Tchad : « Ces attaques pourraient être attribuées au JAS », selon le chercheur Remadji Hoinathy

Dans la nuit du dimanche au lundi, l’armée tchadienne a subi un revers de Boko Haram à Barkaram près de la frontière du Nigeria. Cette attaque meurtrière qui a fait près d’une quarantaine de morts, des blessés et des équipements incendiés de l’armée remet au goût du jour l’existence du groupe djihadiste dans la région du lac Tchad.

Le chercheur Remadji Hoinathy pour l’Afrique centrale et le bassin du lac Tchad à l’Institute for Security Studies (ISS) a répondu aux questions de votre rédaction lesnouvellesdafrique.info (LNA).

lesnouvellesdafrique.info : Le Président tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, a signé un décret qui a instauré un deuil national de trois jours sur tout le territoire national à partir de ce mardi, en l’honneur des soldats tués lors de l’assaut des djihadistes de Boko Haram dimanche. L’attaque a fait une quarantaine de morts dans la région du Lac Tchad, dans l’ouest du pays. Expliquez-nous les circonstances de cette nouvelle attaque djihadiste.

Remadji Hoinathy : les circonstances de cette nouvelle attaque peuvent être décrites comme une attaque surprise dans la mesure où elle est survenue la nuit aux environs de 21 h-22 h. L’escadron de Boko Haram a débarqué là où campait un régiment de l’armée tchadienne à Barkaram, située presque à quelques encablures de la frontière du Niger (10 km). Une telle attaque meurtrière perpétrée la nuit dans l’obscurité a causé un nombre de morts officiellement signalé : 45 morts et plus de 40 blessés, en plus de la perte d’équipements de l’armée, dont certains calcinés.
Parallèlement, une bonne stratégie a permis à Boko Haram d’avoir le temps de se replier avant que tout renfort ne puisse débarquer sur le terrain.

lesnouvellesdafrique.info : Selon nos informations, les membres de Boko Haram ont surpris des soldats tchadiens dans cette région vers 22 heures, heure locale, pendant qu’ils dormaient. Cette garnison militaire a été occupée par les combattants de Boko Haram, qui ont récupéré les armes et incendié des véhicules équipés d’armes lourdes avant de partir. Comment est-ce possible ?

Remadji Hoinathy: Comme je viens de vous le dire, c’était bien possible du fait de l’effet surprise. Je pense qu’elle a dû planifier cette attaque sérieusement. Je suis d’avis qu’ils ont eu le temps de s’informer sur le nombre d’hommes en place et des équipements.
Ce qui explique qu’ils aient pris le dessus dans les premiers échanges. À mon avis, il n’est pas de la stratégie de Boko Haram d’occuper une base militaire en poste avancé, mais plutôt de faire le plus de morts possibles, ramasser le plus de butin de guerre, incendier et augmenter les conséquences néfastes sur l’armée en face.

lesnouvellesdafrique.info : L’attaque la plus récente remonte à mars 2020. L’armée tchadienne avait enregistré les plus lourdes pertes jamais enregistrées par les combattants jihadistes lors d’une offensive sanglante sur une importante base tchadienne sur la presqu’île de Bohoma. Est-ce à dire que Boko Haram n’a pas encore dit son dernier mot ?

Remadji Hoinathy : effectivement, Boko Haram a des capacités de nuisances malgré que le groupe ait connu des défaites ou des malheurs divers comme la perte de certains leaders, la distension au sein du groupe et les combats interfactions , etc. Vous parliez tantôt de la dernière attaque de mars 2020, sur ce point vous faites référence plutôt à des attaques frontales sur les postes armés. Sauf qu’il faut savoir que pour les communautés, les attaques et les harcèlements sont au quotidien. La semaine dernière seulement, il y a eu 56 morts dans une province voisine lors d’une attaque.
Elle est le fait aussi de la frontière entre le Cameroun et le Tchad. Donc, le message que le groupe tente d’envoyer est un message clair qui indique que même si le groupe est affaibli ou que certains de ses sanctuaires sont détruits ou encore que le groupe est un peu dispersé, il garde une capacité de nuisance.

Cette capacité est très opérationnelle simplement parce que les éléments de Boko Haram maîtrisent le contexte du lac qui est une zone marécageuse. Mais également, ils ont appris cette capacité tactique à se disperser, à organiser de petits commandos très tactiles, des offensives qui peuvent apporter des fruits et disparaître du fait des décennies de combats qu’ils ont menés. Donc, ils maîtrisent le contexte physique et humain et sont parvenus à développer des capacités de renseignements très élevées. La preuve, il faut voir comment ils ont préparé cette précision lors de cette attaque.

lesnouvellesdafrique.info : Peu de temps après cette attaque, le président Mahamat Idriss Déby Itno est arrivé sur les lieux. Il a dans la foulée initié l’opération HASKANITE (un terme en arabe qui fait référence à une plante épineuse extrêmement robuste, fréquemment rencontrée dans les régions sahariennes) pour, dit-il, poursuivre ces djihadistes jusqu’à leur dernier retranchement. Quelle est votre réaction ?

Remadji Hoinathy : je suis d’avis qu’une armée comme celle tchadienne très fière de sa force de feu et qui bénéficie de sa réputation d’une armée des plus résilientes devant Boko Haram ne pouvait rester impunie devant un tel revers. C’était important aussi bien pour le moral des troupes, pour la réputation de l’armée, mais aussi pour les communautés autour du lac d’envoyer ce signal.
La question qui se pose maintenant est celle de savoir comment tout cela va se passer concrètement sur le terrain.
Lorsque le président parle de « derniers retranchements », qui peut répondre à cette question aujourd’hui ? Est-ce que les derniers bastions du groupe sont présents dans les trois pays (Cameroun, Tchad, Nigeria, Niger) ?

Moi, je trouve important de mener cette opération, oui, mais avec beaucoup de tactique. Je veux dire par qu’il faut qu’elle soit accompagnée de moyens adaptés à la nature du combat. Il s’agira de mener des capacités de combat sur l’eau, étant donné que nous sommes dans une zone lacustre, mais aussi des capacités aériennes pour permettre de relayer les unités qui vont se déplacer sur l’eau. Parce qu’il ne faut pas perdre de vue que le groupe Boko Haram maîtrise les combats sur l’eau et sait installer des engins explosifs anti-personnels sur l’eau. Toutefois, l’élément important à retenir ou la question à se poser sera si le temps nécessaire pour coordonner et harmoniser cette opération a été pris ? Est-ce que les autres armées des quatre pays ou les autres secteurs des forces de la multinationale mixte ont été pris en compte pour en tirer toute l’efficacité.
Il faut que si Boko Haram a des soucis au Tchad, que les autres branches ne se réfugient pas dans les autres pays. Ce qui serait un éternel recommencement qui favorise la reconstitution. Il est important que chaque opération militaire garde à l’esprit cette possibilité-là.

lesnouvellesdafrique.info : L’opération Bohoma avait été coordonnée personnellement par le défunt Président Idriss Déby Itno, tout comme le fait actuellement son fils, Mahamat Idriss Déby Itno. Celui-ci s’est pourtant mis en congé de l’armée, non ?

Remadji Hoinathy : il faut savoir que malgré qu’il se soit mis en congé de l’armée, Mahamat reste le chef suprême des armées. Cela ne l’empêche pas de se déporter sur le terrain dans des occasions pareilles. Cela a créé la surprise, c’est vrai aujourd’hui, de le voir arborer le treillis. Seulement, la question qui se pose est celle de savoir s’il l’a fait en tant que général Mahamat, ce qui serait en porte à faux avec sa prise de position, avec son engagement lors de la présidentielle, ou c’est comme une force politique avec les troupes derrière. On verra bien qui sera désigné pour commander ces opérations sur le terrain.
J’ajouterai aussi ce fait essentiel. L’on se demande qui parmi les deux factions de Boko Haram a perpétré ces attaques.
Serait-ce celle de la province Afrique de l’ouest de l’État islamique (EIAO) ou le résidu du groupe d’Abubakar Chekau actuellement dirigé par un de ses anciens lieutenants, Bakuradoro, le JAS (Jama’atu Ahlis-Sunna Lidda’Awati Wal-Jihad) ?

Ce dernier et ses éléments sont dans les zones les plus lacustres, principalement entre le Nigéria, le Tchad et le Niger dans ce petit triangle. À mon avis, si cette opération avait été menée par l’État islamique, on l’aurait su depuis ce lundi à travers la communication officielle de Al Naba, l’organe de presse des djihadistes à l’échelle globale.
Cependant, vu que jusqu’ici les canaux de Iswap n’ont pas communiqué, je pense que cela pourrait être attribué à l’autre faction qui ne dispose pas des mêmes canaux de diffusion.

Ndeye Aissatou Diouf

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