Avril 1994-juin 2024, trente ans après, le Rwanda présente toujours les stigmates du génocide entre les Hutu et les Tutsis. Un génocide de « proximité » où bourreaux et victimes cohabitaient ensemble. Un meurtre de masse qui a fait plus de 800000 morts. Suffisant pour mettre le pays à terre. Toutefois, le pays semble renaître de ces cendres tel un phénix.
Dans cet entretien, Jean Victor Nkolo, ancien journaliste et porte-parole de la Mission des Nations-Unies en Éthiopie et en Érythrée par ailleurs serviteur dans dix missions de maintien de la paix notamment au Rwanda revient sur l’opération Turquoise, son rôle sur la mise à mort des Tutsi et l’élection présidentielle qui se profile au Rwanda avec Paul Kagamé qui brigue son quatrième mandat.
Lesnouvellesd’Afrique.info: Pouvez vous revenir sur l’origine de l’opération turquoise et sa mission officielle ?
Jean Victor Nkolo: Ce que l’on peut dire, dans l’histoire des crimes atroces et des génocides en Afrique, On se souvient de celui du génocide qui a affecté les juifs dans la deuxième guerre mondiale et un peu avant en Europe. Jamais on ne ne pourrait croire que ces genres de choses pouvaient se passer dans un pays aussi petit et apparemment très calme et assez beau comme le Rwanda.
En réalité, l’opération Turquoise est la représentation même d’un échec géopolitique internationale. Dans le sens où cette opération qui avait eu des objectifs précis et qui, à un moment avait été adoubé par le conseil de sécurité des Nations unies. Cette opération a eu en un effet pervers. C’est à dire, que tout en sauvant quelques Rwandais du génocide, elle a aussi permis de mettre à l’abris sinon même d’aider de manière directe ou indirecte les génocidaires et surtout les extrémistes Hutu qui se sont enfuis soit exilés dans le Zaïre voisin.
C’est donc dire qu’une opération comme celle là, non seulement la difficulté qu’elle ait été confiée à un seul pays doit être soulignée mais encore la communauté internationale en adoubant une telle opération doit pleinement assumer les conséquences de cet échec.
Lesnouvellesd’Afrique.info: Quel est le rôle qu’a joué cette opération, organisée par la France sur le génocide rwandais ?
Jean Victor Nkolo: Une opération comme celle là, non seulement la difficulté qu’elle ait été confiée à un seul pays doit être soulignée mais encore la communauté internationale en adoubant une telle opération doit pleinement assumer les conséquences de cet échec. C’est donc un véritable apprentissage de l’histoire de l’histoire de savoir qu’une opération comme celle là a eu non seulement un effet pervers grave mais aussi un enseignement historique sur un échec qui était peut être programmé mais qui n’était peut être pas nécessairement voulu en haut lieu. Le problème en réalité est que les opérations doivent avoir une définition claire , des moyens importants, une éthique et une véritable volonté d’assumer ce qui a été décidé. Ce qui n’est pas le cas de l’opération turquoise.
Lesnouvelles d’Afrique.info: 30 ans après le génocide rwandais, que peut-on retenir?
Jean Victor Nkolo: trente ans après, on en parle encore avec beaucoup d’inquiétudes. Parceque la notion même de génocide alors qu’on a bien compris qu’au Rwanda c’était parfaitement cela, puisque c’est une chose qui était pensée. C’est un sédiment, un poison de la haine qui a été inséminé dans la tête des gens. C’est une opération qui a été menée par des extrémistes qui utilisaient un langage précis.
Mais aussi c’est un nombre très important de morts. Cette chose qui s’est passée au Rwanda répond parfaitement à la définition du génocide de 1948. En 2024 on en parle un peu partout en Afrique même dans la région des Grands Lacs parceque le génocide nous rappelle que l’ire de cette chose atroce est encore là et qu’elle peut encore arriver au Darfour, au Soudan, dans l’Est du Congo et même dans diverses régions d’Afrique.
C’est cela qu’il faut retenir. Il semble que trente ans après, nous n’avons pas appris et digéré toutes les bonnes leçons que nous aurions dû apprendre. Ce qui est grave. C’est pour cela que la nomination de Adama Dieng comme le tout premier envoyé spécial de l’Union Africaine pour lutter contre les génocides et éviter les crimes atroces est une bonne chose. Il faudra simplement que l’Union Africaine lui accorde les moyens afin qu’il soit l’alerte, l’éveil pour que ce qui s’est passé au Rwanda il y’a trente ans ne se reproduise ailleurs.
Lesnouvellesd’Afrique.info: En 2021, le parquet de Paris avait requis un non lieu général dans l’enquête sur l’inaction reprochée à l’armée française lors des massacres de Bisesero à la fin de juin 1994, pendant le génocide des Tutsi au Rwanda. Y’a t-il une évolution depuis lors? Et quelle appréciation faites vous de cette décision ?
Jean Victor Nkolo: oui, il y’a une évolution parceque la commémoration du génocide y compris en France continue à être un événement qui est de plus en plus célébré mais aussi , de plus en plus de pays continuent leurs enquêtes, à faire des arrestations à poursuivre les génocidaires. Cependant, il y’a une appréciation qu’il faut faire non seulement de cette décision du parquet de Paris mais aussi de l’état de l’application de droit international par rapport au génocide. En réalité, les États y compris ceux d’Afrique qui sont signataires, mandataires des accords sur les droits humains, sur la prévention des génocides et sur toutes sortes de protocoles soient non seulement engagés mais soient véritablement le fer de lance de leurs propres politiques.
Or, il se trouve qu’en Afrique ou même dans le monde, il y’a des parquets, des systèmes de justice , des parlements qui n’ont pas encore pris de pleines mesures du génocide mais aussitôt de l’action que ces pays peuvent mener pour arrêter les génocides car ces derniers doivent être poursuivis et arrêtés afin que les victimes aient un peu de justice même s’il est impossible de ramener les morts à la vie. Il reste que la justice soit faite. Et faire comprendre que ce qui s’est passé ne sera plus pardonnable.
Lesnouvellesd’Afrique.info: Parlons à présent de l’élection présidentielle qui aura lieu dans quelques semaines au Rwanda, avec cette trentième année du génocide et le rapport des 50 journalistes qui épingle le régime de Kagame, y’aura t-il pas d’impact pour la campagne de ce dernier ?
Jean Victor Nkolo: Le génocide et sa commémoration ne sont pas nécessairement impliqués dans la question politique des élections. Cependant, il est vrai que certains rapports des médias internationaux ont épinglés le régime de Kagamé, il est difficile de dire que cela impactera sur l’électorat. Mis à part la question du génocide, le régime dirigé par ce dernier est celle de mener à bien la reconstruction d’un pays qui était à terre, il a fait une démonstration importante. Il a essayé de moderniser le pays. Aucun régime n’est exempt de reproches, pour ce qui est du Rwanda, je pense que ce serait erroné de mêler la question du génocide à celle de la gouvernance.
Ce serait d’une certaine manière victimiser une fois de plus non seulement le peuple Rwandais mais aussi le régime . Comme si il avait participé à contribuer à ces événements atroces. Ce que l’on peut dire cependant c’est, que cela soit le Rwanda ou les autres pays dans le monde, la question de la gouvernance se pose et les journalistes ont parfaitement le droit de faire des recherches et de critiquer. Il appartient à l’électorat et au régime de Kagame de corriger un certain nombre de manquements qui auraient été constaté. Cela fait partie du jeu démocratique.
Et l’existence d’une presse ainsi que les faits allégués par une presse internationale sont des choses qu’un régime ne doit pas craindre. Tous les régimes doivent s’y attendre et y répondre. C’est à l’électorat de faire la différence entre tout cela et de voire comment ils se prononceront ou s’ils tiendront comptes de ces critiques ou non.
Lesnouvellesd’Afrique.info: Jean Victor Nkolo, merci.
Jean victor Nkolo: merci à vous.
Ndeye Mour Sembene