Voici le plan de l’ADAC pour relancer l’aviation civile au Tchad

Depuis sa nomination à la tête de l’Autorité de l’Aviation Civile (ADAC) en février 2024, M. Senoussi Hassana Abdoulaye s’est résolument engagé à redresser une institution confrontée à d’importantes difficultés au Tchad.

Dans cette interview exclusive, le Directeur général nous expose les défis majeurs qu’il doit relever, les actions stratégiques qu’il a mises en place pour restaurer l’image de l’ADAC, ainsi que sa vision ambitieuse pour faire du secteur aéronautique un véritable levier de développement socio-économique pour le Tchad.

Tribune Echos: Vous êtes à la tête de l’ADAC depuis plus de 6 mois, comment avez-vous trouvé la maison ?

Senoussi Hassana Abdoulaye: En février 2024, il a plu aux Plus autorités de notre pays de nous nommer à la tête de l’Autorité de l’Aviation civile (ADAC) pour améliorer la gouvernance de l’institution, assainir sa gestion comptable et financière, restaurer son prestige et lui ouvrir de nouvelles perspectives.

En arrivant à la tête de cette importante institution de l’État qui est un organisme public à caractère administratif et technique, nous avons trouvé un établissement dont les ressources n’étaient pas employées prioritairement à l’exercice de sa mission régalienne qui est celle de la supervision de la sécurité et de la sûreté de l’aviation civile. En outre, cette institution était fortement engluée dans une dette à hauteur de plus de quatre (4) milliards de nos francs.

Alors, je dirai donc que la situation dans laquelle se trouvait l’ADAC à notre prise de service était assez délicate, notamment en matière de :

▪ Gouvernance et de gestion de l’institution;

▪ Cumul des créances et dettes des fournisseurs colossales;

▪ Faible taux de mise œuvre effective des plans d’action découlant des audits de l’OACI en matière de sécurité et de sûreté de l’aviation civile;

▪ Faible niveau de qualifications des inspecteurs en quantité et en qualité au profit de l’ADAC;

▪ Personnel technique découragé et désorienté;

▪ Beaucoup de contrats de prestation ou de travaux non achevés;

▪ Manque de moyens roulant pour les inspections et les directeurs techniques;

▪ Manque de bureaux en nombre suffisant;

▪ Recrutement non essentiel et pléthorique des agents peu qualifiés.

 Le secteur aéronautique est un secteur très sensible. Quelles sont les actions prioritaires que vous êtes en train de mener pour redorer le blason de l’ADAC ?

Pour redorer le blason de l’ADAC, nous avons entrepris, sous la supervision de notre tutelle, plusieurs actions prioritaires dont notamment:

L’élaboration et l’adoption, après une large consultation de toutes les structures de l’ADAC, d’un Plan d’actions stratégiques pour l’année 2024, prenant en compte toutes les priorités et préoccupations majeures de l’institution à court et moyen terme;

L’adoption par le Conseil de l’aviation civile (CAC) du Tchad d’un Plan d’apurement progressif des dettes de l’ADAC;

Le recentrage de l’institution autour de sa mission principale par l’adoption par les Plus Hautes Autorités de la République d’un nouveau décret portant organisation et fonctionnement de l’ADAC (Décret N°0011/PR/PM/MTACMN/2024 du 10 juin 2024);

La signature le 16 juillet 2024 à Libreville au Gabon avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) d’un accord de coopération technique pour « l’évaluation et le développement des compétences du personnel technique » qui nous permettrait de renforcer les capacités du personnel technique en charge de la supervision de la sécurité et de la sûreté de l’aviation civile;

Le lancement, très prochainement, d’un audit financier de l’ADAC à réaliser par un cabinet de renommée internationale;

L’organisation prévue du 11 au 25 novembre 2024 d’un audit à blanc du système de supervision de la sécurité de l’aviation civile du Tchad conformément à la méthode de surveillance continue (CMA) du système universel d’audit de supervision de la sécurité (USOAP) : ce qui permettrait d’évaluer objectivement les fondamentaux de notre système de supervision de la sécurité de l’aviation en vue de sa refondation;

L’organisation prévue en début 2025 par l’OACI d’un audit du système de supervision de la sûreté de l’aviation civile du Tchad conformément à la méthode de surveillance continue (CMA) du système universel d’audit de supervision de la sûreté (USAP) : ce qui permettrait d’évaluer les éléments cruciaux de notre système de supervision de la sûreté de l’aviation en vue des corrections à apporter;

La consultation en cours avec l’OACI en vue de la signature d’un accord de coopération technique pour l’élaboration et la mise en œuvre d’un « Plan directeur de l’aviation civile (CAMP) du Tchad »;

L’identification de quelques projets structurants qui seront dévoilés à mesure que ces projets arrivent à maturation;

Le renforcement des sources de financement des activités régaliennes de l’ADAC;

La mise en formation progressive du personnel; Etc.

Toutes ces actions doivent contribuer à nous permettre d’atteindre d’une part, la mise en conformité du système de l’aviation civile du Tchad en rehaussant les taux au minima requis au niveau international et d’autre part, d’assainir la gestion des ressources et des compétences.

En parlant justement de ce décret, qu’est-ce qu’il a de pertinent ?

Comme évoqué ci-haut, le Décret N°011/PR/PM/MTACMN/2024 du 10 juin 2024 portant organisation et fonctionnement de l’ADAC trouve sa pertinence dans le recentrage de l’Institution autour de sa mission régalienne qui est celle de la supervision de la sécurité et de la sûreté de l’aviation civile.

En outre, ce décret répond largement aux recommandations de l’OACI et aux attentes du personnel de l’ADAC, maintes fois exprimées en faveur de l’organisation initiale de l’ADAC à sa création et dont la nouvelle organisation adoptée est très proche.

Enfin, d’une manière spécifique, il y a lieu de noter que la suppression de postes budgétivores dont la valeur ajoutée est peu justifiée permet à l’ADAC de réaliser des économies d’échelle à hauteur de plus de 250 millions de FCFA sur le budget annuel actuel qui pourrait être utilisées pour accomplir les missions régaliennes de l’institution.

Où en est-on avec le processus de certification de l’aéroport international Hassan Djamous ?

Le processus de certification de l’aéroport international Hassan Djamous, lancé il y a quelques années (en 2015) n’a pas été mené à terme à cause de certains manquements liés notamment au:

Le faible niveau de préparation de l’Autorité de l’Aviation Civile et de l’Exploitant Principal la « DAGAANT »;

La nécessité de réhabilitation des aires de mouvement de l’Aéroport International Hassan Djamous de N’Djamena;

Le manque du personnel qualifié aussi bien au sein de l’ADAC que du côté de la DAGAANT.

Dans la perspective de la relance du processus de certification de l’Aéroport International Hassan Djamous de N’Djamena, un atelier de familiarisation sur la certification des aérodromes a été organisé par le Bureau WACAF de l’OACI en partenariat avec l’Autorité de l’Aviation Civile du Tchad, ici à N’Djaména du 05 au 09 août 2024. Cet atelier a permis d’élaborer un nouveau Plan d’actions du Tchad dont le suivi de sa mise en œuvre sera fait par le Bureau WACAF de l’OACI pour la certification de notre principal aéroport international.

En réponse aux préoccupations de l’ADAC, le Gouvernement de la République du Tchad à travers le Ministère chargé de l’aviation civile, a conclu le Marché de réhabilitation partielle des aires de mouvements de l’aéroport de N’Djaména dont le démarrage des travaux est prévu en début 2025.

En outre, toutes les parties prenantes à la certification de l’aéroport international Hassan Djamous de N’Djamous ont été sensibilisées, lors de l’atelier du 05 au 09 aout 2024, à l’effet de prendre leur part de responsabilité dans la mise en œuvre du Plan d’actions du Tchad.

A cet effet, l’ADAC que j’ai l’insigne honneur de diriger est chargée de veiller à la mise en œuvre effective dudit Plan.

En définitive, nous pouvons prendre le risque de dire que la certification de l’aéroport international de N’Djaména pourrait être réalisée dans les 24 prochains mois, si toutes les conditions sont réunies. Selon l’OACI, dans les conditions normales, le processus de certification d’un aérodrome nécessite 18 mois pour dérouler les phases dudit processus.

Pour revenir à l’ADAC, quels sont les défis de l’heure que vous avez à cœur de relever ?

Les défis sont nombreux mais dans notre agenda, nous avons retenus quelques priorités, notamment :

Le rétablissement de la santé financière de l’ADAC;

La mise à jour des Réglementaires  aéronautiques;

La mise en place effective d’une organisation interne claire conforme aux exigences de l’OACI;

La formation du personnel à laquelle avec une enveloppe financière conséquente dans les prochaines années pour disposer d’un personnel qualifié, compétent et en nombre suffisant;

Le renforcement de la surveillance continue des exploitants;

L’atteinte de 75% de taux de mise en œuvre du Plan d’Action Correctrices du Tchad;

L’élaboration et validation d’un Plan directeur de l’aviation civile (Civil Aviation Master Plan) pour le Tchad;

La mise en œuvre du plan d’action 2024 de l’ADAC;

Le respect des textes de passation des marchés;

L’étude pour la création d’un centre de maintenance d’aéronefs à N’Djaména.

Par ailleurs, en plus des défis que je viens d’énumérer, nous avons des projets structurants dont la mise en œuvre sera pilotée par le département en charge de l’Aviation Civile ; sans être exhaustif, nous envisageons de nous investir dans les projets ci-après :

La relance du projet de construction de l’aéroport international de Djermaya qui permettra de faire de notre pays un véritable hub sous-régional;

La mise aux normes OACI des autres aéroports (d’Abéché, d’Ati, de Faya-Largeau, de Sarh, etc.);

La création d’une académie d’aviation civile;

Etc.

  1. le Directeur général, que répondriez-vous aux passagers qui se plaignent de la mauvaise qualité de prestation de la sûreté et de la facilitation fournie sur la plate-forme aéroportuaire de N’Djamena ?

Nous comprenons et partageons les préoccupations de nos compatriotes, à plus forte raison, celles de nos hôtes qui transitent par notre aéroport.

Pour corriger ces insuffisances et satisfaire les revendications légitimes des passagers, Mme la Ministre des Transports, de l’Aviation Civile et de la Météorologie Nationale a mis en place un comité d’identification, de suivi et de renforcement des mesures de sûreté et de sécurité à l’aéroport international Hassan Djamous de N’Djamena. Aussitôt après le dépôt du rapport dudit comité, la Direction générale de l’ADAC a été désignée pour superviser la mise en œuvre des mesures correctrices relevées. C’est pour vous dire que nous nous attelons, et ce avec rigueur, à changer ce phénomène peu reluisant de certaines prestations fournies sur notre plate-forme. D’ailleurs, c’est pour cette raison évidente que nous avons initié une série de rencontres tant avec les compagnies que les opérateurs et fournisseurs opérant sur notre aéroport en vue de corriger les manquements constatés. La mise en œuvre des recommandations du comité est en cours.

Les Tchadiens se plaignent de la cherté des billets d’avions à partir du Tchad, quelle est votre explication ?

La tarification des billets d’avion par les compagnies aériennes dépend en grande partie de leur coût d’exploitation.

Les principales charges d’exploitation incompressibles des compagnies sont le coût du carburant et la maintenance des aéronefs.

Au regard de la volatilité du prix du pétrole et la faible disponibilité du jet A1, les compagnies aériennes ont à l’international fait admettre comme convention que le coût du carburant ne soit pas pris en compte dans le prix hors taxe du billet d’avion. Ainsi la “charge carburant” est définie comme une taxe au bénéfice des compagnies. Celle-ci représente en moyenne un tiers du coût final du titre de transport. Pour justifier l’augmentation récurrente de cette TAXE qu’elles perçoivent, les compagnies se justifient en avançant les coûts des mesures de sûreté additionnelles pour répondre à la menace terroriste.

A cette justification, on peut ajouter le coût d’une desserte (vol) qui est pondéré par le coefficient de remplissage de l’avion. Une compagnie a besoin en moyenne d’un coefficient de remplissage d’environ 75% pour entrer dans ses charges et dégager une marge bénéficiaire.

Par exemple, un vol N’Djaména- Douala avec un Boeing 737 de 124 places ne transportant que 54 passagers avec un taux de remplissage de 44% ne peut être rentable pour une compagnie. Compte tenu du coût d’exploitation (avion, carburant, personnel) la compagnie répercute sur le prix du billet d’avion ses charges fixes pour ne pas fonctionner à perte.

Une autre explication est celle de la faiblesse du marché, par exemple pour l’année 2023 nous avons enregistré au Tchad 134 608 au départ et 130 248 à l’arrivée, toutes compagnies aériennes confondues.

Ce trafic était plus bas les années précédentes, n’oubliant pas la crise du COVID19 qui a gravement impacté les compagnies aériennes.

En somme, le coût élevé des billets n’est pas lié aux redevances en vigueur au Tchad mais, c’est tient à une question de rentabilité pour les compagnies aériennes au regard de tous les éléments que je viens de mentionner ci-haut.

Quel est votre mot de fin ?

Notre mot de la fin est celui de la sérénité et de la confiance. Car, nous faisons confiance à nos collaborateurs compétents et nous pensons qu’en travaillant avec toutes les parties prenantes, au-delà de l’ADAC, nous pouvons et nous devons progressivement amener notre pays à découvrir sa vocation à développer de façon optimale le transport aérien en que niche rentable pour notre pays compte tenu de son enclavement et du manque de débouchés maritimes.

Notre salut se trouve donc dans le transport aérien comme moyen de transport à privilégier pour rapprocher les Tchadiens entre eux au niveau domestique mais aussi rapprocher le Tchad du monde, à l’international.

Pour arriver à véritablement développer le transport aérien, nous avons besoin d’une vision claire pour agir de manière cohérente et stratégique. C’est cette vision qui sera développée à travers la définition d’un Plan directeur de l’aviation civile du Tchad qui nous permettra de faire du transport aérien un véritable levier du développement socio-économique de notre pays.

Pour finir, nous comptons sur le soutien des plus hautes autorités de notre pays pour faire rayonner l’aviation civile au Tchad. Nous sommes optimistes et nous y parviendrons Dieu voulant.

Source : Tribune Echos

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