Vers la fin de l’état de grâce des paramilitaires de Wagner?

Vers la fin de l'état de grâce des paramilitaires de Wagner?

Par Eric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle.

Ils étaient annoncés en libérateurs du continent africain du joug néocolonial d’une France qui ne voulait pas voir « mourir l’Empire » et le faisait savoir par le biais de ses bases militaires en Afrique, ou de ses forces armées d’interposition sous mandat onusien comme en République Centrafricaine ou au Mali. 

Les paramilitaires du groupe Wagner (remplacé par Africa Corps) désignés par cet euphémisme lorsqu’on veut s’abstenir de faire usage du terme mercenaire, sont manifestement de moins en moins en odeur de sainteté en Afrique. Il y’ a d’ailleurs lieu de se demander s’ils l’ont jamais été, tout au moins de qui. Assurément et sans contexte, de ceux-là dont ils protègent les situations de pouvoir et de rente. 

La récente manifestation publique dans les rues de Bangui qui a rassemblé des forces d’opposition, de la société civile et une foule nombreuse est inédite en Afrique subsaharienne pour ne pas être scrutée. Les manifestants ont exprimé deux revendications majeures.

D’une part leur hostilité à un troisième mandat du chef de l’Etat sortant, Faustin-Archange Touadéra, d’autre part le départ du groupe Wagner dont ils estiment la présence en République Centrafricaine essentiellement dédiée à la perpétuation au pouvoir du chef de l’Etat sortant, candidat à sa propre succession  lors de l’élection présidentielle de décembre 2025. 

Force est de constater qu’au-delà des joutes politiques internes en RCA, les mercenaires de Evgueni  Prigojine, comme dans d’autres États africains, ont largement perdu le crédit dont ils étaient supposés être auréolés à leur arrivée sur le continent africain.

Mépris évident et violations des droits de l’Homme

Alors que leur arrivée était censée contribuer à la défense de la souveraineté des pays hôtes et de leurs institutions républicaines, ce bras armé de Vladimir Poutine en Afrique s’est illustré par un mépris évident pour ces pays dont ils foulent aux pieds les institutions et ceux qui les incarnent, ainsi que les populations civiles sur lesquelles ils se rendent coupables de pires exactions.

Au Mali comme en République Centrafricaine, de nombreuses violations de droits humains par les paramilitaires de Wagner, des traitements inhumains et dégradants sur les civils, ont été notoirement documentés.

 En 2022, Michelle Bachelet, alors Haut-Commissaire aux droits de l’Homme des Nations unies, tirait déjà sur la sonnette d’alarme : « Au cours des trois derniers mois de 2021, la Division des droits de l’homme de la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA) a documenté 363 incidents de violations des droits de l’homme, d’abus et d’infractions au droit humanitaire international – dont beaucoup sont extrêmement graves. 848 victimes ont été enregistrées. (…) Quelque 59% de ces incidents ont été attribués aux groupes armés signataires de l’Accord de paix de février 2019. Les forces de sécurité nationales et leurs alliés étaient responsables de 40% des incidents – une forte augmentation par rapport aux 23% enregistrés en janvier 2021 ».

 De ce rapport, il apparaît que les mercenaires de Wagner sont devenus au fil du temps un problème dans le problème centrafricain. Leurs capacités de dissuasion, de répression et de coercition semblent davantage mobilisées pour la protection de l’instance politique tutélaire qui les rémunère. 

Par ailleurs, en raison de cette ascendance de fait qu’ils ont acquise sur les autorités régaliennes, les hommes de Wagner en République Centrafricaine, comme l’attestent de nombreux rapports et des investigations de terrain, peuvent se livrer en toute impunité à des activités d’exploitation et de prédation des richesses nationales. Dès lors, il y’a lieu de se demander s’ils ne finissent pas par faire regretter dans une certaine frange de la population les forces françaises… 

Contrairement à ces dernières, les paramilitaires de Wagner sont exempts de toute reddition de comptes, leurs agissements ne sont susceptibles d’aucun recours en Russie comme ça pourrait l’être d’un militaire français coupable de crimes sur un théâtre d’opérations étranger.

Le debut de la fin d’une page?

Les manifestations de défiance, voire de rejet des paramilitaires de Wagner en République Centrafricaine, sont à n’en pas douter le signe annonciateur d’une page qui se tourne et la fin d’une illusion qui n’aura pas fait long feu. Cette désaffection des populations africaines envers ces hommes armés sans aucune formation civique et parfois aux casiers judiciaires fort peu recommandables, pose le sempiternel problème d’armées africaines authentiques, véritablement républicaines, suivant le concept armée-nation. 

 Or, la réalité qui pose problème dans l’exemple des manifestations récentes en RCA, c’est le sentiment que ces forces étrangères sont davantage dédiées à la protection d’un pouvoir autocratique. En ce sens, il n’y a véritablement rien de nouveau sous le soleil en Afrique. Les précédents historiques d’un Bob Denard ou des mercenaires sud-africains dans certains Etats africains ne sont pas de l’histoire ancienne. 

 Mais rétrospectivement, force est de constater que toutes ces aventures paramilitaires n’ont pas connu d’épilogue glorieux pour ceux qui croyaient en faire une panacée pour leur maintien aux affaires ad vitam aeternam.

Get real time updates directly on you device, subscribe now.