Interview avec Dikbo Hubert, président national du parti Union des démocrates pour le développement (UDD), candidat aux dernières élections législatives au Tchad.
Lesnouvellesdafrique.info : comment réagissez-vous aux résultats provisoires des élections législatives, communales et provinciales du 29 décembre 2024 ?
Dikbo Hubert : Nous sommes évidemment surpris par ces résultats qui semblent être des données congelées et ressorties simplement au rendez-vous. Alors que dans notre département, le Mayo-Dallah (sud-ouest), grâce à nos compilations des chiffres issus des bureaux de vote,nous sommes élus députés. Mais au final, on est rétrogradé à la troisième place alors qu’il n’y avait que deux sièges à pourvoir. Une répartition de places des députés et conseillers, soigneusement mise en scène et exécutée au grand regret des partis politiques qui ont cru vraiment à un pas de plus vers la vraie démocratie en prenant part à ces élections qui viennent boucler la transition tchadienne. Le scénario est très lisible en regardant la liste des 36 partis politiques représentés désormais à la nouvelle Assemblée nationale. La volonté populaire n’a jamais été respectée et partout. C’est exactement comme un décret de nomination qui fait le circuit administratif, et par étapes, des noms sont gommés au détriment d’autres jusqu’à la signature du chef de l’État. Posez aujourd’hui la question partout aux électeurs tchadiens eux-mêmes, ils vous diront que ces résultats ne reflètent pas les réalités des urnes et les aspirations du peuple. Vous savez que beaucoup de partis politiques sont nés pendant cette transition et surtout portés par des jeunes qui veulent incarner le renouvellement de la vieille garde politique, y compris mon parti politique, l’Union des démocrates pour le développement (UDD). Mais là, nous faisons face à une oligarchie politique qui ne lâche rien et est sceptique face aux nouveaux visages sur la scène politique. Et cela s’est confirmé à travers ces résultats. Aujourd’hui, tout le monde est en passe de donner raison à ceux qui ont boycotté ces élections, prédisant des résultats préfabriqués dans des ordinateurs. Car, là, on tombe de nu et on se pose la question de comment l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) a fait pour imaginer ces chiffres attribués ça et là aux partis politiques ? Pathétique.
Par ailleurs, moi j’ai été victime d’un lynchage et des manœuvres diaboliques du parti RNDT-LE RÉVEIL de l’ancien premier ministre PAHIMI Padacke Albert dans le département de Mayo-Dallah, province du Mayo-kebbi Ouest. En lieu et place de mener une campagne électorale, les responsables de ce parti politique ont mis toute leur fortune pour nuire à mon jeune parti et à ma modeste personne. Des menaces et intimidations ont pesé tout au long de la campagne sur mes militants, surtout ceux de la sous-préfecture de Torrock village de PAHIMI Padacké Albert qui ont été même sommés de ne pas faire flotter mon drapeau ni mes affiches. Et comme cela ne suffisait pas, les mêmes personnes animées d’une haine viscérale ont manœuvré et financé la démission de la seconde candidate sur ma liste dans le seul objectif de déstabiliser ma candidature. Un parti politique dont le seul projet de société est l’achat de conscience et les basses et sales manœuvres de désinformation. Ignoblement, ils ont oublié que cette venimeuse pratique est une violation grave du code électoral. Donc voilà des gens qui ont concentré leur campagne entière sur ma personne parce que je représentais à leurs yeux une réelle menace politique dans le département plutôt que le MPS et l’UNDR. Loin donc du jeu démocratique, ils se sont livrés à une chasse aux sorcières, dévoilant au grand jour leur goût immodéré du communautarisme et de l’ethnocentrisme.
Lesnouvellesdafrique.info :de quelles marges de manœuvre disposez-vous pour contester ces résultats provisoires?
Dikbo Hubert : D’abord, face aux données de l’ANGE, tout le monde sait que c’est une mise en scène. Mais la classe politique se trouve aujourd’hui prise dans son propre piège face à cette situation. Car personne ne détient les copies des procès-verbaux de l’ANGE pour formuler des requêtes documentées et fiables pour convaincre le dernier juge électoral. Le code électoral validé dans l’aveuglette par le Conseil national de transition avait déjà enterré nos espoirs d’avoir des scrutins libres et transparents. S’il y a recours, la plupart du fond du dossier sera vide et par conséquent, aucun changement. Ce qui laisse libre cours à cette machination à laquelle nous assistons aujourd’hui impuissamment.
Outre cela, nous allons réclamer justice face au RNDT-LE RÉVEIL qui a violé le code électoral en voulant à tout prix nuire à notre liste par des actes de sabotage et qui se trouve pris dans son propre piège. Nous pensons aujourd’hui que non seulement notre victoire dans le département de Mayo-Dallah nous a été volée au vu du score réalisé, mais que notre électorat avait été aussi compromis par les actes anti-démocratiques du parti RNDT-LE RÉVEIL. Aucune mesure ne soit prise pour sanctionner cette délinquance politique d’un parti politique dont tout le monde connaît le jeu trouble dans l’histoire des élections au Tchad.
Lesnouvellesdafrique.info : vous dénoncez des fraudes massives, mais, pourtant, vous aviez soutenu le président Mahamat Déby Itno lors de l’élection présidentielle du 6 mai dernier. Vous faisiez même partie de son équipe de campagne. Regrettez-vous ce soutien?
Dikbo Hubert: Je ne regrette pas d’avoir apporté mon soutien au Président de la République aux élections présidentielles. Nous avons tous porté son projet de société auprès de la population et nous sommes toujours prêts à défendre cette vision. Nous sommes censés être des acteurs à différents niveaux pour mettre en musique ce serment. Mais vous savez qu’en politique, c’est un jeu d’intérêt. Aujourd’hui, nous sommes face aux réalités où ce n’est pas nécessairement le président de la République qui a décidé de tout, mais un groupuscule qui, depuis longtemps, a pris en otage l’arène politique tchadienne pour ses propres intérêts. Loin d’avoir une assemblée nationale représentative des vraies forces politiques, certains ont songé simplement à récompenser des individus avec un poste de député. Voilà à quoi nous pensons : alerter le chef de l’État pour tenir sa promesse d’une gouvernance inclusive avec tous ceux qui l’ont porté au perchoir. Pour moi, ces élections locales devraient en réalité incarner la refondation que prône le Président de la République, slogan qui lui est cher, mais il se retrouve lui-même pris en otage par un système allergique au changement. Le chef de l’État doit revoir cette liste des députés et élus locaux afin que le Conseil constitutionnel et la Cour suprême ne se prononcent pas pour le verdict final. Aujourd’hui, il y a une profonde crise de confiance au sein de la population qui ne croit plus au vote. Parce que les résultats n’ont jamais respecté les réalités des urnes, d’où une abstention de plus en plus record. Certes, certains en appellent souvent au boycott depuis le référendum constitutionnel, mais en réalité, la population elle-même est exaspérée et méfiante de ses dirigeants. D’ici là, peut-être que personne n’acceptera de se faire enrôler comme électeur dans ce pays.
Lesnouvellesdafrique.info :quelles sont les perspectives de votre jeune formation politique?
Dikbo Hubert: Ces élections nous fortifient et nous ressortons provisoirement avec deux places au conseil communal de Pala. Nous sommes à notre première expérience électorale après trois ans d’existence et nous sommes fiers de porter des valeurs qui incarnent les vraies aspirations de la population. La ferveur manifestée par la population le long de la campagne électorale autour de notre candidature jusqu’au vote massif fait de nous une force politique potentielle en devenir. Nous allons continuer à travailler, à nouer des relations, même en dehors du pays, à nous implanter un peu partout sur le territoire national et à nous projeter pour 2029 où, probablement, nous serons candidats à l’élection présidentielle. Nous allons surtout nous adonner à l’éducation politique de nos militants et de la population aveuglée par les vieux partis politiques qui n’ont de projet de société que l’achat de consciences et des promesses irréalistes. Nous voulons effectivement continuer à être des acteurs directs dans la gestion de notre pays, car nous pensons aujourd’hui avoir toutes les compétences et la maturité pour apporter notre contribution au développement du Tchad.
Propos recueillis par Eric Topona Mocnga.