Entre la RDC et le Rwanda : casse-tête ou double jeu chinois ? ( Béthel Mandékor, spécialisé dans les questions géopolitiques en Afrique et dans le monde)

Entre la RDC et le Rwanda : casse-tête ou double jeu chinois ? ( Béthel Mandékor, spécialisé dans les questions géopolitiques en Afrique et dans le monde)

Le conflit au Nord-Kivu, dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), est une guerre complexe, souvent invisible aux yeux du monde mais qui fait pourtant rage, avec des conséquences dévastatrices pour la région.

Les affrontements entre les Forces armées de la RDC (FARDC) et les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, s’intensifient, et derrière ces violences, un acteur stratégique semble tirer les ficelles en coulisses : la Chine. Bien que Pékin se présente officiellement comme un allié de Kinshasa, renforçant la coopération militaire et soutenant la souveraineté de la RDC à travers la fourniture d’équipements modernes, la réalité de ce partenariat est bien plus complexe. Il apparaît désormais que Pékin joue sur plusieurs tableaux, fournissant de l’armement tant à la RDC qu’au Rwanda et exacerbant ainsi la violence dans la région, avec des implications inquiétantes pour la stabilité du pays et de toute la région.

Vente d’armement militaire chinois dans la région

La Chine a fourni à la RDC un arsenal militaire conséquent, incluant des drones de combat. En mai 2024, 3 drones chinois CH-4 Rainbow ont été livrés à la RDC, faisant partie d’une commande de 9 appareils passée en février 2023[1]. Ces drones, produits par la China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC), sont destinés à renforcer les capacités offensives des FARDC contre le M23. Ils ont rapidement montré leur efficacité, avec des frappes précises contre des dépôts d’armement et des installations rebelles, dont un poste de commandement du M23 dans le Nord-Kivu le 16 janvier 2024, tuant plusieurs membres clés du groupe rebelle[2].

En décembre 2024, un important chargement d’armes chinoises est arrivé au port de Matadi, comprenant plus de 300 conteneurs d’équipements militaires produits par Norinco[3]. Parmi ce matériel, des fusils d’assaut, des mitrailleuses lourdes, des mortiers et des lance-roquettes antichars. Cette livraison s’inscrivait dans la continuité d’un accord militaire signé en 2009 entre Kinshasa et Pékin, qui prévoit des formations, des équipements militaires et des infrastructures au profit des FARDC.

Pourtant, les données en sources ouvertes permettent d’affirmer que la Chine a aussi équipé le Rwanda de systèmes anti-drones sophistiqués : en février 2024, il a été rapporté que le Rwanda disposait de systèmes LAD-LATTA SAM VCI WZ551 d’origine chinoise. Ces systèmes, particulièrement efficaces pour lutter contre les drones – dont ceux de fabrication chinoise – auraient par exemple réussi à abattre un drone CH-4 de la RDC en février 2024[4].

Cet approvisionnement chinois en matériel militaire vers le Rwanda n’est pas nouveau. Dès 2014, le Rwanda avait déjà acquis des systèmes anti-aériens chinois Dragon Céleste 50[5], considérés à l’époque comme les plus avancés d’Afrique de l’Est.

Plus récemment, en 2022[6], du matériel militaire chinois a été retrouvé dans les mains des rebelles du M23[7], bien que la Chine ait nié toute implication directe dans l’approvisionnement de ces groupes armés[8].

Alors que la Chine pourrait être impliquée dans des livraisons d’armes au M23, il semblerait que les drones chinois fournis à la RDC soient en réalité peu efficaces.

Selon plusieurs sources locales, lors de la récente attaque de Goma par les rebelles du M23[9], les drones CH-4 de la RDC se seraient révélés inopérants, ce qui soulève des interrogations sur leur fiabilité en situation de combat réel[10] [11]. Parmi les observateurs, l’hypothèse circule que la Chine pourrait avoir volontairement facilité l’aveuglement des drones, notamment par le biais de brouillages de fréquences ou d’autres technologies les rendant inutilisables.

En résumé, et alors que la Chine livre des armes à la RDC (notamment des drones), il est avéré qu’elle livre également du matériel au Rwanda, pourtant en conflit avec la RDC. En outre, certains éléments laissent à penser qu’elle aurait été impliquée dans des livraisons d’armements pour le groupe rebelle M23. Mais les prétentions chinoises en RDC ne s’arrêtent pas là : les systèmes anti-drones fournis par la Chine au Rwanda serviraient à détruire les drones chinois livrés à la RDC, tandis que les observateurs avancent également une responsabilité dans le mauvais fonctionnement des drones CH-4 livrés à la RDC.

Ces faits suggèrent que la Chine, en armant à la fois la RDC, le Rwanda et potentiellement le M23, adopte une stratégie complexe de contrôle indirect des différents acteurs du conflit. D’un côté, elle soutient les forces gouvernementales congolaises en leur fournissant des drones, et de l’autre, elle soutient le Rwanda avec des technologies de défense permettant de contrer ces mêmes drones. Le conflit serait donc un conflit « Chine contre Chine »[12], puisque Pékin arme les deux côtés. Ce paradoxe pourrait être interprété comme une manière pour la Chine de maintenir une position dominante dans la région, en profitant de la guerre tout en gardant un levier sur les deux belligérants.

L’implication potentielle de la Chine auprès du M23 ajoute une couche à cette dynamique, suggérant une stratégie visant à manipuler toutes les parties en présence pour maximiser ses intérêts géopolitiques et économiques. En outre, l’influence chinoise sur les systèmes de défense rwandais pourrait être vue comme un moyen de maintenir un équilibre instable, en garantissant une dépendance continue des différents acteurs vis-à-vis de ses technologies militaires.

Dans cette configuration, la Chine semble jouer un double jeu, armant à la fois la RDC, le Rwanda et possiblement le M23. La question est donc la suivante : à quoi joue Pékin dans l’est de la RDC ? Quelles sont les réelles motivations de la Chine ? Motivations qui semblent dépasser ses seuls intérêts militaires.

La détention des ressources minières comme véritable enjeu

La région du Kivu, en particulier, regorge de minerais stratégiques et grandement convoités tels que le coltan, mais aussi l’or, le lithium et d’autres métaux rares. Grande consommatrice de ces ressources pour alimenter son industrie technologique, la Chine est dépendante de cet accès aux matériaux rares, ce qui la pousse à chercher par tous les moyens à sécuriser son accès à ces gisements. Le contrôle de ces ressources naturelles est donc au cœur de la stratégie chinoise, ce qui l’a poussée ces dernières années à développer une présence économique significative en RDC.

En 2008, la Chine signait avec la RDC le « contrat du siècle » : « sous forme de troc – cobalt et cuivre contre la construction d’infrastructures – avec un consortium chinois, pour un montant de 6 milliards de dollars »[13]. En réalité, les contrats signés entre la RDC et la Chine ont souvent des conditions opaques, voire illégales[14], et favorisent largement les intérêts chinois au détriment des acteurs locaux[15] et de l’environnement[16]. Pour preuve : le Fonds monétaire international (FMI) avait imposé un montant limite à l’accord signé en 2008 par peur d’un surendettement congolais, et du risque que la RDC devienne « redevable de la partie chinoise si les quantités de minerai prévues n’étaient pas extraites »[17]. En favorisant la dépendance de la RDC à ses contrats miniers, Pékin s’assure de garder un contrôle indirect sur les ressources stratégiques de la région, tout en empêchant la RDC de s’émanciper de son emprise.

Au vu de cette coopération bilatérale développée, et des intérêts stratégiques majeurs l’entourant, la logique voudrait que la Chine se range du côté de la RDC dans l’affrontement qui l’oppose au Rwanda. Pourtant, force est de constater que les actions chinoises dans la région révèlent en réalité une stratégie « tous azimuts ». En parallèle de sa coopération étroite avec la RDC, la Chine montre également un intérêt croissant pour les ressources naturelles du Rwanda, notamment les minéraux stratégiques comme le coltan, élément essentiel dans la fabrication des smartphones[18]. Des investisseurs chinois sont ainsi présents à la fois en RDC et au Rwanda pour l’exploitation des richesses minières, nourrissant de facto les tensions régionales[19], et poussant ainsi les deux pays au conflit.

Mais pourquoi la Chine entretient-elle donc des coopérations économiques avec deux Etats rivaux ?

Ces derniers mois, des indices laissaient à penser que la RDC tentait d’échapper à l’influence chinoise, notamment dans le secteur minier. En octobre 2024, le ministre des Mines, M. Kizito Pakabomba, a lancé des initiatives pour attirer de nouveaux investisseurs, et reprendre le contrôle des exportations de cobalt, un secteur largement dominé par les entreprises chinoises[20]. La RDC cherche donc à diversifier ses partenariats et à réduire sa dépendance aux routes commerciales orientées vers l’Asie, en particulier la Chine, par la mise en place de projets d’infrastructures. Consciente que la diversification des partenaires de la RDC met en péril ses contrats miniers, et soucieuse de conserver ses accès stratégiques à certaines ressources, la Chine cherche ainsi à renforcer sa présence dans d’autres pays, notamment au Rwanda.

En soutenant à la fois la RDC et son rival rwandais, la Chine parvient à nourrir la guerre tout en préservant ses investissements et en consolidant son emprise dans la région. Ce double jeu, loin d’être hasardeux, répond à une logique implacable : Pékin redoute de perdre ses accès stratégiques aux ressources essentielles, que ce soit en RDC ou au Rwanda. En armant les différentes parties prenantes du conflit, la Chine génère une instabilité qui lui assure une place incontournable dans l’échiquier régional. Peu importe l’issue des affrontements, la Chine en ressort gagnante, consolidant ainsi son influence et son pouvoir de négociation sur des contrats toujours plus avantageux[21].

Le double jeu de Pékin : entre neutralité apparente et influence cachée

En parallèle de ses actions prédatrices, la Chine a adopté sur la scène internationale une diplomatie opportuniste en prônant officiellement la neutralité et le respect de la souveraineté des nations, notamment celle de la RDC[22]. En septembre 2024, lors d’une rencontre avec le Président congolais Félix Tshisekedi, son homologue chinois Xi Jinping réaffirmait son « soutien à la RDC dans la sauvegarde de sa souveraineté et son intégrité territoriale »[23]. Pourtant, ces multiples prises de parole n’ont jamais empêché Pékin de multiplier ses accords avec Kigali : deux jours après s’être exprimé sur la souveraineté de la RDC, la Chine signait un accord avec le Rwanda à hauteur de 600 millions de dollars pour une coopération renforcée dans le domaine du développement[24].

À travers cette communication, la Chine tentait de se positionner comme un partenaire respectueux des principes de non-ingérence et de stabilité régionale, tout en renforçant ses liens économiques avec les différents belligérants, créant ainsi un faux-semblant de médiateur pacifique.

Cette posture diplomatique, soigneusement choisie pour son caractère consensuel sur le plan international, permet toutefois à la Chine de continuer à peser de manière pragmatique sur l’échiquier régional. En offrant son soutien militaire à la RDC tout en entretenant des relations étroites avec le Rwanda, la Chine se présente en médiatrice respectueuse des principes diplomatiques[25], exploitant et alimentant la guerre pour asseoir son influence et protéger ses intérêts économiques.

Alors que la guerre qui oppose la RDC au Rwanda continue d’entraîner la mort de milliers de personnes et le déplacement de millions d’autres, la Chine semble être la grande gagnante de ce conflit. En fournissant de l’armement aux deux parties en guerre, elle alimente non seulement les violences et l’instabilité, mais aussi son propre secteur de l’armement, consolidant ainsi ses bénéfices économiques. De plus, les accords d’exploitation minière signés avec la RDC garantissent à la Chine un contrôle stratégique sur les ressources précieuses de la région. Que le conflit s’intensifie ou que la paix finisse par revenir, Pékin se trouve dans une position de force, prête à négocier des contrats avantageux avec un gouvernement sous pression, voire avec des milices contrôlant des zones minières essentielles.

Autres articles

Sources :

[1] : Christian-Geraud Neema B. « Trois nouveaux drones chinois ont été livrés à la R.D. Congo ». Le Projet Afrique Chine, 15 mai 2024. https://projetafriquechine.com/2024/05/15/trois-nouveaux-drones-chinois-ont-ete-livres-a-la-r-d-congo/

[2] : « RDC. Rebelles du M23 et militaires rwandais tentent de s’organiser face aux drones chinois des FARDC ». Africa Intelligence, 4 janvier 2024.

[3] : Maxime Paszkowiak. « RDC. Pékin, partenaire militaire privilégié de Kinshasa ». Africa Intelligence, 24 janvier 2024.

[4] : Coco Kabwika. « Le déploiement par le Rwanda de systèmes SAM VCI WZ551 6×6 chinois empêche les FARDC d’utiliser les drones Chinois CH-4 ». Congovirtuel, 10 juillet 2024. https://congovirtuelinfo.com/le-deploiement-par-le-rwanda-de-systemes-sam-vci-wz551-6×6-chinois-empeche-les-fardc-dutiliser-les-drones-chinois-ch-4/#google_vignette

[5] : « Le Rwanda se serait doté des systèmes anti-aériens Dragon Céleste 50 les plus avancés d’Afrique de l’Est ». Rwanda News, 10 novembre 2014.

[6] : Christian-Geraud Neema B. « La China Xinxing et les rebelles du M23 en R.D. Congo ». Le Projet Afrique Chine, 11 juillet 2022.

[7] : https://www.facebook.com/story.php?story_fbid=185481923908221&id=105258461930568&rdid=VcVn1PG4cXEJEgHm

[8] : « Accusée de fournir des armes au M23 : la Chine dément ». 24 sur 24.cd, 6 juillet 2022.

[9] : Qui a eu lieu au début du mois de février 2025.

[10] : https://www.facebook.com/story.php?story_fbid=609137825197117&id=100083027152256&rdid=cJIcrgifXbrDiWsW

[11] : https://www.facebook.com/groups/671568488291295/permalink/1010474517734022/

[12] : Coco Kabwika. « Chine contre Chine, F. TSHISEKEDI demande à la société chinoise Norinco d’équiper les drones CH-4 de systèmes de défense antiaérienne pour faire face au MANPADS rwandais SAM VCI WZ551 6×6 chinois ». Congovirtuel, 15 septembre 2024.

[13] : « La RDC révise son contrat minier avec la Chine ». VOA Afrique, 14 mars 2024. https://www.voaafrique.com/a/la-rdc-r%C3%A9vise-son-contrat-minier-avec-la-chine/7528240.html

[14] : « Exploitation illégale des minerais au Sud-Kivu ». Radio Okapi, 8 janvier 2025. https://www.radiookapi.net/2025/01/08/emissions/dialogue-entre-congolais/exploitation-illegale-des-minerais-au-sud-kivu

[15] : Louise Margolin. « Mines en RDC : entre le chinois Zijin et l’australien AVZ, une guerre pour plus de 130 millions de tonnes de lithium ». Jeune Afrique, 7 octobre 2024.

[16] : « RDC : un site protégé menacé par une société minière chinoise ». Africa News, 10 décembre 2024. https://fr.africanews.com/2024/12/10/rdc-un-site-protege-menace-par-une-societe-miniere-chinoise/

[17] : Ibid. [13].

[18] : Marion d’Allard, Lina Sankari et Benjamin König. « Du Rwanda à la Chine : enquête sur l’odyssée sanglante de la fabrication des smartphones ». Les enquêtes de l’Humanité, L’Humanité, 13 mai 2023. https://www.humanite.fr/environnement/environnement/du-rwanda-a-la-chine-enquete-sur-lodyssee-sanglante-de-la-fabrication-des-smartphones

[19] : « République démocratique du Congo : le conflit avec le Rwanda et les investisseurs chinois ». Podcast provenant de la série « Le club des correspondants ». Radio France, 27 mars 2024. https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/le-club-des-correspondants/republique-democratique-du-congo-le-conflit-avec-le-rwanda-et-les-investisseurs-chinois-6940558

[20] : Michael J. Kavanagh et William Clowes. « Le Congo veut s’affranchir de la domination de la Chine sur son secteur minier ». Bloomberg, 9 octobre 2024.

[21] : https://www.facebook.com/reel/1132023745254237

[22] : « Coopération, diplomatie et sécurité au centre des échanges entre les Présidents Félix Tshisekedi et Xi Jinping ». Site officiel de la Présidence de la République de la République démocratique du Congo, 1er septembre 2024.         https://presidence.cd/actualite-detail/actualite/cooperation_diplomatie_et_securite_au_centre_des_echanges_entre_les_presidents_felix_tshisekedi_et_xi_jinping

[23] : « Xi Jinping : « La Chine soutient la RDC dans la sauvegarde de sa souveraineté » ». Media Congo, 2 septembre 2024.         https://www.mediacongo.net/article-actualite-141404_xi_jinping_la_chine_soutient_la_rdc_dans_la_sauvegarde_de_sa_souverainete.html

[24] : Vital Ndayambaje. « Rwanda-Chine : un accord de 600 millions de dollars ». Le Canapé, 4 septembre 2024. https://lecanape.rw/rwanda-chine-un-accord-de-600-millions-de-dollars/

[25] : Emmanuel Véron. « Chine-Afrique : une relation asymétrique et stratégique pour Pékin ». Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), 23 mai 2024. https://fmes-france.org/chine-afrique-une-relation-asymetrique-et-strategique-pour-pekin/

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