Le 21 avril 2005, François Akila-Esso Boko rendait le tablier de son poste de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Il refusait de faire partie de ceux qui ont plongé le Togo dans ses plus sombres pages de l’histoire, pour ne pas dire « les plus sanglantes ». Vingt ans plus tard, marquées par le règne de Gnassingbé fils, le Togo est toujours confronté à une « démocrature » selon l’ex-ministre, qui estime que ce qui se passe actuellement dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest n’est que la suite logique des convictions politiques fondées sur le refus de l’acceptation de l’état de droit.
François Akila-Esso Boko le réitère dans cet entretien qu’il a accordé à votre site lesnouvellesdafrique.info.
Lesnouvellesdafrique.info : François Boko, bonjour.
François Boko : Bonjour.
Lesnouvellesdafrique.info (LNA) : M. François Boko, le 21 avril 2005, jour pour jour, vous démissionniez de votre poste de ministre de l’Intérieur de la Sécurité et de la Décentralisation. 20 ans après, qui coïncide avec les vingt (20) années d’accession au pouvoir de Faure Gnassingbé considérées comme les plus sanglantes de l’histoire politique du pays, vous ravivez cette lettre que vous avez intitulée « Par devoir de mémoire ». Pourquoi ?
François Boko : Tout simplement par devoir de mémoire afin que nul ne l’ignore et que la nouvelle génération comprenne ce que les autorités togolaises lui cachent aujourd’hui, à savoir leur volonté de conserver vaille que vaille un pouvoir en marchant sur le cadavre des Togolais.
Nous ne sommes pas étonnés que ces 20 années soient considérées comme les plus sanglantes de l’histoire politique du pays, comme vous le dites. Nous les avons vues venir et c’est pour cela qu’en 2005 déjà nous avons refusé de cautionner ce processus sanglant de captation de pouvoir en violation des règles constitutionnelles de notre pays. Car déjà, avant 2005, Faure Gnassingbé le disait clairement qu’il ne croyait pas en la démocratie comme principe de fonctionnement de nos sociétés.
Ce que l’on voit aujourd’hui dans le comportement du régime togolais, c’est qu’il est prêt à sacrifier la vie des Togolais pour se maintenir. Ce n’est que la suite logique de ses convictions politiques fondées sur le refus de l’altérité, de la démocratie et de l’état de droit. Pour lui, seul l’outil militaire domestiqué à sa volonté est son instrument de gouvernance, le reste n’est que folklore et habillage pour donner un semblant de vernis à cet instrument de gouvernance que constitue une soldatesque de clientèle d’enfance triés sur le volet pour constituer une milice armée capable de tuer pour le maintenir au pouvoir.
Nous sommes en présence de ce que j’ai appelé dans mes recherches antérieures la « démocrature », c’est-à-dire une dictature habillée dans une démocratie formelle.
Je tenais à ce devoir de mémoire afin que les Togolais sachent que ce qu’ils vivent aujourd’hui n’est que la conséquence des convictions politiques de Faure Gnassingbé qui s’est emparé du pouvoir dans le sang pour mettre en œuvre une gouvernance politique violente et oppressive, avec des outils destinés à pérenniser son pouvoir à vie.
LNA : Une partie de la société civile dénonce un triste anniversaire de l’histoire politique du Togo marquée d’une part par une gouvernance qui octroie les pleins pouvoirs au président de la République, d’autre part par un contexte où le rétrécissement de l’espace civique est flagrant. Quelle appréciation en faites-vous ?
François Boko : Faure Gnassingbé a volé le pouvoir en 2005, alors que l’espace civique n’était pas encore complètement fermé, puis il s’est employé à le verrouiller au point qu’aujourd’hui il n’existe même plus. Très récemment d’ailleurs, lors d’un congrès de son parti UNIR, il a osé un faux lapsus en disant qu’il était nostalgique du parti unique. Un an après, on ne peut que constater qu’il est véritablement sur la voie de jeter par pertes et profits les derniers vestiges du pluralisme politique issus des luttes que les Togolais ont menées au début de la décennie 1990. Les Togolais doivent se réveiller, car ce qui se joue désormais n’est rien de moins que le règne à vie du pouvoir de Faure Gnassingbé dans le cadre d’une monarchie pas même constitutionnelle de roitelet de comptoir côtier.
LNA : L’instauration de la nouvelle constitution promulguée, qui consacre le parti au pouvoir majoritaire à l’Assemblée nationale, n’est-ce pas selon vous une manière de conforter le président Faure dont le mandat finit le mois de mai prochain ? Mais encore faciliter la transition avec ce régime parlementaire qui dit que lui et le président du Conseil des ministres sont élus par les députés ? Je rappelle que tous les deux sont issus du parti majoritaire à l’Assemblée nationale.
François Boko : Non, conformément à la prétendue nouvelle constitution de la Ve République, seul le Président de la République est élu par les deux (02) chambres, notamment l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès. Le président du Conseil des ministres qui dispose de la réalité du pouvoir d’État n’est quant à lui pas élu. Il est tout simplement désigné par le parti majoritaire qui en informe le président de l’Assemblée nationale de cette désignation.
Il n’est donc pas un élu et, comme vous pouvez le constater, il n’a aucune légitimité. Le président de la République est en revanche élu par des godillots siégeant dans les 2 chambres, notamment à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il peut néanmoins se targuer d’avoir au moins été élu, contrairement au président du Conseil des ministres qui, lui, est désigné. Et c’est pourtant ce dernier qui est le chef de l’État et qui incarnera le pouvoir d’État du Togo à l’intérieur comme à l’extérieur. « Allez-y : cherchez l’erreur !»
En réalité, là, nous sommes véritablement en face d’une « démocrature ». Les pseudos institutions parlementaires telles que le Sénat, l’Assemblée nationale, la présidence de la République, la présidence du Conseil des ministres, etc. ne sont qu’un habillage pour masquer la gouvernance brutale de Faure GNASSINGBÉ fondée sur la violence, les assassinats, l’étouffement et la suppression des espaces politiques et civiques pour agir en monarque absolu.
LNA : la désignation du président Faure Gnassingbé comme prochain président du Conseil des ministres est automatique, pour ne pas dire une évidence. Comment concevoir cet état de fait si l’on sait qu’il est le président du parti Unir, le parti majoritaire à l’hémicycle ?
François Boko : Comment peut-il en être autrement dès l’instant que tout cet habillage institutionnel payé à grands frais par le contribuable togolais n’avait qu’un seul objectif : pérenniser le pouvoir de Faure Gnassingbé qui, après quatre (04) mandats successifs, était confronté à la nécessité d’une alternance politique exigée par les Togolais et relayée d’ailleurs par une partie de la communauté internationale restée fidèle aux aspirations du peuple togolais pour la démocratie ?
Vous comprenez alors que ces pseudos-institutions parlementaires visent un seul objectif : montrer aux yeux du monde que Faure Gnassingbé n’est plus président de la République et qu’il y a eu alternance au Togo. Une bien curieuse démocratie parlementaire dans laquelle le Président de la République est un élu réduit à la figuration et le chef de l’État, notamment le président du Conseil des ministres, qui n’est pas un élu mais qui détient la réalité du pouvoir.
Ces pseudos institutions parlementaires à la togolaise portent les germes de conflits que les éléments tribaux les plus radicalisés autour de Faure Gnassingbé ont créés. Récemment, ils n’ont pas hésité, au palais des congrès de Kara, à exiger que Faure Gnassingbé soit à la fois président du Conseil des ministres et président de la République. Dans tous les cas, les débats furent houleux. Les propositions de modification de la Constitution de la prétendue 5ᵉ République sont déjà sur la table alors que cette constitution promulguée n’a pas encore connu d’application.
LNA : Peut -on dire que la démocratie au Togo a connu un recul ces deux dernières décennies ?
François Boko : La démocratie au Togo n’a jamais existé. Il est juste une « démocrature » héréditaire qui, avec la résignation du peuple togolais malmené et sous le regard indifférent de la communauté internationale, se transforme en une monarchie dictatoriale, hélas sans histoire monarchique ancrée dans la culture togolaise.
LNA : Que répondre à ceux qui ne voient pas d’un bon œil le choix porté en la personne du président Faure comme le médiateur de la crise en RDC en remplacement de son homologue angolais Joao Lourenco ?
François Boko : La diplomatie togolaise, pour autant qu’on puisse encore l’appeler ainsi, n’a qu’un seul objectif : donner à Faure Gnassingbé de la visibilité et surtout la légitimité internationale qu’il n’a jamais eue dans son propre pays. Alors son globe-trotter de ministre des Affaires étrangères saute d’avion en avion à la recherche de la moindre crise dans laquelle il peut proposer les bons offices de son mentor. Faure Gnassingbé veut ressembler à son père, qui avait fait de la médiation internationale un axe politique malgré des résultats très peu probants. Faure Gnassingbé s’est impliqué sans résultat dans la crise terroriste au Sahel dans laquelle il a osé proposer à la France un dialogue avec les terroristes. Évidemment, Paris avait gentiment décliné l’offre et Le Canard enchaîné avait fait état de cette initiative indécente.
Faure Gnassingbé et sa diplomatie ont offert leurs prétendus bons offices aux frères ennemis du Tchad en organisant des rencontres sans résultat à Lomé.
La diplomatie de Faure Gnassingbé s’est encore ridiculisée au Soudan en s’impliquant malencontreusement dans une crise dont elle ne maîtrisait aucun des enjeux.
Je ne suis plus étonné qu’après toutes ces initiatives ridicules et inconséquentes, Faure Gnassingbé s’engage de nouveau dans le vieux conflit en RDC. Il n’en a ni la légitimité ni la carrure, encore moins l’expertise nécessaire.