« Les pays de l’AES doivent savoir raison garder »(Pr. Amadou Fall)

Après le Mali, le Niger a annoncé mardi (06.08.24) avoir rompu « avec effet immédiat » ses relations diplomatiques avec l’Ukraine.

La décision fait suite à l’attitude de l’ambassadeur ukrainien à Dakar qui a posté une vidéo sur les réseaux, se félicitant de la lourde défaite subie par l’armée malienne et ses supplétifs russes du groupe Wagner, lors des combats avec des séparatistes touaregs et djihadistes. Bamako et Niamey ont accusé Kiev d’ingérence dans ses affaires intérieures des États du Sahel (AES).
Cette escalade diplomatique semble transposer, selon plusieurs analystes, la guerre entre la Russie et l’Ukraine sur le sol africain, notamment au Sahel.

Nous vous proposons l’analyse d’Amadou Fall, professeur émérite à l’université de Ziguinchor, dans cet entretien accordé à la rédaction lesnouvellesdafrique.info.

Lesnouvellesdafrique.info : Quelle analyse faites-vous de la situation qui prévaut entre les États de l’AES et l’Ukraine suite aux événements survenus à Tinzaouatene dans le nord du Mali ?

Professeur Amadou Fall: Dans nos relations internationales, nous africains, les Sénégalais en particulier, devrons faire très attention aux intérêts en jeu. Il nous faut bien réfléchir. Tout acte doit tenir compte des intérêts globaux et spécifiques de nos États. Il y a des intérêts économiques, géopolitiques, stratégiques et sécuritaires. On ne peut comme une traînée de poudre rompre nos relations parce qu’un tel l’a fait avec certaines puissances. Il faut que l’on évite la période de la Guerre froide.

Nous étions là durant cette période et nous avons vu, et en tant que professeur d’histoire, nous avons enseigné et étudié ce qu’il en est. Et cette période avait pesé sur le développement de l’Afrique. On se plaçait délibérément du côté d’un parapluie nucléaire et militaire, de l’Union soviétique en particulier ou des États-Unis, avec toutes les conséquences qui en ont découlé. Il nous faut réfléchir calmement et sereinement dans le cadre de nos intérêts globaux spécifiques. Il faut éviter de tomber dans le cercle vicieux. Certes, nous sommes de petits États, mais géo stratégiquement, nous pesons lourds. Ces puissances ont des intérêts vitaux importants par rapport à notre situation géographique. C’est pour cela que nous devons être très mesurés dans nos prises de position.

Lesnouvellesdafrique.info : Quelles conséquences pour l’Ukraine dans ses relations avec les autres pays africains ?

Amadou Fall: Je dois vous dire que dans les relations internationales, notamment en ce qui concerne l’Afrique, ces puissances ne nous laissent pas dormir. La colonisation est la conséquence qui fait que ces puissances ont des intérêts vitaux par rapport à leurs économies tant que nous ne prenons pas en main notre destinée. C’est la raison pour laquelle il ne suffit pas de cibler que l’Ukraine. À ce niveau, il faut également cibler toutes les puissances coloniales et même néocoloniales qui sont là et qui voudraient que l’on soit dans leur giron. Il faut juste éviter de faire un transfert d’agressivité et de responsabilité.

Autrement dit, affirmer que tout ce qui nous arrive est la faute de l’Ukraine ou d’une autre puissance – même si je dois avouer qu’elles sont toutes parties prenantes de notre sous-développement- ne serait pas juste L’évolution historique coloniale en est la preuve. Mais aujourd’hui, ce qui nous interpelle, c’est d’y aller rapidement. Le vrai problème est que nous pouvons tout changer en passant par l’éducation. Il nous faut beaucoup de sérénité et éviter les discours va-t’en guerre et les discordes. Nous sommes nous-mêmes nos propres fossoyeurs économiques ».

Lesnouvellesdafrique.info : Le bras de fer entre l’AES et l’Ukraine ne serait-elle pas une prémice de l’exportation du conflit russo-ukrainien dans le Sahel ?

Amadou Fall : Je dirai au-delà du Sahel. Cela ne débute pas par la guerre Russo-Ukrainienne. Nous importions nous-mêmes des conflits en Afrique. La colonisation est un aspect qu’on importe entre ces puissances coloniales et les peuples africains.

Le cas de la Russie et de l’Ukraine ne devrait pas cacher les problèmes qui perturbent et retardent le développement du continent. Ceci, par le simple fait que l’Occident n’a jamais arrêté de s’immiscer dans les affaires africaines. C’est à ce niveau qu’il faut poser le débat et dire que nous sommes en permanence dans un conflit qui est loin de s’éteindre.

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