Selon le rapport « Un pays…deux systèmes de santé », publié par le Collectif Sassoufit, le montant des évacuations sanitaires des officiels de la République du Congo (Brazzaville) à l’étranger représente presque l’intégralité du budget alloué au fonctionnement du ministère de la Santé. Dans cet entretien accordé à la rédaction Lesnouvellesdafrique.info, Andréa Ngombet Malewa, directeur exécutif de l’ONG Sassoufit explique cette disparité criante.
Lesnouvellesdafrique.info: Dans un nouveau rapport publié le 5 juin 2024, l’ONG Sassoufit relève des inégalités dans l’accès aux soins de santé entre les dirigeants et les citoyens au Congo-Brazzaville. Que dit le rapport?
Andréa Ngombet Malewa : Le rapport « Un pays… Deux systèmes de santé » par le Collectif Sassoufit fournit une analyse complète du système de santé en République du Congo, révélant des disparités criantes et une corruption systémique. Voici les points clés résumés du document :
Statistiques de santé : Espérance de vie : 64 ans pour les hommes, 68 ans pour les femmes. Taux de mortalité infantile : 56 décès pour 1 000 naissances vivantes. Taux de mortalité maternelle : 383 décès pour 100 000 naissances vivantes. Principales causes de mortalité : Paludisme, infections respiratoires, maladies diarrhéiques et VIH/SIDA. Les dépenses de santé publique représentaient 4,4 % du PIB en 2020.
Infrastructures de santé : Le pays compte 8 hôpitaux généraux, 334 centres de santé intégrés (CSI), 232 dispensaires et divers autres établissements de santé. Une part importante des budgets de santé est consacrée aux évacuations médicales des élites plutôt qu’à l’amélioration des services de santé locaux.
Budget et dépenses : Le budget de la santé représentait en moyenne 8 % du budget national entre 2015 et 2018, souvent éclipsé par les dépenses de défense. La mauvaise gestion et le détournement de fonds sont endémiques, et de nombreux projets restent inachevés malgré des investissements substantiels.
Corruption et mauvaise gestion : De nombreux projets de santé ont été attribués à des entreprises sans expérience, ce qui s’est traduit par des travaux incomplets ou mal exécutés. Des initiatives et des fonds essentiels en matière de santé ont été détournés par des personnes et des entités ayant des liens politiques. Le décret de 2013 a créé une direction de la santé spécialisée et une clinique exclusivement pour le président et sa famille, mettant en évidence l’apartheid systémique en matière de santé.
Évacuations médicales : Une part importante du budget de la santé est consacrée aux évacuations médicales à l’étranger, sans qu’il y ait de critères clairs pour déterminer qui en bénéficie. En 2019, le coût des évacuations médicales a presque égalé l’ensemble du budget de la santé.
Fondations et influence politique : Plusieurs fondations liées à la famille présidentielle reçoivent des financements opaques et contribuent peu à l’amélioration de la santé publique. Des entités telles qu’ASPERBRAS et PAMI Partner sont impliquées dans des projets de santé à grande échelle avec peu de comptes à rendre.
Cartels pharmaceutiques : Le réseau de distribution pharmaceutique est contrôlé par quelques entités liées à des personnalités politiques, ce qui se traduit par des prix gonflés et un accès limité.
Problèmes systémiques : Les travailleurs de la santé sont confrontés à de longues périodes de salaires impayés et les programmes de santé de base, tels que le traitement gratuit du paludisme pour les femmes et les enfants, sont inefficaces ou inexistants.
Ce rapport dresse un tableau désastreux du système de santé en République du Congo, caractérisé par la corruption, la mauvaise gestion et des inégalités criantes entre les soins de santé offerts à la population et à l’élite. La cartographie détaillée des acteurs et des problèmes systémiques souligne la nécessité de réformes significatives pour garantir un accès équitable aux soins de santé à tous les citoyens.
Lesnouvellesdafrique.info: Selon ce rapport bien documenté, des maternités rurales ne disposent pas de lits et sont en état de délabrement avancé. « Nos enquêtes de terrain dans certaines zones rurales du nord et du sud du pays ont été choquantes, compte tenu du degré de détérioration avancé des centres de santé intégré », ajoute le rapport. Etes-vous choqué?
Andréa Ngombet Malewa : Oui, je suis choqué. Les informations rapportées sont très préoccupantes. La détérioration avancée des centres de santé intégrés, en particulier dans les zones rurales, a des implications graves pour la santé et le bien-être des populations locales. L’absence de lits et l’état de délabrement des maternités sont inacceptables, car ils compromettent la qualité des soins de santé offerts aux mères et aux nouveau-nés, augmentant ainsi les risques de complications et de mortalité. Il est impératif que des mesures urgentes soient prises pour améliorer ces conditions et garantir un accès équitable à des soins de santé adéquats pour tous.
Lesnouvellesdafrique.info: Le rapport indique que le système de santé congolais est en plein désarroi malgré des investissements importants : environ 25% du budget annuel de la santé a été consacré à la création de nouveaux hôpitaux depuis 2014, sans grand changement sur le terrain. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Andréa Ngombet Malewa : Les projets de santé initiés par Asperbras en 2014 ont eu un taux d’exécution de seulement 26,8% malgré des décaissements importants. Environ 91,40% du budget alloué de 500 milliards de FCFA a été décaissé, mais n’a pas été exécuté de manière effective.
Asperbras n’avait pas d’expertise préalable en matière de construction d’hôpitaux, ce qui remet encore plus en question l’attribution de projets aussi importants à Asperbras.
Asperbras Congo illustre les défis de la corruption et de la mauvaise gestion dans les projets d’infrastructure publique au Congo Brazzaville. Bien qu’ils aient reçu d’importantes sommes d’argent, les projets de l’entreprise ne se sont pas concrétisés, et des fonds considérables n’ont pas été comptabilisés. L’implication de personnalités politiques de haut niveau dans ces projets complique encore les efforts visant à garantir la transparence et la responsabilité.
Lesnouvellesdafrique.info : Selon le rapport, le montant des évacuations sanitaires des officiels congolais à l’étranger représente presque l’intégralité du budget alloué au fonctionnement du ministère de la Santé. Comment l’expliquez-vous?
Andréa Ngombet Malewa : La situation décrite dans le rapport révèle un déséquilibre alarmant dans la gestion des ressources financières du secteur de la santé. Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi le montant des évacuations sanitaires des officiels congolais à l’étranger représente presque l’intégralité du budget alloué au fonctionnement du ministère de la Santé :
-
Infrastructures et Services de Santé Inadequates :Les infrastructures de santé locales peuvent être insuffisamment équipées ou dans un état de délabrement, comme le mentionne le rapport. Cela oblige les officiels à chercher des soins de meilleure qualité à l’étranger.
-
Manque de Confiance dans le Système de Santé Local :Les officiels peuvent avoir une faible confiance dans la capacité des structures locales à offrir des soins de qualité, préférant ainsi se faire traiter dans des pays où les services de santé sont perçus comme étant de meilleure qualité.
-
Priorités Budgétaires Mal Définies: La priorisation des dépenses peut être mal orientée, favorisant les évacuations sanitaires coûteuses pour les officiels plutôt que l’investissement dans l’amélioration des infrastructures et des services de santé locaux.
-
Corruption et Mauvaise Gestion: La corruption et la mauvaise gestion des fonds publics peuvent également jouer un rôle. Les ressources qui devraient être utilisées pour améliorer les services de santé locaux peuvent être détournées pour financer des évacuations à l’étranger.
-
Pressions Politiques: Il peut y avoir des pressions politiques pour assurer que les officiels et leurs familles reçoivent les meilleurs soins disponibles, peu importe le coût, souvent au détriment des investissements nécessaires dans le système de santé national.
Cette situation nécessite une réforme profonde et une réévaluation des priorités budgétaires pour assurer que tous les citoyens congolais aient accès à des soins de santé de qualité, réduisant ainsi la nécessité des évacuations sanitaires coûteuses.
Lesnouvellesdafrique.info: À qui appartient Eurapharma? Sassoufit a longuement écrit sur le sujet. Donnez-nous plus d’informations?
Andréa Ngombet Malewa : Eurapharma appartient au groupe français CFAO (Compagnie Française de l’Afrique Occidentale), qui est une filiale du groupe japonais Toyota Tsusho Corporation. Eurapharma est un acteur majeur dans la distribution pharmaceutique en Afrique, fournissant des médicaments et des équipements médicaux à travers plusieurs pays du continent.
Sassoufit, dans ses écrits, a souvent abordé le rôle et l’influence de grandes entreprises pharmaceutiques comme Eurapharma en Afrique. Ces analyses peuvent mettre en lumière plusieurs aspects, notamment :
-
Monopole et Influence: Eurapharma, en tant que grande entité, peut exercer une influence considérable sur le marché pharmaceutique africain, ce qui pourrait poser des problèmes de monopole et d’accès équitable aux médicaments.
-
Accessibilité et Prix des Médicaments: Sassoufit montre que le prix du medicaments au Congo est jusqu’à plus de 30 fois superieur au prix de reference international. Il va meme jusqu.à plus de 100 fois concernant le prix des vermifuges. Ces prix elevés rendent les soins inaccessibles pour certaines communautés.
-
Transparence et Gouvernance: La transparence des opérations et la gouvernance d’Eurapharma sont également des points cruciaux. Sassoufit n’a pas pu avoir acces à l’actionariat des filiales congolaises de Eurapharma. Ce manque de transparence fait craindre une possible participation de la famille presidentielle. Le reseau Ubipharm congo est dirigé par un depute PCT proche de Denis Christel Sassou Nguesso, le fils du president.
Lesnouvellesdafrique.info: Que savez-vous de Asperbras Congo : « l’opérateur véreux préféré du clan présidentiel »?
Andréa Ngombet Malewa : Asperbras Congo, une société congolaise-brésilienne, s’est fortement impliquée dans les investissements de santé publique au Congo, en particulier dans la construction de 12 hôpitaux généraux. Cependant, les activités de la société ont été entachées d’allégations de corruption, de mauvaise gestion et d’irrégularités financières.
Asperbras, sous la direction du luso-brésilien José Veiga, a été impliquée dans des activités de corruption et de blanchiment d’argent impliquant des fonctionnaires congolais tels que Denis Christel Sassou Nguesso et Claudia Sassou Nguesso.
En novembre 2013, Asperbras LLC a reçu un transfert substantiel d’environ 491 millions d’euros de la part de la Direction générale du Trésor congolais. Cette transaction a suscité des soupçons en raison du solde bancaire précédemment minime de la société.
Veiga a acheté un appartement de 7 millions de dollars à la Trump Tower à New York pour Claudia Sassou Nguesso, potentiellement dans le cadre d’un plan visant à gagner de l’influence politique aux États-Unis.
Lesnouvellesdafrique.info: Sassoufit écrit également sur son site internet: « En 2015, en plein débat sur le changement de la constitution, le programme Caravane Santé pour tous de la fondation Perspective d’avenir a sillonné le pays avec l’ambition d’accompagner le Chemin d’avenir, le projet politique du président de la République. Il n’existe aucun rapport chiffré ou d’explication sur l’origine des fonds ». De quoi s’agit-il?
Andréa Ngombet Malewa : Le programme Caravane Santé pour Tous de la Fondation Perspective d’Avenir est officiellement une initiative humanitaire visant à améliorer l’accès aux soins de santé dans les régions les plus défavorisées et isolées. Ce programme, lancé par la fondation, est conçu pour répondre aux besoins de santé urgents et pour combler les lacunes du système de santé dans les zones rurales et périurbaines. Dans les faits, il a ete une operation politique pour promouvoir le changement de la constitution de 2015.
Le directeur du programme, le docteur Florent Aimé Bembé, est un biologiste pharmacien militaire formé à l’école de médecine militaire navale de Bordeaux en France et officiellement scientifique du laboratoire médical de l’hôpital militaire de Brazzaville. Il a utilisé le programme pour promouvoir la vision politique de son champion avec des organisations satellites comme la dynamique des jeunes de Poto-Poto en soutien au chemin d’avenir (le projet de société du président Sassou en 2009) et Les Messagers et défenseurs de la paix au Congo.
Lesnouvellesdafrique.info: Comment réagissez-vous aux rétrécissements de l’espace civique et politique dans les pays d’Afrique de l’Ouest qui ont été l’objet des coups d’Etat: Niger, Mali, Guinée, Burkina Faso?
Andréa Ngombet Malewa : Bien que je sois respectueux de la souverainete des peuples, je doute en effet que la vague des coups d’etat en Afrique de l’Ouest soit reelement une expression de cette souveraineté. Les rétrécissements de l’espace civique et politique dans les pays d’Afrique de l’Ouest, notamment le Niger, le Mali, la Guinée, et le Burkina Faso, suscitent une profonde inquiétude et une grande préoccupation. Au Burkina Faso principalement mais aussi au Mali et en Guinée, il y a un consensus anti-Peul quasi genocidaire. Les galimatias pseudo-revolutionnaires panafricains ne trompent personne, les juntes agitent la haine du francais et de l’occident pour s’eterniser au pouvoir au detriment du peuple.
Moscou offre ainsi une protection militaro-diplomatique à des regimes à la derive qui pourtant avait ete porté au pouvoir par une veritable esperance democratique et populaire. Au Niger, c’est l’impossible integration des Touaregs et la convoitise autour du petrole qui ont scellé le destin du President Bazoum. Nous appelons à sa libération au nom des principes universelles des droits de l’homme bien qu’il n’était pas lui même un modele d’ouverture démocratique.
Lesnouvellesdafrique.info: La Russie continue de poursuivre son offensive diplomatique sur le continent. Début juin, Serguei Lavrov s’est rendu en Guinée, au Burkina Faso, En republique du Congo et au Tchad. Comment réagissez-vous à cette offensive diplomatique?
Andréa Ngombet Malewa : La Russie est un pays voyou qui visite d’autres états voyous. A partir de ce constat il n’y a pas grand chose a ajouté. Elle est dans sont droits de visiter des Etats et de chercher des soutiens pour sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Il n’est pas certains que ce soit dans l’interet des peuples que les dirigeants de ses pays reçoivent Monsieur Lavrov.
Lesnouvellesdafrique.info: Les Français sont appelés aux urnes le 30 juin pour le 1er tour des élections législatives après la dissolution de l’Assemblée nationale par le président français. Emmanuel Macron a justifié sa décision par le score sans précédent réalisé par le Rassemblement National qui devance de très loin Renaissance, le parti présidentiel. Était-ce une décision réfléchie?
Andréa Ngombet Malewa : Fidele au principe du respect de la souverainete des peuples, j’estime qu’en appeler au vote des electeurs est toujours une bonne decision. Quand l’executif n’a aucune majorité pour gouverner sereinement, il est toujours bien avisé de clarifier les choses dans les urnes. Il se trouve que la constitution francaise prevoit cette possibilité de dissolution et d’elections anticipées.
C’est une excellente disposition. Je dis à mes amis Français, aller voter selon votre inclinaison, vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez de pouvoir elire vos representants librement. Nous congolais n’avons eu dans notre histoire qu’un seul vote libre et transparent dans notre histoire, c’etait en 1992. En 1993, la dissolution de l’assemblée par le président Lissouba a debouché sur une guerre civile et des massacres interethiniques. 30 ans plus tard, le pays peine toujours a panser ses blessures.