Violée par des policiers, cette femme prostituée de Johannesburg participe à l’élaboration d’une application intégrant l’IA, dotée d’un bouton de panique, pour venir en aide aux femmes sud-africaines qui subissent un nombre affolant d’agressions.
Peaches, nom d’emprunt qu’utilise cette femme de 35 ans, figure parmi les plus d’un tiers de Sud-Africaines qui subiront des violences physiques ou sexuelles au cours de leur vie, selon l’ONU.
Cette femme svelte, qui ne mâche pas ses mots, participe à un atelier pour finaliser la dernière mise à jour de l’application développée par l’association GRIT (Gender Rights In Tech).
Dotée d’un bouton d’urgence pour déployer des agents de sécurité privée, d’un espace pour sauvegarder des éléments de preuve et d’un centre de ressources, l’application comptera aussi un chatbot piloté par l’intelligence artificielle, appelé Zuzi, qui doit être présenté en début de semaine au Sommet pour l’action sur l’IA à Paris.
« Cette appli me donne espoir que mes droits soient pris en compte », explique Peaches à l’AFP.
Plus de 53.000 agressions sexuelles ont été signalées en 2023-24, dont plus de 42.500 viols, selon la police. La même année, 5.578 femmes ont été assassinées.
Peaches raconte avoir été forcée à offrir ses « services sans rémunération » à deux policiers pour éviter d’être arrêtée pour prostitution.
« Pour moi, ce n’est pas seulement un projet, c’est une nécessité », explique sa fondatrice Leonora Tima.
« Je voulais créer des solutions technologiques pour donner aux survivants les moyens d’agir, en veillant à ce qu’ils reçoivent une aide urgente, des conseils juridiques et le soutien émotionnel nécessaire, sans aucune barrière ».
Beaucoup de violences ne sont pas signalées parce que les victimes sont stigmatisées ou rejetées par les autorités, explique Zanele Sokatsha, chercheuse au GRIT. « Il y a encore beaucoup d’obstacles », souligne la psychologue.
Thato, la trentaine, a longtemps été frappée par son beau-père sans se rendre compte qu’il était possible d’obtenir de l’aide. Grande sportive, elle raconte que c’est son entraîneur qui s’est rendu compte que « certains bleus n’étaient pas liés au football ».
Ce n’est que lorsque cet entraîneur a emmené l’équipe à une manifestation contre la violence sexuelle à Soweto, près de Johannesburg, qu’elle a appris l’existence d’organisations assistant des femmes dans sa situation. « Cela m’a fait chaud au coeur », dit-elle. L’appli du GRIT veut aider les femmes depuis chez elles, car la plupart des violences ont lieu à leur domicile.
Elle propose une carte des dispensaires et refuges à proximité mais aussi un coffre-fort numérique où elles peuvent télécharger photos, vidéos ou rapports de police qui seront protégés sur les serveurs du GRIT.
« Ça va sauver des vies », opine l’une des femmes participant à l’atelier.
L’application est gratuite et financée par des dons, notamment de la Fondation Gates et Expertise France. Elle compte déjà 12.000 utilisateurs. Une fois téléchargée, elle peut fonctionner sans data, la rendant accessible aux plus démunies ou dans les zones rurales où le réseau est imparfait.
Zuzi, qui sera opérationnel dans les prochains mois, était initialement destiné à fournir des informations pratiques, explique Lebogang Sindani, responsable technique. Mais son répertoire a été élargi lorsqu’il est apparu que « les gens veulent confier à Zuzi des choses plus intimes, notamment sur leur santé ».
Si la sensibilisation aux violences contre les femmes s’est étendue ces dernières années en Afrique du Sud, les taux d’agressions restent forts.
C’est une « combinaison » de facteurs: histoire complexe de colonisation et de ségrégation, domination masculine, absence de modèles positifs et difficultés économiques, liste Craig Wilkinson, fondateur de l’ONG Father a Nation, qui s’intéresse à la masculinité toxique.
« Aucun garçon ne naît agresseur », rappelle-t-il. « Il y a quelque chose qui dérape dans le passage à l’âge adulte ».
« Tout ce qu’ils connaissent, c’est la violence », note Sandile Masiza, coordinatrice d’une équipe à la protection de l’enfance à Johannesburg, qui plaide pour davantage de programmes de prévention.
AFP