Questions et préoccupations autour des médias de service public au Niger

Questions et préoccupations autour des médias de service public au Niger

Le récent communiqué du gouvernement du Niger, lu à la télévision publique à une heure de grande écoute, était tout autant inquiétant qu’alarmiste pour laisser sans réaction les populations comme les observateurs extérieurs qui suivent avec inquiétude les attaques terroristes qui n’ont de cesse d’endeuiller ce pays.

En effet, se faisant le relais des autorités ​militaires nigériennes, le présentateur du journal télévisé du soir ​a fait état de réunions secrètes entre des groupes terroristes et des forces militaires occultes à la solde de la France, qui se seraient tenues dans diverses localités avec comme objectif de planifier des attaques contre le Niger, porter atteinte aux personnes et aux biens, déstabiliser les institutions en place. Ces attaques, précise le même communiqué officiel, sont prévues notamment durant la période du ramadan​ (qui devrait débuter fin février).

Aussi, ​ajoute le même communiqué, les autorités invitent les populations civiles à redoubler de vigilance afin de mettre en échec cette coalition armée des ennemis du Niger.

Fuite en avant

Le Niger est indéniablement l’objet d’attaques terroristes qui sont devenues récurrentes depuis environ deux décennies. L’une des raisons invoquées par les militaires qui ont renversé le chef de l’État démocratiquement élu, Mohamed Bazoum​ (le 26 juillet 2023) était de juguler la menace terroriste. C’est aussi l’une des raisons d’être et des missions cardinales de l’Alliance des États du Sahel (AES). Mais, a posteriori et en guise de bilan d’étape, force est de constater qu’au Mali, au Burkina Faso, comme au Niger, non seulement les attaques terroristes n’ont pas connu de recul, mais elles ont même parfois redoublé d’intensité, faisant parfois de nombreux morts, aussi bien parmi les civils qu’au sein des forces militaires et paramilitaires. On peut donc se rendre à l’évidence que le communiqué des autorités nigériennes résonne comme une stratégie de communication afin de dédouaner par anticipation ses forces de défense et de sécurité au cas où une attaque terroriste viendrait endeuiller les populations à une période l’année où nombre d’entre elles pourraient manquer de vigilance.

Manque de preuves et campagne de propagande

Autres articles

Mais, au-delà du contenu de ce message, il faut questionner, pour s’en indigner et s’en inquiéter, le média de service public qui se fait le canal et le relais d’une information qui n’en est pas véritablement une. Comment peut-on présenter comme une information un communiqué lu à la télévision, telle une parole d’évangile dans un lieu de culte religieux ? Aux téléspectateurs, le journaliste n’apporte aucune preuve de cette communication glaçante et affolante. Pour donner de la crédibilité à cette alerte, on aurait pu l’assortir de preuves, pour ne pas donner l’impression de prêter le flanc à une campagne étatique de propagande et de désinformation.

Ces nombreuses entorses à la déontologie journalistique sont monnaie courante en Afrique dans certains médias privés parfois acquis à des groupes d’intérêts occultes, parfois assujettis à des groupes d’influence étrangers, notamment russes. On peut certes comprendre que ceux-ci sont la voix servile de leurs maîtres​, des puissances d’argent auxquelles ils sont inféodés. Mais, lorsqu’un média de service public prend de si grandes libertés avec les canons du journalisme classique, il y a véritablement lieu de s’en inquiéter au moins pour deux raisons.

​Ces médias sont financés par le contribuable nigérien, qu’il soit proche du pouvoir ou de l’opposition. Ils sont donc en principe astreints à une mission de service public. Dès lors, comme le stipule en principe leur cahier des charges, leur contribution à la garantie de la cohésion sociale est fondamentale. Le fait de diffuser une nouvelle d’une telle gravité, dont la véracité est hautement discutable, a pour conséquence immédiate de déstabiliser la quiétude et la sérénité des populations, voire de créer dans le corps social une psychose telle que les citoyens pourraient se regarder désormais en chiens de faïence, d’autant plus que, s’agissant des terroristes du groupe Boko Haram, ils sont connus pour se fondre dans la population et ourdir leurs crimes dans l’anonymat absolu.

Par ailleurs, ce journaliste de la télévision d’État nigérienne, sans aucune précaution oratoire, accuse nommément la France d’être la cheville ouvrière de cette cabale terroriste contre le Niger. Dès lors, par ce stratagème de communication insidieux et pernicieux, toute attaque terroriste à venir contre les personnes ou les biens au Niger serait imputable à la France dans une frange importante de l’opinion publique. Les prolongements de ces accusations sans fondement seraient la mise en danger de ce qui reste au Niger comme intérêts ou ressortissants français.

Au demeurant, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Il faut se souvenir de la paranoïa qui s’empara du régime de Sékou Touré après son « Non » au général de Gaulle et sa rupture avec la France. Ce leader panafricaniste voyait des complots partout et ne se privait pas d’embastiller et de mettre à mort à tour de bras. Diallo Telli, l’un des fils les plus brillants de l’Afrique des indépendances, fut l’un de ses agneaux du sacrifice.

 

Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle.

Get real time updates directly on you device, subscribe now.