Exclusif : Pahimi Padacké Albert, ancien Premier ministre du Tchad, s’exprime sur les résultats des élections législatives, communales et provinciales

Exclusif : Pahimi Padacké Albert, ancien Premier ministre du Tchad, s'exprime sur les résultats des élections législatives, communales et provinciales

Le Président national du RNDT-le Réveil et candidat aux élections sénatoriales du 25 février 2025 a accepté de nous accorder un entretien exclusif sur les résultats des élections législatives, communales et provinciales. Lisez, ci-dessous, notre interview.

Nouvelledafrique : Les résultats provisoires des élections législatives, communales et provinciales du 29 décembre 2024 ont été proclamés le 11 janvier. Dans un communiqué rendu public le 12 janvier suivant, votre parti, RNDT-le Réveil, a rejeté ces résultats. Pourquoi ?

Pahimi Padacké Albert (PPA) : Je voudrais, tout d’abord, adresser ma gratitude à la rédaction de votre média pour l’intérêt qu’elle accorde au processus électoral en cours au Tchad et l’opportunité qu’elle m’offre de m’exprimer sur ce processus qui a abouti au triple scrutin du 29 décembre.

Cela dit, je voudrais préciser que, lorsque l’on s’engage dans un processus électoral majoritaire à un ou deux tours, l’on doit savoir qu’à la clé, il y aura un vainqueur et un ou des perdants. C’est le cas surtout pour le scrutin présidentiel. Il s’agit d’une règle démocratique universellement connue et admise. Le débat ne porte pas sur les modalités de la victoire ou de la défaite.

La situation est tout autre en ce qui concerne les élections législatives, provinciales et communales, à la proportionnelle, qui mettent en jeu plusieurs sièges à pourvoir dans plusieurs circonscriptions et qui ne peuvent, dans le cadre du multipartisme, être remportés par un seul parti, de sorte que l’on ait à parler d’un vainqueur ou d’un perdant.

Toutefois, qu’il s’agisse du scrutin présidentiel ou des législatives, les règles du jeu demeurent les mêmes : du début à la fin, le processus électoral doit être rendu crédible en offrant suffisamment des garanties de transparence, de sincérité, d’indépendance et d’égalité des chances. Cela implique, en amont, l’adoption des textes, notamment une constitution et un code électoral, qui intègrent, de façon intelligible et explicite, les exigences de justice, de neutralité, de sincérité et d’inclusivité. Ce sont ces exigences qui vont encadrer la mise en place, la composition et le fonctionnement des organes chargés d’organiser les élections et des instances habilitées à recevoir les litiges pré et post-électoraux.

Or, dans le cas d’espèce, dès le début, nous n’avons eu de cesse d’alerter l’opinion et de dénoncer le cadre électoral peu crédible (comprenant les lois et les organes électoraux) qui se mettait en place sous la direction d’un gouvernement acquis à la cause du parti au pouvoir, qui s’est mis dans une coalition incestueuse avec des partis antennes. Il vous souviendra que nous avons dénoncé la composition partisane de la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC), et plus tard de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE). Tout comme nous avons appelé, à raison et avec succès, au boycott dudit référendum, qui a permis l’adoption de la Constitution qui sert de fondement à tout ce qui se passe aujourd’hui. Nous avons aussi dénoncé le fait que le Code électoral n’offre pas aux délégués des candidats, du moins ceux des partis d’opposition, la possibilité d’obtenir les procès-verbaux de vote, alors que ce sont les seuls actes qui établissent la véracité du choix des électeurs.

Nous n’oublions pas cependant que le parti au pouvoir n’est pas le seul et unique responsable de ce recul démocratique dans le Pays. Les deux dernièrs premiers ministres, venus pourtant des rangs de l’opposition de la transition sont responsables de la mise en place d’un cadre normatif et institutionnel électoral le plus opaque de notre histoire. Comme quoi en Afrique, le pouvoir acquis agit sur certains acteurs politiques de l’opposition comme un dissolvant de leurs idéaux et de leur identité.

Pour revenir à votre question, sur le terrain et selon la vérité des urnes, RNDT-le Réveil, grâce à sa forte implantation territoriale, a remporté 55 des 188 sièges disponibles. Et ce n’est que pour les législatives. Mais, comme il fallait s’y attendre, la machine de fraude savamment mise en place a servi à violer et frauder le choix librement exprimé par les électeurs au profit de RNDT-le Réveil. Conséquence : les sièges légitimement, légalement et honnêtement obtenus par notre parti ont été, de façon flagrante et éhontée, arrachés pour être partagés entre le parti au pouvoir et ses alliés. Telles sont les raisons qui nous ont motivé à dénoncer les résultats de cette mascarade tout en prenant l’opinion, et à présent à travers vous-même, à témoin.

Nouvelledafrique : Vous dénoncez des fraudes massives. En avez-vous des preuves irréfutables ?

PPA : Nous venons de décrire, de façon factuelle et chronologique, comment le processus électoral a été biaisé, à dessein, il faut le souligner, depuis le début. Lorsqu’une instance chargée d’organiser des élections est composée de personnes acquises à la cause d’un seul parti et ses alliés ; lorsque l’on insère délibérément dans la loi électorale des dispositions visant à empêcher les délégués des candidats d’obtenir et détenir les procès-verbaux de votes, etc. Il leur a même été interdit de filmer les procès-verbaux qu’ils ont contresignés. Pensez-vous que cela soit fait à quel dessein ? Nonobstant ce sombre tableau qui ne fait que ternir l’image de notre pays et de sa jeune démocratie, nos équipes déployées sur le terrain sont parvenues à faire un travail remarquable en établissant rigoureusement leurs propres données à partir des fiches mises à leur disposition par notre parti. Sur cette base, nous avons les réalités issues des urnes. Elles ont également documenté toutes les irrégularités qui ont émaillé le vote.

Aussi, si vous avez suivi l’actualité politique au lendemain du vote, vous auriez compris que RNDRT-le Réveil n’est pas le seul parti qui a dénoncé des fraudes massives. Ce sont presque tous les partis, y compris des membres du parti qui a prétendument obtenu la majorité des sièges, des organisations de la société civile, des mouvements citoyens et des observateurs, à titre personnel, qui ont fait des sorties pour dénoncer des fraudes et des irrégularités qui sont de nature à entacher la crédibilité de ces élections. Bref, toute personne ayant la crainte de Dieu et qui a suivi et observé, de bout en bout, le déroulement du processus électoral tchadien ne pourrait juger justes ces élections sans s’attirer la colère divine.

Nouvelledafrique : Quelles sont les futures actions que vous allez mener pour contester ces résultats et espérer rentrer dans vos droits ?

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PPA : Dans un état de droit, la voie légale pour demander la reconnaissance de son droit consiste à saisir l’instance juridictionnelle compétente.

RNDT-le Réveil étant un parti démocratique et respectueux de ses propres textes et des lois de la République, nous avons toujours pensé que la seule action qui vaille contre ces fraudes électorales aussi massives qu’avérées est d’introduire des recours devant le juge pour demander la reconnaissance et la validation des choix des électeurs, exprimés librement. Et ce, malgré le fait que dès le lendemain de la proclamation des résultats provisoires par l’ANGE, nous ayons légitimement émis des inquiétudes quant à savoir si, sans les procès-verbaux de vote dûment dressés, il serait possible d’exercer valablement un recours devant le juge chargé du contentieux électoral. Il va de soi que sans des éléments de preuve tangible pour l’étayer, un tel recours ne peut produire les résultats escomptés.

Nos requêtes devant le juge du contentieux n’ont visiblement même pas été traitées.

Loin de nous décourager, ce que recherche le pouvoir à travers cette fraude légendaire, ce qui nous reste à faire, c’est de prendre des dispositions dès maintenant pour favoriser l’ancrage démocratique. C’est le seul moyen d’empêcher que les prochaines échéances souffrent des mêmes irrégularités. En clair, nous demandons à toutes les forces vives du pays de se joindre à nous pour exiger la réforme du cadre normatif relatif aux élections dans notre pays.

Je suppose que messieurs Saleh Kebzabo et Succès Masra auront enfin compris pour se confesser de leurs péchés électoraux pour prendre leur par à cette communion des réformes favorables à l’ancrage de la démocratie.

Nouvelledafrique : Ces résultats viennent d’être confirmés par le Conseil constitutionnel et votre parti sera la première force politique de l’opposition. C’est tout de même un motif de satisfaction, non ?

PPA : Autrement, vous nous demandez de nous contenter de ce qui nous a été injustement attribué alors que nous avons légalement obtenu plus de sièges à l’issue de ces élections.

Il est vrai, en sa qualité de juge du contentieux électoral, le Conseil constitutionnel était notre premier et dernier recours, notre seul espoir pour rétablir les candidats de RNDT-le Réveil dans leurs droits. Même si si les des sont pipés, et que, pratiquement, nous n’y pouvons plus rien, notre plus grande satisfaction vient de la confiance qu’une très grande partie des électeurs ont accordée à notre parti et à ses candidats. Une fois de plus, nos adversaires politiques savent qui nous sommes et ce que nous valons réellement en termes d’estime des Tchadiens et de maillage territorial intégral. Donc c’est cela notre satisfaction, et non le résultat officiel qui nous est attribué ; elle est avant tout morale. Tout au long de cette législature, nous allons nous battre pour que l’espoir de nos électeurs ne soit pas déçu. Nous œuvrerons pour la modification de la loi électorale afin que les mêmes causes ne reproduisent plus les mêmes effets. Œuvrer pour la mise en place d’une nouvelle administration électorale à équidistance des partis tant par son statut que par sa composition.

Nouvelledafrique : Votre formation politique acceptera-t-elle de partager le pouvoir avec le MPS, notamment à l’Assemblée nationale et au Sénat ?

Il ne s’agit pas d’accepter de partager le pouvoir avec quel parti que ce soit. J’énonçais plus haut que nous sommes un parti démocrate et respectueux des textes. Donc, dès lors que l’instance juridictionnelle suprême s’est prononcée, quoiqu’en notre défaveur, par ce qui peut s’assimiler à un déni de justice, il n’existe malheureusement plus d’autre voie de recours.

De même, le rapport entre RNDT-le Réveil et les autres partis, qui composeront le parlement à travers ses deux chambres, se fera conformément à la législation en vigueur, notamment les textes qui régissent le fonctionnement du parlement, à savoir le règlement intérieur des dites chambres qui prescrivent une participation de l’opposition à toutes les instances de décision du parlement.

Nouvelledafrique : Et si le Président de la République Mahamat Idriss Déby Itno vous faisait à nouveau appel pour conduire le gouvernement, accepteriez-vous ?

PPA : Rire. Nous ne sommes pas de ceux qui bâtissent des châteaux en Espagne dans leurs rêves.

Propos recueillis par Papa Barry

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