En Guinée, les autorités de la transition militaires gardent le mystère sur le retour d’un régime civil dès le 31 décembre 2024 tel que promis. Alors que la tension politique ne cesse de monter dans le pays, Dr Édouard Zotomou Kpoghomou, président du parti politique UDRP (Union démocratique pour le Renouveau et le Progrès) espère que le général Mamadi Doumbouya tiendra parole.
Le vice-président de l’Alliance nationale pour l’alternance et la démocratie (ANAD) décrypte l’actualité socio-politique de la Guinée dans cette interview à notre rédaction.
Lesnouvellesdafrique.info: Nous sommes à quelques jours de la date butoir fixée par le CNRD de rendre le pouvoir à un régime de transition civile. Et jusqu’à date, ni le CNRD ni les membres du gouvernement ne se sont prononcés sur cette situation. Quel est votre regard sur cette actualité ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou: Nous n’avions franchement pas pensé qu’à ce moment précis, on serait encore dans une incertitude en ce qui concerne justement la fin de la transition. Nous savons que le CNRD, quand il est venu au pouvoir, disons-nous la vérité, le CNRD est venu au pouvoir pas dans l’intention de le laisser pour faire place à une certaine démocratie, même si, au départ, ce sont les mots qu’on avait égrenés pour justifier justement la prise du pouvoir par les armes.
Alors la fin de la transition est arrivée, malgré les efforts des uns et des autres pour pouvoir effectivement trouver un cadre dans lequel on pouvait construire une sorte de collaboration consensuelle, ça n’a jamais vu le jour, simplement parce que les gens sont venus avec l’idée de rester au pouvoir. Et cette idée s’est matérialisée dès la première heure de la prise du pouvoir, à travers la charte de la transition.
Quand on la mettait sur pied, on a fait semblant d’associer les partis politiques ; en réalité, c’était juste pour créer la diversion parce que cette charte, elle était déjà faite. On a fait simplement appel aux uns et aux autres pour faire semblant de montrer qu’on essayait de réunir tout le monde autour de ce document fondamental.
Autour du CNT, le CNT qui devait être un organe représentatif, il ne l’a pas été, il a été fait avec des membres qu’on a triés sur le volet. Et qui a fait le tri ? C’est bien le CNRD qui a trié son membre. Le président du CNRD, il a été nommé par décret, ce qui ne se doit pas. À la transition du CNDD en 2008-2009, la présidente du CNT c’était cette dame, [Rabiatou Serah Diallo], mais elle a été élue par ses pairs. On ne l’a pas nommée.
Il y a le cadre de dialogue qu’on a voulu organiser. Nous disons un cadre de dialogue, il faut qu’il soit ouvert à tout le monde. On ne peut pas prendre un cadre de dialogue et dialoguer seulement après avec ceux qui s’entendent avec vous, parce que la démocratie, après tout, c’est la contradiction. Il faut un débat d’idées. Mais si vous prenez des gens qui sont alignés derrière vous, quel que soit ce que vous faites, en ce moment ce n’est plus une démocratie.
On n’est pas en train de parler de démocratie dans ces conditions-là. Donc, aujourd’hui, si nous sommes où nous sommes, bien qu’à un moment donné, la CEDEAO est venue essayer de voir dans quelles mesures elle pouvait intervenir en ignorant même les partis politiques pour aller s’entendre avec le CNRD. Ils ont fait ce qu’ils ont fait.
Le résultat, c’est que nous sommes à une semaine de la fin de cette date butoir et absolument rien n’est fait dans ce sens. Aujourd’hui, eux-mêmes se montrent franchement irrélevants. Je parle de la CEDEAO. Et en même temps, le gouvernement et le CNRD montrent effectivement que les intentions qu’on leur avait prêtées étaient des intentions réelles. Donc tout le monde voit ce que nous avons vu dans le lointain.
C’est ce qui est en train de se matérialiser. C’est quand même déplorable. Mais nous disons que le moment n’est pas encore venu parce que nous ne sommes pas au 31 décembre. Nous pensons qu’il peut y avoir un regain de sursaut pour que les gens viennent dans de meilleures dispositions, disons même morales. Parce que l’homme, c’est sa parole. À plus forte raison le soldat. Le soldat, c’est sa parole. Quand vous dites une chose en tant que militaire, vous ne le faites pas, ça veut dire que vous avez perdu votre place dans la hiérarchie sociale.
Lesnouvellesdafrique.info : Donc vous caressez toujours l’espoir que le CNRD va revenir sur sa parole donnée ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Nous le pensons. Il faut bien qu’on l’assume parce que nous ne sommes pas (…). Si nous avons accepté, il faut bien accepter. Parce que les Anglais disent We have to wait until the fat woman can sing, c’est-à-dire qu’il faut attendre que la grosse femme puisse chanter. Elle n’a pas encore chanté, donc ça veut dire que les dés ne sont pas encore lancés, le jeu n’est pas encore fait parce que nous ne sommes pas au 31 décembre 2024.
Mais nous savons, de façon pragmatique, d’ici le 31 décembre , il y a quelques jours. Ce qui est sûr, c’est que rien ne va changer. Mais il faut qu’on leur prête cette intention-là. Ils peuvent toujours changer d’avis.
Changer d’avis de façon à dire que, voilà, au 31, nous allons partir, nous sommes en train de nous organiser pour qu’il y ait ceci, qu’il y ait cela. Donc, il y a cette possibilité.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors bien entendu, il faut accorder le bénéfice du doute à la junte militaire de concéder le pouvoir à une transition civile. Et l’Union sacrée des forces vives prévoit d’organiser des journées de concertation nationale prévues les 27 et 28.
Lesnouvellesdafrique.info: Alors bien entendu, il faut accorder le bénéfice du doute à la junte militaire de concéder le pouvoir à une transition civile. Et l’Union sacrée des forces vives annonce des journées de concertation pour les 27 et 28 decembre. Certains partis politiques, par exemple le parti MPDG de Siaka Barry qui se retire de ce dialogue. Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou: D’abord, moi, je ne voulais vraiment pas parler de l’Union sacrée parce que l’idée de création de l’Union sacrée, c’est une idée qui est partie de l’ANAD, dont je suis un des vice-présidents. La première réunion de l’Union sacrée s’est tenue dans les locaux de l’Union des forces démocratiques UFDG et je l’avais présidée.
Mais on s’est rendu compte que l’union sacrée n’est pas venue dans l’intention, franchement, de colmater les choses et d’aider à la résolution. L’Union sacrée est venue pour chercher une sorte de faire ce qu’on appelle du matuvu. Pourquoi ? Parce que c’est une plateforme qu’ils ont voulue utiliser pour faire du chantage. Ils sont avec l’union sacrée, en même temps ils sont en train d’émarger avec le CNRD. Où est le sérieux dans ça ? Nous nous sommes rendus compte. C’est pourquoi, d’après la deuxième rencontre, nous nous sommes dit que ça s’en allait nulle part.
Lesnouvellesdafrique.info : Est-ce que vous sous-entendez que l’Union sacrée est une forme de politique déguisée du CNRD en faisant croire qu’il se rallie du côté des opposants ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Exactement, c’est ça. Nous l’avons dénoncé devant eux, on leur a dit. Comment voulez-vous, au moment où ils sont avec les autres membres des coalitions, les autres membres qui sont venus effectivement voir dans quelle mesure on pouvait faire amener le CNRD à de meilleurs sentiments, comment pouvez-vous comprendre qu’ils sont en train d’émarger avec le CNRD ? Parce qu’ils recevaient des primes. Là, c’est pas caché, c’est documenté.
Alors ils le font en même temps, ils font croire aux gens qui sont avec eux. Ça ne peut pas marcher. Où est le sérieux dans ça ? Donc nous, nous avons quitté l’Union sacrée avant même M. Siaka Barry. Nous l’avons quitté. Nous disons que nous sommes restés dans les forces vives parce que les forces vives, quand même, c’est une structure soudée, les éléments se connaissent, les coalitions qui sont là-dedans sont connues. Nous disons qu’il vaut mieux avoir un noyau sur lequel on peut compter que d’avoir une masse hétéroclite où les gens, franchement, ne se reconnaissent pas. C’est la raison pour laquelle nous avions pensé qu’à l’union sacrée où beaucoup de gens font d’ailleurs de la très bonne récupération politique, on prit le temps pour effectivement faire le jeu et faire paraître qu’ils sont quand même dans la voie de pouvoir trouver des solutions aux problèmes. En fait, ils sont en train de l’empirer.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors, les forces vives ont rendu une déclaration publique par rapport à la tenue d’une manifestation pacifique qui est prévue le 6 janvier. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette idée ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Nous sommes d’accord avec cette idée parce que nous avons dit depuis le début de l’année, nous avions dit qu’avec l’arrivée en fait du premier ministre Bah, nous avions dit, nous lui avons demandé de faire en sorte, en tant qu’ancien ministre de la Réconciliation nationale, en tant que leader politique, si le choix du CNRD est tombé sur lui pour conduire le gouvernement, c’est donc un élément qui peut servir à catalyser justement les démarches pour que le CNRD et la classe politique puissent s’entendre.
Et pour ça, il faut qu’il soit ouvert pour apporter les préoccupations des uns à l’attention des autres.
C’est toujours comme ça. Mais, malheureusement, quand M. Bah est venu, peut-être qu’il avait un autre agenda, c’est lui qui le sait, au lieu de le faire, c’est lui plutôt qui s’est fait porte-parole, et du gouvernement, et du CNRD, alors que ces deux institutions avaient déjà des porte-paroles.
Nous avons compris qu’il est venu pour un agenda qui lui est propre, et c’est la raison pour laquelle les choses n’ont pas bougé à ce niveau-là. Donc aujourd’hui, M. Bah Oury est l’un des supporters de cette tentative de pouvoir booster la popularité du général Dumbouya en ce qui concerne sa candidature non annoncée pour des élections qui vont venir. C’est dans ce cadre-là que lui-même, il a été le premier à dire au général que bon, si lui il se présente, il est candidat, il sera l’un des premiers à le supporter, et il a agi dans ce sens.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors, vous voulez dire que M. Amadou Oury Bah, qui est un des militants des droits de l’homme, aujourd’hui il est déguisé en politique parce que la politique change tout le monde. Vous voulez dire qu’il fait de la politique politicienne. Et changer radicalement de camp?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Il a changé de façon beaucoup plus radicale que vous ne l’imaginez. M. Bah Oury, imaginons, pendant que le CNDD était au pouvoir, vous connaissez l’histoire des événements du 28 septembre 2009. M. Bah Oury était le président de la commission d’organisation de ce meeting au stade du 28 septembre. Et là, ce sont les opposants qui avaient organisé cette rencontre, cette manifestation, sous l’égide de M. Bah Oury. C’était contre la candidature imaginée de Moussa Dadis Camara.
Aujourd’hui, ce qui s’est passé à Nzérékoré, par exemple, cette fois-ci, c’est le gouvernement lui-même qui l’a organisé, parce que les manifestations ont été organisées avec l’aval du gouvernement. Alors, on ne sait pas comment est-ce qu’on peut caractériser cela, et M. Bah Oury était bien au courant. C’est pourquoi nous nous avons dit, dès les premiers instants, que le carnage qu’il y a eu à Nzérékoré, c’est un carnage dont la responsabilité ne peut être située qu’au niveau du CNRD et du général Mamadi Doumbouya, parce que ça s’est fait sous leur aval. S’ils n’avaient pas donné leur aval, ces rencontres ne se seraient jamais produites et on n’aurait jamais parlé des cas de mort ou alors de drame.
On n’aurait jamais parlé de ça, parce qu’on a donné l’occasion aux gens, avec des espèces trébuchantes, pour aller ramasser des jeunes gens, des adolescents, pour les amener dans un stade qui n’est pas homologué et où on ne prend pas justement toutes les précautions pour pouvoir endiguer tout ce qui pouvait conduire à un drame beaucoup plus important. Alors, ils l’ont fait, et le résultat qui est tombé, c’est que c’est un drame qui dépasse de loin ce qui s’est fait le 28 septembre 2009. Pour nous, c’est une trahison. M. Bah Oury nedevrait pas en être fier du tout.
Lesnouvellesdafrique.info : Donc, vousvoulez nous faire comprendre que les évènements du 28 septembre ne nous ont servi de leçon ni pour les membres du CNRD ni pour les membres du gouvernement ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Les leçons du 28 septembre 2009 n’ont pas servi à M. Bah Oury. Nous avions pensé d’ailleurs à un homme constant. Il serait resté derrière justement la position qu’il avait adoptée pendant que les gens manifestaient dans le stade du 28 septembre ici à Conakry pour rester effectivement dans la même dynamique, de ne pas pouvoir, disons, avaliser des rencontres où les choses pourraient tourner au drame. Nous pensons effectivement que la leçon n’a pas été tirée, simplement parce que c’étaient des intérêts qui étaient certainement en jeu.
C’est la raison pour laquelle on a préféré fermer les yeux sur un certain nombre de choses et laisser carrément les choses aller. Sinon, aujourd’hui, on comprend mal qu’eux-mêmes ne puissent même pas s’exprimer sur ce qui s’est passé. Aujourd’hui, personne n’a parlé de ça, personne ne parle de ça, on parle de faire des enquêtes, mais des enquêtes qui peinent à prendre corps. Alors comment est-ce qu’on peut croire que, justement, des éléments de vérité vont surgir ?
Aujourd’hui, ce qu’on cherche à faire, c’est plutôt chercher à minimiser le bilan, le bilan macabre. On cherche à le minimiser. On a dit 56 morts à un moment donné.Dès les premiers instants, aujourd’hui, ce chiffre-là n’a pas bougé du côté officiel. Mais les enquêtes qui sont en train de se poursuivre nous montrent qu’il y aau-delà de plusieurs centaines de morts. Ça, c’est vérifié.
Lesnouvellesdafrique.info : La communauté internationale est témoin des réalités qui se passent en Guinée, et, extensivement, dans tous les pays qui traversent le régime de la transition militaire. Et lors de la 66e session de la conférence des chefs d’États, plusieurs décisions ont été prises concernant ces pays en situation de transition militaire. Le cas spécifique de la Guinée a été abordé. Et justement, il y a une délégation qui doit être dépêchée à Conakry dans les semaines à venir. Vous pensez que la CEDEAO pourrait avoir une influence positive sur le CNRD pour qu’il puisse se prononcer sur les termes de l’accord conclu en 2022?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Justement, nous pensons que la CEDEAO fait partie du problème en Guinée. Parce que, quand elle était venue, dans le cadre de la mise en place des structures pour qu’il y ait un cadre de dialogue, ils ne sont pas allés avec, disons, la participation des politiques. Donc, la CEDEAO est venue bypasser carrément les formations politiques, aller s’entendre directement avec le CNRD. C’est à l’issue de ça qu’il y a eu ce chronogramme de 24 mois et qu’on l’a, justement, assujetti aussi aux dix points de calendrier ou de programme que le CNRD avait. Ils se sont entendus, puisque l’on cherchait 24 mois pour imposer, à l’image du Mali, du Burkina et du Niger, à l’image de ces trois pays. La CEDEAO a voulu imposer un programme de ce genre.
Le CNRD en a profité, effectivement, pour aussi faire valoir, justement, les dix points de leur chronogramme. L’un dans l’autre, chacun obtenant ce qu’il voulait. Ils se sont entendus sur 24 mois qui finissent malheureusement à la fin de cette année.
Donc, la CEDEAO, nous disons, aujourd’hui, elle peut venir. Le problème, c’est qu’elle a déjà perdu toute la crédibilité, en tout cas au niveau de la classe politique. Parce qu’on a pensé que quand vous mettez en place un tel programme où vous voulez suivre au jour le jour ce qui est en train de se passer, le moins qu’on puisse faire, c’est de venir entre temps, après deux mois, trois mois, quatre, cinq, six mois, pour voir comment les choses sont en train d’évaluer et voir quels sont les progrès qui ont été faits, qu’est-ce qui a été accompli, qu’est-ce qui reste à faire et qu’est-ce qu’il faut faire pour pouvoir tenir la date. Mais la CEDEAO n’a pas fait ça. C’est maintenant que la CEDEAO attend la fin de la transition, à une semaine, pour dire qu’elle va rencontrer tout le monde. Mais ça, c’est comme un coup d’épée dans l’eau.
Lesnouvellesdafrique.info : Pensez-vous que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest peut relever ce défi? Celui de faire entendre raison à la junte militaire?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Nous ne pensons pas, nous ne pensons pas parce que, comme j’ai dit, il y a déjà beaucoup de perte de crédibilité. La CEDEAO a perdu beaucoup de sa crédibilité aux yeux, en tout cas, des acteurs politiques. Au point même où ces acteurs sont en train de dire que la CEDEAO est devenue irrélevante dans la résolution du problème guinéen.
Ça veut dire que, clairement, et nous entendons cette oreille-là, ce n’est pas la CEDEAO qui va résoudre le problème qu’on a en Guinée. [Plutôt], c’est la classe politique, c’est le peuple de Guinée, parce que c’est le peuple qui est en train de subir tout ce qu’on est en train de faire, c’est le peuple de Guinée qui subit. Oui, la population est en train de s’accentuer, c’est le peuple qui l’a subi.
Si le panier de la ménagère est insupportable aujourd’hui, c’est le peuple de Guinée qui est en train de subir ça, parce que c’est de la ménagère, c’est pour nourrir sa famille. Mais si les conditions ne sont pas réunies, parce que simplement la gouvernance politique ne donne pas cette ouverture, cette opportunité pour que les gens puissent aller vaquer à leur histoire, pour qu’on puisse créer quand même la richesse dans le pays, dans ces conditions-là, nous, nous pensons que ce sera vraiment peine perdue, moi je pense.
Lesnouvellesdafrique.info : Donc, vous pensez que le CNRD va désister l’ultimatum que la CEDEAO va tenter de leur imposer à la Guinée, comme l’ont fait récemment les trois pays qui se sont rétractés ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Non, ça, c’est à eux de décider. De toutes les façons, je crois qu’ils avaient une certaine, enfin, le CNRD avait une certaine raison de ne pas bouter carrément, disons, bouter carrément la CEDEAO, puisque nous pensons aussi que le maintien, en fait, des relations entre la CEDEAO et la junte militaire a été franchement catalysé par d’autres puissances.
Nous avons vu comment les autorités françaises (…). Nous pensons que c’est eux qui ont effectivement soutenu, et c’est la raison pour laquelle la junte guinéenne est restée soudée à la CEDEAO. Mais si quelque part ça ne marchait pas, il serait obligé de faire volte-face.
Les derniers bastions, c’est au Sénégal où il y a pas mal de remous. On ne peut même pas parler du Mali, on ne peut pas parler du Niger, on ne peut pas non plus parler du Burkina. Il reste la Guinée, bien sûr, mais à un moment donné, la Guinée aussi sera oubliée de prendre les décisions qui s’imposent. Mais là, c’est une autre histoire qui va être racontée à un autre temps. Parce que chaque moment a son histoire. C’est ça.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors, parlant des axes de priorités de la transition en cours ces derniers temps, la junte militaire se veut toujours une ambition de refondation totale.
Lesnouvellesdafrique.info: Croyez-vous à la notion de la refondation en cours ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Je crois que c’est un jeu de mots inutile. La refondation fait partie de la transition. Ça ne peut pas être un élément séparé de la transition. La refondation est une partie essentielle. La refondation a commencé avec quoi ? Les restructurations qui ont été faites. Quand on a nommé les militaires dans les régions administratives pour être des gouverneurs, des préfets, des militaires pour être des préfets, des militaires pour être des sous-préfets, tout ça, c’est la refondation. Et quand on a créé justement même des délégations spéciales, tout ça c’est dans le cadre de la refondation.
Et la refondation, comme je l’ai dit, c’est une portion de la transition qui va de pair avec les autres.Et cette refondation, elle n’a pas de chartes différentes de celles de la transition. Donc c’est tout là qu’on prend effectivement cette refondation. On peut pas venir nous dire qu’on a fini avec la transition, maintenant on est dans la refondation. Où est la charte de la refondation ? La refondation, ce n’est pas le détournement des deniers publics. La refondation, ce n’est pas des milliards qui disparaissent à toutes les heures pratiquement.
Mais la refondation, ce n’est pas dans ça. La refondation s’inscrit aussi dans la droite ligne des dispositions à prendre pour une gouvernance vertueuse des ressources du pays. C’est ça. Et si la refondation, c’est permettre aux gens d’utiliser les ressources du pays comme leur bien personnel, en ce moment, c’est une refondation qu’on ne peut pas souhaiter à ce pays. Parce que finalement, rien ne restera pour qu’on puisse bâtir cette refondation dont on parle. Pour nous, c’est un jeu de mots inutile.
Il n’y a pas de refondation qui soit séparée de la transition qui lui a justement donné naissance.
Lesnouvellesdafriques.info : Revenons un peu à la situation des anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé. La chambre de jugement à la CRIEF a rendu des jugements concernant un certain nombre de personnalités, entre autres, Dr Mohamed Diané, M. Amadou Damaro Camara. Que pensez-vous de cette actualité ?
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : Ce que nous avons déploré et on l’a toujours dit, c’est que quand vous voulez condamner des gens, quand vous voulez accuser des gens, il faut que ce soit sur la base de preuves irréfutables. On ne peut pas (…). [Mais] avant, c’est ce qui se passait. On sent que vous êtes, disons, potentiellement un frein à un certain nombre d’aspirations. Qu’est-ce qu’on fait ? On peut trouver quelque chose contre vous, surtout si vous avez été dans la gouvernance passée, pour dire que lui, c’est un élément potentiellement qui peut nous barrer la route. Ça, c’est par rapport aux intentions qu’on a. Alors, si vous avez franchement des choses à reprocher aux accusés, qu’est-ce qui vous empêche de trouver ces éléments de preuve-là et de venir confondre ces gens avec ces éléments de preuve ?
Vous ne pouvez pas mettre le chariot avant les bœufs, vous prenez les gens, vous les mettez en prison. Après, maintenant, vous cherchez les éléments pour dire : « Voilà ce qu’ils ont fait, voilà ce qu’ils ont fait. » On les prend sur la base de ce qu’ils ont fait. Preuve en mai, pour dire que voilà ce dont on vous accuse.
Sur cette base-là, si on les condamne, personne ne va s’opposer. On dira que la procédure a été régulière. Mais si c’est à l’inverse, on dira que, parce que quand vous avez les moyens, vous pouvez trouver toutes sortes d’argumentations, surtout quand on va pêcher, disons, 20 ans en arrière pour trouver des chefs d’accusation contre certains éléments qu’on n’a pas pu peut-être maîtriser directement, ça veut dire que la procédure n’est pas normale.
Nous l’avons flétrie. Nous ne disons pas que c’est une mauvaise chose de regarder et de faire en sorte que l’on soit effectivement dans une dynamique de gestion vertueuse des ressources du pays. C’est une très bonne chose. Mais quand on le fait, on doit le faire avec méthode, on doit le faire avec pédagogie.
Lesnouvellesdafriques.info : Alors, de source officieuse, bien que la source officielle ne s’est pas prononcée, le premier ministre Amadou Oury Bah a été empêché de voyager pour des charges administratives, alors qu’il partait rendre visite à son fils qui vient de donner naissance à un garçon comme élément de motif. Que diriez-vous de cette actualité?
Dr Édouard Zotomou Kogpohomou : La question est personnelle. Ce qui est intriguant, c’est que l’enfant dont on parle n’est pas né hier, n’est pas né le mois passé. Je ne pense pas. Alors, si derrière ça se cachent un certain nombre de choses, franchement, c’est difficile à dire. On dit que ce sont les tortues qui savent où se mordre. C’est des gens peut-être qui se voient, qui se connaissent.
Donc, ils savent ce qu’ils sont en train de tramer de part et d’autre. Alors, si lui, il voulait sortir, on lui dit de ne pas sortir. Peut-être qu’ils ont des raisons.
Ils connaissent les raisons pour lesquelles on lui dit de ne pas sortir. Et lui aussi, s’il a cherché à part, à sortir, il connaît pourquoi il sort en réalité. Puisqu’on lui refuse effectivement l’argumentation qu’il sort pour des raisons familiales.
Donc, c’est à lui de… De toute façon, c’est une question tellement personnelle que, franchement, moi, je ne veux pas rentrer dans le débat. Ce qui est sûr, c’est qu’ils savent ce qu’ils font. Je trouve quand même curieux que ce soit en fin de transition. Parce que ce n’est pas, comme je l’ai dit, ce n’est pas maintenant là que le Premier ministre aurait dû demander ou chercher à aller justement accomplir ce devoir-là vis-à-vis de sa famille. Ce n’est pas tout de suite là. Ce n’est pas une urgence en réalité. Si c’était une urgence, ça se comprendrait encore. Mais nous ne sommes pas en train de parler d’une urgence. Donc, c’est quelque chose qui pourrait être planifié.
Lesnouvellesdafriques.info : Quel bilan peut-on tirer de la gestion de CNRD durant ces dernières années ?
Dr Édouard Zotomou Kogpohomou : Je crois que nous l’avons dit clairement. La transition, l’objectif de la transition, ce n’est pas de faire des projets de développement, des projets grandioses. Aucune institution financière fiable ne va venir au secours d’un pays qui est dirigé par une junte qui n’a pas été élue et dont les membres sont en fait illégitimes. Aucune institution ne le fera. Ça ne veut pas dire qu’on va vous laisser mourir de faim, non. Mais les projets fiables, je crois que le Fonds monétaire international a déjà donné le ton.
La Banque mondiale a déjà ton. On peut vous donner de l’argent pour vous occuper des problèmes quotidiens. Ce n’est pas parce que les gens sont dans une transition que leurs besoins vont s’arrêter. C’est la raison pour laquelle ces institutions sont toujours en train de chercher à aider justement ces gouvernements. Vous savez, le Fonds monétaire et la Banque mondiale, ce sont des institutions qui ont été mises en place après la Deuxième Guerre mondiale. Ça, c’était dans le cadre de pouvoir aider les populations qui sortaient d’une guerre vraiment destructrice et de les aider à se relever. Mais aujourd’hui, si on veut aller dans le cadre réel du développement, le développement, ce n’est pas cette mission qui appartient au CNRD.
Le développement vient d’une mission qui doit être confiée normalement à un gouvernement élu par le peuple, donc un gouvernement légitime. Il ne faut pas qu’on perde ça de vue. On peut essayer de noyer ça dans des projets pour dire qu’on est en train de faire les routes, qu’on est en train de faire ceci.
Lesnouvellesdafriques.info : Et pourquoi pensez-vous ainsi ? Peut-on connaître vos raisons ?
Dr Édouard Zotomou Kogpohomou: Parce que tout simplement], ce besoin-là ne s’arrêtera pas. Mais les grands projets de développement comme les projets miniers, ce n’est pas un régime de transition qui va amener les gens effectivement à débourser alors des sommes faramineuses pour essayer de dire que nous sommes en train de faire le développement. C’est dans ce cadre-là que je parle même de Simandou 2040. Simandou 2040, moi, je suis des mines. Simandou 2040, c’est de l’utopie. Ça ne va pas se produire comme ils sont en train de le montrer, parce que les mêmes qui sont derrière ce projet Simandou sont les mêmes qui sont effectivement adossés à de gros projets miniers dans le cadre du fer chez eux.
Imaginez, la Guinée n’est pas leader en ce qui concerne les ressources de fer. Les ressources de minéraux de fer, on n’est pas leader, parce que, quand tu prends un pays comme l’Australie qui vient d’ailleurs de découvrir de grands gisements de minéraux de fer, tu prends le Brésil dont le projet Carajas a été une des raisons pour lesquelles le projet Nimba Simandou n’a pas pris son envol. Quand tu prends un pays comme l’Inde, tout ça, ce sont des pays qui ont de grandes ressources de minéraux de fer. Donc on n’est pas des leaders là. Et ce n’est pas nous qui contrôlons justement le marché en ce qui concerne l’approvisionnement en minéraux de fer.
C’est ceux qui contrôlent, qui sont dans Rio Tinto, qui est dans le fer en Australie, qui est dans le fer au Brésil, qui est dans le fer partout. Donc, c’est eux qui détiennent effectivement la décision de pouvoir faire marcher, effectivement, faire bouger le projet ou pas. Alors il faut pas qu’on dise que nous venons pour développer le pays, surtout dans ce cadre-là. Je crois qu’il faut qu’on repense. On doit repenser ça. Et quand les Guinéens le découvriront, ils s’en rendront compte. Aujourd’hui, toute la décision de pouvoir faire, comment on appelle ça, piloter un projet minier, cette décision est prise au niveau de Mohamed V. Le ministère technique qui doit être chargé justement de la gestion de ce projet est mis de côté.
Ce n’est pas le ministre des Mines qui est en train de piloter le projet Simandou. C’est le CNRD à Mohamed V. Et c’est une des erreurs, une grosse erreur. Nous pensons que quand les choses vont éclater finalement, on se rendra compte.
Simandou 2040, c’est de l’utopie. Ça n’arrivera pas comme ils sont en train de présenter. On a exagéré les gains.
Lesnouvellesdafrique.info: à votre avis, qu’est-ce qu’il faut pour pérenniser ces types de projets en Guinée ?
Dr Édouard Zotomou Kogpohomou : Si on veut que ces genres de projets réussissent, il ne faut pas qu’on prenne justement le temps pour dire qu’on va faire les choses à la va-vite et vendre justement l’image de ce projet de façon à pouvoir obtenir des prêts sur des produits qu’on n’avait même pas encore mis sur le marché. Ça, c’est une façon simplement de bouffer son blé en herbe. Vous n’avez pas encore eu le produit. Vous dites que vous allez l’avoir d’ici 2040, mais entre-temps, donnez-nous de l’argent, parce qu’on est sûr qu’on va avoir ce produit que vous n’avez encore pas eu.
Lesnouvellesdafrique.info : Donc, c’est une manière d’appauvrir le budget de l’État ?
Dr Édouard Zotomou Kogpohomou : Bien sûr, c’est une façon, c’est une fuite en avant. C’est une façon de vendre le minerai avant que la production ne commence. C’est ça.
Lesnouvellesdafriques.info : Quel est votre dernier message?
Dr Édouard Zotomou Kogpohomou : Mon message, c’est que je l’avais dit à un moment donné, le général [Mamadi Doumbouya] doit, en tout cas, revoir dans le rétroviseur, il doit revoir ce qui s’est passé par rapport à l’objectif qu’il s’est fixé le jour où il a pris le pouvoir. Le discours qu’il avait prononcé était un discours si rassurant, un discours de pacification. Il était si, si important que toute la classe, toutes les communautés se sont ralliées et l’ont suivi et l’ont supporté.
Même les formations politiques dans leurs coalitions diverses là se sont retrouvées en train de faire la campagne, y compris nous-mêmes. Nous-mêmes, nous avons fait cette campagne pour demander à la communauté internationale, parce que partout où on parle de coup d’État, c’est une façon illégale, illégitime de prendre le pouvoir. Nous, nous avons dit : « écoutez, il y a une différence entre coup d’État et coup d’État. » Il y a des coups d’État salvateurs. Ce coup d’État, c’est un bon coup d’État parce qu’il vient mettre fin à un certain nombre de maux que nous connaissons tous. Alors, si ces maux-là, il arrive à les guérir, par exemple, en ce moment, il aura fait une très bonne chose.
Par conséquent, donnons-lui le temps et donnez-lui le temps de se mettre à l’épreuve. C’est ce qui s’est passé. Donc tout ce temps, si vous avez remarqué, il y a eu moins de manifestations, surtout que c’était défendu. Alors maintenant que ça ne s’est pas fait, je ne vois pas franchement où est-ce que, qu’est-ce qu’on va faire.
Le bilan, ce bilan, là encore une fois, c’est un bilan négatif, largement négatif, surtout totalement d’ailleurs négatif par rapport à l’objectif de la transition qui doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Si on n’est pas dans un ordre constitutionnel, on ne peut pas faire de progrès dans le cadre du développement que nous sommes en train justement de viser ; dans ces conditions, tout serait à l’eau.
Propos recueilis par Fodé Touré