« Le Conseil supérieur de la magistrature sans le président de la République conduirait à un gouvernement des juges », (Babacar Ba, FJ / Sénégal) »

Les assises de la justice au Sénégal entamées sous forme de dialogue national ont débouché sur des propositions d’amélioration du fonctionnement du système judiciaire.

Cette réunion bouclée mardi (04.06.2024) regroupait magistrats, avocats, membres de la société civile, professeurs d’université, anciens détenus. Ils ont proposé des réformes synthétisées dans un rapport final qui sera remis au président de la République dans le courant de la semaine prochaine.

Des points essentiels sur lesquels Babacar Ba, membre de l’une de ces commissions sur la réforme et président du forum du justiciable sénégalais est revenu dans cet entretien accordé à la rédaction lesnouvellesdafrique.info.

Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour Babacar Ba

Babacar Ba : Bonjour

Lesnouvellesdafrique.info : Hier mardi (04 06 2024) a eu lieu la restitution des propositions issues de la concertation sur la réforme et modernisation de la justice. Que retenir dans l’ensemble ?

Babacar Ba : D’abord féliciter la tenue de ses assises. Et dire qu’un point qui nous tenait à cœur a bien retenu l’ensemble des acteurs présents à ce dialogue : l’instauration d’un juge des libertés et de la détention, qui de manière considérable va réduire les pouvoirs exorbitants du procureur de la République.

Aujourd’hui comme vous le savez nous avons un parquet avec un procureur qui a d’énormes pouvoirs. Avec cette installation nous allons non seulement réduire les pouvoirs du procureur mais également rationaliser les mandats de dépôt, qui actuellement sont délivrées de manière systématique.

Autre point positif, c’est la création d’une Cour constitutionnelle en lieu et place du Conseil constitutionnel.
Elle va permettre d’élargir la saisine aux citoyens car s’agissant du Conseil constitutionnel, la saisine est limitée.
Je m’explique, aujourd’hui ce n’est que le président de la République et les députés qui peuvent faire la saisine. Donc avec la Cour constitutionnelle, elle pourra être plus élargie. Je pense qu’à notre niveau ces points ont vraiment retenu notre attention.

Lesnouvellesd’afrique.info : Est-ce à dire que l’instauration d’un juge des libertés et de la détention signifierait la fin des longues détentions carcérales ?

Babacar Ba : On l’espère, on espère que cela va impacter de manière positive sur la question des longues détentions qui aujourd’hui constituent l’une des difficultés de notre système carcéral.

Comme je viens de le dire, la manière dont les mandats de dépôts sont délivrés vont certainement se répercuter sur le surpeuplement carcéral.

Si vous allez à la maison d’arrêt de Rebeuss (prison en centre-ville de Dakar), vous allez vous rendre compte que la majeure partie de détenus qui s’y trouvent sont des gens en position de détention préventive. C’est pourquoi depuis toujours les organisations des défenses des droits de l’homme ont réclamé l’instauration d’un juge de la détention et des libertés.

D’autres propositions également ont été faites par rapport aux magistrats du siège c’est-à-dire renforcer aujourd’hui le principe de l’inamovibilité qui garantit l’indépendance du magistrat du siège.

Comprenons par là que le magistrat ne peut être déplacé sans son consentement. Mais on se rend compte dans la pratique que ce principe est contourné.. ils ne sont pas titulaires des postes qu’ils occupent. D’où notre demande de mieux encadrer ce principe de l’inamovibilité.

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Je pense que dans l’ensemble les propositions issues de ces travaux sont vraiment pertinentes.

Lesnouvellesdafrique.info : pensez vous à l’immédiateté de leurs applications ?

Babacar Ba : l’application je pense va se faire dans le temps dans la mesure où toutes les recommandations issues de ces assises ne peuvent pas être appliquées. C’est quelque chose qui se fera au fil du temps même si certaines peuvent être appliquées d’ici 2 à 3 mois.

Il s’agira de voir lesquelles des propositions sont les plus pertinentes. Essayer d’intégrer les autres dans le dispositif juridique car il y a un préalable à faire et il faut agir en termes de priorité.

Lesnouvellesdafrique.info : un dernier point qui a retenu l’attention également et qui n’a pas fait l’objet de consensus : la présence du président de la République qui préside le Conseil Supérieur de la Magistrature. Quel est votre avis ?

Babacar Ba : Il n’y a pas de consensus effectivement sur ce point puisque certains militent pour le retrait du président de la République du conseil supérieur de la magistrature tandis que d’autres sont d’accord sur la continuité de l’exécutif à siéger au conseil.

Nous, par exemple Forum du justiciable sommes d’avis qu’il faut maintenir l’exécutif au sein de ce conseil c’est-à-dire le président de la République et le ministre de la justice au conseil supérieur de la magistrature.

L’article 42 de notre constitution dit que le président de la République est le clé de voûte de toutes les institutions. C’est au président de définir la politique pénale de ce pays et au ministre de la justice de mettre en œuvre cette politique pénale.

Donc vous ne pouvez pas extirper ces deux personnes du conseil supérieur de la magistrature.

Si on le fait aujourd’hui on risquerait d’avoir un pouvoir judiciaire extrêmement puissant, un pouvoir judiciaire capable de prendre des décisions qui normalement devraient relever de l’exécutif. Ce qui est dangereux dans un état de droit car pouvant créer des frustrations au sein de la magistrature.

Parce qu’aujourd’hui, si vous dites aux magistrats que c’est vous qui allez désormais diriger le conseil sans l’arbitrage du président de la République, il peut y avoir du copinage.

Au sein de la magistrature il ya des anciens magistrats pratiquement à la porte de la retraite et des jeunes fraîchement venus, il peut y avoir un conflit de générations d’où l’importance d’avoir quelqu’un qui peut réguler. Donc aujourd’hui si on enlève le président de la République et le ministre de la justice, cela peut conduire à un gouvernement des juges, une République des juges.

Je pense que pour nos états africains dans le cadre de certaines réformes il faut y aller pas à pas.

Je le dis parce que je sais que pour certains pays qui avaient décidé d’enlever l’exécutif du conseil supérieur de la magistrature l’ont vraiment regretté par la suite.

Lesnouvellesdafrique.info : Babacar Ba merci.

Babacar Ba : c’est moi qui vous remercie.

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