L’obstacle religieux et socio-culturel face à l’application de l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste

En Afrique, beaucoup d’actes ont été posés dans le cadre de la mise en oeuvre de l’autorisation de l’avortement dans les cas où celui-ci est consécutif à un viol ou un inceste. L’objectif étant l’harmonisation des conventions internationales avec la législation interne des pays ayant ratifié le protocole de Maputo en son article 14. Lequel article garantit le droit des femmes  à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Seulement sur 54 pays africains, seuls 10 l’ont jusque là autorisé. Un protocole qui constitue l’un des premiers cadres juridiques pour la protection des droits et des libertés des femmes et des jeunes filles en Afrique.

Cependant, malgré des progrès, sa mise en œuvre reste difficile, puisque neuf femmes africaines sur dix en âge de procréer vivent dans des pays dotés de lois restrictives concernant l’avortement. Un vrai problème de santé publique auquel s’ajoutent des positions idéologiques religieuses et traditionnelles qui rendent difficiles son application.

Même si le Sénégal l’a ratifié depuis 2003, il reste encore du chemin à faire pour les femmes désireuses de s’adonner à cette pratique. En effet dans une République laïque mais ancrée dans la religion, le conservatisme n’a toutefois pas dit son dernier mot. Dans ce pays, l’avortement est permis seulement en cas de risques pour la vie de la mère.

En Côte d’Ivoire récemment, le 06 juin dernier, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau texte qui ajoute les cas d’inceste . Celui-ci est différent de celui de 2019 qui ne l’autorisait qu’en cas de viol et lorsque la vie de la mère est gravement menacée.

Ce texte indique en plus qu’avant interruption de la grossesse, le médecin doit avoir la preuve de l’ouverture d’une information judiciaire pour viol et une demande écrite de la victime.

Ce qu’une militante féministe ivoirienne estime constituer un frein pour les victimes avec de telles conditions .

Au Sénégal , un comité de plaidoyer dénommée « Task Force » a été mis en place en 2013 à la suite d’une étude réalisée par la direction de la santé de la mère et de l’enfant sur les avortements clandestins.

Elle s’est voulue le porte parole pour l’autorisation de l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste.

Sa coordinatrice Aissatou Ndiaye affirme que l’Etat du Sénégal peine à harmoniser sa législation nationale au protocole de Maputo. Il faut savoir que pour le Sénégal l’avortement est interdit sauf quand la grossesse met en danger la santé de la mère. Et même pour ce cas, Aissatou explique que l’application pose problème car la procédure est assez longue.

Selon elle, « il faudrait qu’il ait l’attestation de trois médecins et un médecin doit être envoyé par le tribunal » Sans compter le coût du certificat médical avec toutes les procédures à suivre ajoute t’elle. « Le temps de la justice n’étant pas le temps de la santé, le délai imparti pour pouvoir procéder à l’avortement pouvant être dépassé ».

La Task Force est un comité pluridisciplinaire qui regroupe une trentaine d’organisations dont des religieux, des associations de professionnels de santé, de professionnels des médias, des organisations de la société civile comme l’Association des juristes sénégalaises (AJS), un collectif de féministes.

L’interruption Volontaire de grossesse (IVG) en Afrique représente la moitié du pourcentage des motifs d’admission en urgence dans bien des maternités. Nous le savons tous, la religion occupe une place importante au sein de nos sociétés. Mais encore le jugement de cette société pèse plus lourd pour une femme en état de grossesse dans des conditions hors mariage.

Le poids de la religion

Le meurtre d’un enfant dans le ventre de sa mère appelée pudiquement « avortement médicalisé » est une option occidentale selon le vice président de l’Ong Jamra, une association islamique qui lutte contre certains fléaux sociaux. Son vice-président, Mame Mactar Gueye préconise que les associations mobilisées doivent plutôt réorienter les moyens sur la question au profit des orphelinats qui disposent de peu de moyens. Plutôt que de miser sur des campagnes de promotion de l’avortement médicalisé dans les médias.

La religion musulmane semble flexible sur la question même si elle réprime l’avortement dans sa législation.

Sauf que selon l’imam Amadou Makhtar Kanté il est vrai que le viol ou l’inceste est traumatisant pour la femme ou la fille qui l’a subi. Seulement cela ne constitue pas un motif légal pour autoriser l’interruption de grossesse d’après les référencements de l’islam, le coran notamment .

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Toutefois si des risques de décès se présentent pour la femme, ou des risques létales liées à sa santé, dans ce cas la charia (loi islamique) autorise l’avortement.

La religion chrétienne quant à elle n’accepte ni moralement, ni religieusement l’interruption volontaire de grossesse comme le dit ce curé établi à Gorée (île à Dakar).

D’après lui « ce que Dieu a décidé par le don de la vie, ce n’est pas à l’être humain d’en mettre fin » . Et le processus d’avortement obéit justement à cette interruption qui tend à mettre fin à une vie.

Conception de la personne humaine selon l’islam et le christianisme

Abbé Biram Alphons précise que l’embryon qui se forme à partir de l’os déjà et qui va devenir un fœtus est une vie en puissance.

Tertullien au 3eme siècle disait « Est homme celui qui le devient ». Dans le devenir de la personne humaine, il y a ce processus irréversible de la formation de l’embryon qui va aboutir à la formation d’un être humain.

Les textes dans la religion musulmane divergent. Selon les propos attribués au prophète « les hadiths » dans l’islam, l’âme humaine est insufflée à 40 jours tandis que d’autres l’attribuent à 120 jours.

Mais l’avortement en principe est interdit selon l’imam Kante, cela à toutes les étapes de la grossesse sauf avis médical pour les juristes musulmans.

Même si pour d’autres, passé le délai de 120 jours quelque soit le risque encouru, il n’est pas autorisé car il y a une âme humaine.

La coordinatrice de la Task Force au Sénégal estime que lorsque qu’on parle d’avortement souvent on pense à ôter une vie. Parfois l’icônographie même qui y est associée ne colle pas.

En effet, il est bien différent de l’image de la femme renvoyant à un ventre arrondi. On parlera de vie humaine à partir de 120 jours comme ressorti dans l’argumentaire religieux avec les quatre écoles de référence en islam.

Les militantes pour la cause

Sylvia Apata, militante féministe ivoirienne s’insurge contre les pesanteurs sociales et pense qu’il est temps de parvenir à l’autorisation pure et simple de l’avortement pour toutes les femmes en Côte d’Ivoire. Elle est d’avis que la femme qui est victime de viol suivi d’une grossesse doit avoir recours à l’avortement si elle le désire. Dans ce cas précis, se limiter au constat du médecin sur le fait du viol seul suffit.

Même si des avancées sont notées avec l’implication de toutes les parties prenantes sur le plaidoyer pour l’accès à l’avortement médicalisé , un gros travail reste à faire tranche Aissatou.

Elle est d’avis que cette situation est souvent tue dans nos sociétés, la victime oubliée avec une grossesse qu’elle n’a pas désirée et qu’on lui a imposée.

Le regard de la société pèse sur cet enfant appelé « enfant naturel ». D’après elle, il ne dispose pas d’équité au sein de la société, même en terme de justice sociale. Il n’aura pas les mêmes droits que ceux nés dans les liens du mariage. En somme , il ne bénéficiera pas des services sociaux de base, sa maman pointée du doigt par cette même société.

Sylvia Apata de poursuivre que cela doit faire partie des droits fondamentaux de la femme, l’autorisation de l’avortement sans toutes ces conditions qui, d’après elle, sont « de nature à empêcher à la femme de disposer de son corps ». « Le sort de son corps ne pouvant et ne devant pas être décidé par un tiers ».

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