« Les œuvres africaines restent dépendantes des subventions qui se raréfient de plus en plus », Drasco Jah (réalisateur et scénariste burkinabè)

Au Fespaco 2025, si le réalisateur Dani Kouyaté a remporté la plus prestigieuse récompense avec l’Etalon d’or du Yennega pour son long métrage « Katanga, la danse des scorpions » lors de cette 29ème édition qui a baissé les rideaux hier samedi 01 mars, tel n’a pas été le cas pour son collègue Dramani Gnessi. Plus connu sous le sobriquet « Drasco Jah », le réalisateur et scénariste burkinabé en compétition pour son film « le grand mystique et les cousins zinzin »avec dix neuf (19) autres dans la catégorie Burkina Films, une section qui concerne les meilleures productions nationales de films de fictions, de documentaires en long et court métrages n’a pas obtenu de prix.

Présent dans la capitale burkinabé, cet originaire de Bobo-Dioulasso, ville culturelle du Burkina-Faso et fondateur d’une société de production audiovisuelle nous a livré ses impressions surl’industrie cinématographique africaine dans cet entretien.

lesnouvellesdafrique.info (LNA) : votre film : « le grand mystique et les cousins zinzin » était en compétition avec 19 autres films sélectionnés dans la catégorie Burkina films toutefois il n’a pas été retenu au final. Le film a été projeté le 24 février dernier dans le cadre du Fespaco. Êtes-vous surpris de cette sélection ? Est-ce une première pour vous ?

Drasco Jah : Cette sélection est ma deuxième participation au FESPACO. J’étais en compétition au Fespaco 2023 dans la catégorie Series télévisuelles avec ma série « L’IMAM, LE POULET ET LE PASTEUR ». Cela fait toujours plaisir de voir son travail sélectionné dans un festival aussi prestigieux que le Fespaco. Cela signifie quelque part qu’il y a du sérieux et de la qualité dans le travail que nous faisons. Pour cette fois encore, je n’ai malheureusement pas obtenu de prix. Vous savez, les comédies ont moins de poids que le drame au Fespaco. Quand même il n’y a point de découragement car nous nous sommes fixés comme objectif d’être présent au moins avec un film pour chaque édition. Nous allons continuer à travailler.

LNA : justement, le titre de votre film est parlant. Vous dégagez deux thématiques importantes : le vivre-ensemble et le business de l’immigration. Pourquoi ce choix ?

Drasco : nous avons choisi de parler du vivre-ensemble parce que c’est le socle pour une nation stable et prospère. Si le vivre-ensemble est mis à mal, les efforts qui auraient pu être orientés vers le développement seront consacrés à réparer la fracture du tissu social. Nous avons aussi décidé de parler un peu de l’immigration pour exposer les dangers auxquels s’exposent les jeunes qui veulent aller en occident coûte que coûte. Autour de nous, on voit souvent des familles qui sacrifient tout juste pour qu’un des leurs aille en Europe alors que si cet argent était investi ici, ça aurait pu rapporter beaucoup à ces familles. Oui à l’immigration quand c’est pour aller vendre ses compétences ou chercher du savoir pour venir bâtir l’Afrique.

LNA : parlant toujours de votre film qui est un mélange de comédie et de réflexion sur la cohésion sociale, dans certains passages, vous mettez en lumière un aspect de la société africaine qu’est la pratique du mystique ou encore de la sorcellerie. Pourquoi ce choix ?

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Drasco : un personnage important du film est celui du Grand Mystique qui lit l’avenir et propose des solutions efficaces aux problèmes de ses clients. Malheureusement certains de ses clients en font à leur tête et en payent le prix. Ce personnage est un symbole parce qu’au fond de chacun de nous, il ya un grand Mystique qui connaît la vérité et le chemin mais que souvent nous décidons volontairement de réduire au silence parce qu’il est en désaccord avec nos désirs et nos volontés. Les conséquences sont souvent désastreuses quand on agit ainsi et cela se voit dans le film.

LNA : Comment se porte Cinemask Productions ? Je rappelle pour nos lecteurs que vous capitalisez 11 ans d’expérience dans la production audiovisuelle. Vous êtes le fondateur d’une société de production audiovisuelle qui est très reconnue dans l’industrie locale du Burkina.

Drasco : en douze (12) ans de carrière, nous avons réalisé plus d’une centaine de clips vidéo, des dizaines de films d’institutions et cela nous a permis de financer nos projets cinématographiques. Nous avons donc produit et réalisé trois (03) longs métrages fiction et une série télévisuelle de vingt (20) épisodes de 26 minutes chacun que nous voulons développer à 30 épisodes pour faciliter la vente.

LNA : Comment se porte le cinéma burkinabè d’ailleurs selon vous ?
Drasco : Le cinéma Burkinabè souffre du manque de financement comme un peu partout en Afrique. Les films sortent de moins en moins et cela contraint beaucoup de techniciens à aller voir ailleurs. Les quelques films qui sont produits par an ont du mal à être rentabilisés au regard du manque de salles de cinéma et de plates-formes sérieuses de streaming. Nous avons deux (02) salles de cinéma fonctionnelles pour toute la ville de Ouagadougou et une salle pour Bobo-Dioulasso. Tant que les productions auront du mal à rentabiliser les films, elles se tourneront toujours vers l’Etat pour demander un appui pour faire des films. Et ce n’est pas ainsi qu’on construira une industrie cinématographique forte.

LNA : le cinéma africain a-t-il progressé et quels sont les freins à son épanouissement ?

Drasco : pour chaque FESPACO, on constate que les œuvres africaines sont de plus en plus belles et originales. Malheureusement en dehors de quelques pays, on ne peut pas parler d’industrie cinématographique parce que nous sommes trop dépendants des subventions qui se font de plus en plus rares d’ailleurs. Le problème de l’exploitation et de la distribution, donc de la rentabilisation se pose toujours. Hormis des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et certains pays du Maghreb, combien de pays disposent d’entreprises qui peuvent produire des films à hauteur de 2 ou 3 milliards et le rentabiliser ? Les budgets de nos plus gros projets de film sont les budgets de film à petit budget dans certains pays comme les États-Unis. Quel est le plus gros succès de cinema cette année et combien a-t-il rapporté? Est-ce de près comparables au box office d’un film comme « The Woman King »?

Nos pays doivent construire ou faciliter la construction de salles de cinéma modernes pour faciliter l’exploitation des films. Nos chaînes de télé doivent aussi privilégier nos films au lieu d’aller acheter les films venus d’ailleurs. Il ya aussi le streaming qu’il va falloir développer aussi pour permettre aux films africains d’être accessibles partout dans le monde. Tout cela n’est pas nouveau. Des réflexions ont déjà été faites sur toutes ces questions et des solutions ont été proposées. Nous devons nous bouger pour que tout cela se démêle vite pour éviter l’asphyxie. L’Afrique a tellement de choses à raconter, tellement de narratifs nouveaux à proposer, tellement de préjugés à déconstruire, tellement de belles images à faire voir au reste du monde que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de traîner les pieds encore longtemps.

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