« Cette décision est une invite aux pays africains à mieux considérer le mot « souveraineté » sur tous les plans.» (El Hadj Mounirou Ndiaye, économiste)

Suite à la décision des États-Unis de suspendre pour trois mois l’aide au développement dans 120 pays du monde, l’inquiétude gagne les nombreux bénéficiaires. Au Sénégal, l’agence américaine d’aide au développement (l’USAID) et le Millénium Challenge Corporation (MCC), qui constituent les sources de financement, seront certainement impactés selon l’économiste, le Pr El Hadj Mounirou Ndiaye.

Il apporte des éclairages sur les conséquences dans cet entretien.

LNA : le 27 janvier, Donald Trump a annoncé le gel pour trois mois de l’aide extérieure américaine. Quelles seront les conséquences de cette décision pour les pays africains, particulièrement le Sénégal ?

El hadj Mounirou Ndiaye : Tout d’abord, il s’agit d’une opération de vérification et d’audit lancée par le gouvernement américain. En ce qui concerne le Sénégal, les deux principales sources de financement que sont l’Usaid et le Millénium Challenge Corporation seront affectées par cette suspension. À elles deux, elles représentent plus de 300 milliards de francs CFA qui sont concernés. Actuellement, le travail est à l’arrêt, suspendu pour trois mois, les employés sont sur place. Je pense qu’on va rester suspendu à l’issue de cette décision au bout des trois mois. À cela s’ajoutent les projets qui sont en train d’être exécutés avec le MCC, comme l’accès à l’énergie, les programmes de l’USAID dans le domaine de l’éducation, mais surtout de la santé. Je pense qu’il faut s’attendre à beaucoup d’impacts, notamment si la décision s’avère définitive. Beaucoup de Sénégalais travaillent dans ces programmes, c’est pourquoi il faudra enregistrer des délais dans le cadre de la réadaptation pour se remettre d’aplomb. Ce sont les conséquences immédiates qu’il faudrait escompter de cette situation.

LNA : Justement, elles sont 650 ONG au Sénégal, la moitié bénéficie de cette aide venant des USA. Quels plans d’accompagnement l’État devra-t-il mettre en œuvre selon vous ?

El hadj Mounirou Ndiaye : il est évident que des projets sont arrêtés, certes, sauf qu’il faut savoir qu’à côté, il en existe d’autres exécutés par le gouvernement du Sénégal. 300 milliards représentent un potentiel significatif, en effet. Toutefois, cela ne veut pas dire que tout le potentiel de financement interne du pays sera remis en cause. Les dépenses publiques avoisinent les 6000 milliards de francs CFA, d’où la possibilité pour l’État d’exécuter tous ces programmes. Donc, il n’est pas question de perte. Je pense qu’il faut juste prendre acte, comme l’a dit le premier ministre, essayer de se tourner vers la préoccupation centrale du nouveau référentiel qu’est la souveraineté sur tous les plans.

LNA : finalement, cette décision des USA n’est-elle pas salutaire alors pour les pays africains, dans la mesure où elle représente une incitation pour eux dans la manière de revoir leurs relations économiques avec les pays étrangers ?

El hadj Mounirou Ndiaye : justement, je le perçois aussi comme incitatif que bénéfique à la fois, cette décision. Elle montre tout le sens du mot « souveraineté », comme dans le nouveau référentiel 2050 de la gouvernance économique du Sénégal.

Je suis d’avis qu’aujourd’hui, si des efforts sont faits dans le cadre du Jub Jubbal Jubbanti afin d’ajuster et d’optimiser les finances publiques, on aura suffisamment de moyens pour faire face aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de l’exécution de ce nouveau référentiel.
Ce concept (jub, jubbal, jubbanti) rappelon le est une initiative du président de la République visant la promotion de la transparence, de la droiture, de la probité et de l’exemplarité dans la gestion des affaires publiques. Pour ma part, il s’agit d’une bonne nouvelle pour trouver des financements alternatifs et remodeler les liens de coopération avec les pays étrangers.

LNA : une décision à court terme ou définitive. En attendant, sur quels leviers devra-t-on s’appuyer ?

El hadj Mounirou Ndiaye : l’avenir proche nous le dira. Pour le moment, l’État du Sénégal reste conforme et ferme sur les principes de mise en œuvre de son gouvernement. Il est évident qu’il va apporter les correctifs nécessaires pour ne pas être négativement impacté, car ce scénario était prévu d’avance. Gouverner, c’est prévoir, vous savez.

LNA : Et comment l’État du Sénégal fera-t-il face dans un contexte où les nouvelles autorités parlent d’un pays en ruine ?

El hadj Mounirou Ndiaye : ils parlent plutôt de contrainte budgétaire, financière, d’une situation économique catastrophique, chaotique qui nécessite des ajustements. C’est en guise d’avertissement au peuple, pour préparer le peuple, que les autorités ont tenu de tels propos. C’est dans une intention de se mettre sur les rampes d’une dynamique économique plus soutenable et plus correcte.
Actuellement, nous avons un environnement public qui est à 85 % du PIB, un déficit public presque à 12 %. Avec de telles conditions, évidemment, il faut des limites, ce qui contraint le gouvernement sur les finances. Je pense qu’il faut jouer avec ces limites pour mettre en place des financements alternatifs. La bonne nouvelle reste le focus qui est mis pour le gouvernement sur des secteurs porteurs tels que l’agriculture et l’agroalimentaire.

Il y a quelques jours seulement, le premier ministre a lancé des projets liés à l’accès à l’eau. Vous savez combien l’accès à l’eau est fondamental dans le cadre de l’accompagnement de l’agriculture sénégalaise. L’accès à l’énergie aussi fait partie de ces moteurs, avec le gaz qui ne sera pas totalement destiné à l’exportation, une partie va participer à la baisse du prix de l’électricité. Il y a aussi les industries extractives comme le gaz, le pétrole et les minerais des ressources dont dispose le Sénégal et dont l’État entend mieux profiter pour tirer son épingle du jeu, sans compter les industries manufacturières qui constituent un grand défi à relever. C’est dire combien l’État du Sénégal reste à cheval sur des lignes de programmation en vue d’une nouvelle dynamique économique. Ce, pour supporter des chocs exogènes tels que ces décisions, comme celle du président américain. D’ailleurs, l’Afrique a toujours été résiliente face à ce genre de situation. La COVID est passée par là, la guerre en Ukraine, et à chaque fois, le continent réussit à tirer son épingle du jeu.

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