terroristes persistantes » liées « notamment aux engins explosifs improvisés » sur les routes.
« Les commerçants du bois sont dans le désarroi et la désolation totale, parce que 90% de leurs zones d’approvisionnement sont occupées (perturbées) par l’insécurité », déclare à l’AFP Mamane Seydou le secrétaire général de l’Association nationale des exploitants de bois du Niger (ANEB).
Selon des sources locales, les jihadistes qui se contentaient de réguler la coupe du bois en percevant des taxes interdisent désormais sa coupe dans leur zone d’influence.
« Ces zones sont des caches des terroristes (…) ils disent que nous détruisons leurs refuges (…) maintes fois ils nous ont donné des avertissements », explique Mamane Seydou.
« De 2015 à aujourd’hui, les terroristes ont tué 24 de nos chauffeurs et leurs apprentis et ont brûlé 52 camions », poursuit-il.
« Nous risquons nos vies, alors nous avons arrêté d’aller dans ces endroits dangereux », assure le chauffeur de camion Hassane Gourouza.
Selon le Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement Local (LASDEL), les forêts qui longent le Burkina Faso qui étaient « une zone de repli traditionnelle pour les groupes de bandits » le sont maintenant pour « les groupes jihadistes ».
Ces groupes armés voient dans « la coupe du bois » un facteur qui « réduit » et « expose » leurs zones « de vie et de repli », souligne le laboratoire d’études.
Pour cela, ils « menacent, kidnappent, chicotent (frappent) » ceux qui coupent le bois et « brulent les camions », indique-t-il.
« Camions et charretiers ne peuvent plus aller en brousse » et « la plupart des marchés » du bois ont « fermé », témoigne un ancien élu du sud-ouest. Pour éviter une pénurie totale, les camions vont vers les zones semi-désertiques au nord-ouest de Niamey, tous d’anciens épicentres des violences jihadistes mais qui sont désormais relativement calmes.
Selon les exploitants de bois, il faut passer une semaine en brousse pour ramener une seule cargaison de bois, au lieu de quatre à cinq cargaisons avant la crise sécuritaire.
Conséquence, les prix flambent. La cargaison de bois qui coûtait 100.000 FCFA (150 euros) dans le sud-ouest, vaut entre 300.000 à 350.000 FCFA (450 euros et 530 euros), illustre Maman Seyni.
Le chiffre d’affaire annuel pour la seule capitale, estimé à plus de 3 milliards FCFA (plus de 4,57 millions d’euros), est « en chute libre », d’après l’ANEB.
« Après la flambée de plusieurs produits, c’est à présent le bois qui est cher », grimace Aïssa, une ménagère et mère de six enfants. Le charbon minéral apparaît comme l’alternative la plus commune. « Le gaz, c’est bien compliqué et coûteux pour nous. Depuis deux ans, j’utilise le charbon », confirme Fati Ibrahim, une autre ménagère.
Cette ruée vers des zones peu boisées inquiète également des ONG.
« Si cette coupe à grande échelle continue, inévitablement ça conduira à l’épuisement du bois et au désastre écologique », prévient Islamane Almoustapha, un militant Vert. Il juge « urgent » de relancer les campagnes de promotion du gaz et du charbon produits localement afin de freiner la déforestation « sauvage ».