Le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a publié lundi (03.06.24) le classement annuel des crises les plus négligées dans le monde. Neuf pays africains figurent parmi les dix crises de déplacement de populations « les plus négligées » dans le monde. Le Burkina Faso se trouve en première position du classement, comme en 2022, avec « un record de 707.000 nouveaux déplacements et des centaines de milliers de personnes privées de toute aide.
Dans cet entretien avec lesbouvelledafrique.info, Ousmane Drabo, le conseiller Média Régional – Afrique Centrale et Occidentale de NRC passe au peigne fin le cas des Neuf pays africains.
Lesnouvellesdafrique.info : M. Ousmane Drabo, bonjour. Neuf pays africains figurent parmi les dix crises de déplacement de populations « les plus négligées » dans le monde selon un classement annuel publié lundi par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Sur quels critères vous basez-vous pour établir un tel classement ?
Ousmane Drabo : Il y a trois principaux critères sur lesquels nous nous basons. Le premier, c’est le niveau de financements humanitaires.
Le deuxième critère concerne la couverture médiatique. On remarque que dans les pays en crise, surtout en Afrique, les crises sont moins couvertes comparé à d’autres crises au niveau international par exemple. Quand on compare le Burkina Faso l’Ukraine ou à Gaza, il y a moins d’engagement médiatique sur le Sahel ou d’autres pays en Afrique qu’à Gaza ou en Ukraine.
Le troisième critère est l’engagement politique et diplomatique. C’est-à-dire toutes les initiatives mises en place pour pouvoir atténuer la souffrance des populations qui vivent dans ces pays en crise mais aussi pour mettre fin au conflit. Au niveau des décisions du conseil de sécurité, les différents blocs régionaux, africains et internationaux, on remarque également moins d’engagements.
Lesnouvellesdafrique.info : Les conflits sans doute à l’origine de ces déplacements ?
Ousmane Drabo : Ce sont les conflits qui occasionnent les déplacements de populations dans les pays du Sahel par exemple, ou en Afrique Centrale comme le Cameroun et en RDC ou en Afrique de l’est comme le Soudan ou le Sud Soudan. Partout, c’est pratiquement les mêmes raisons, les mêmes causes qui produisent les mêmes effets, c’est-à-dire la guerre, l’intensification des violences qui poussent les populations à chercher refuge dans d’autres localités.
Lesnouvellesdafrique.info : Qu’est-ce qui fait le manque de médiatisation des crises en Afrique particulièrement ?
Ousmane Drabo : Il y a plusieurs facteurs. Plus l’événement se passe loin de chez nous, plus on a tendance à négliger. Quand on parle de la négligence médiatique sur ces crises, c’est souvent en Afrique. Les médias internationaux qui mettent en lumière les crises s’intéressent moins aux crises en Afrique et manifestent plus d’intérêts aux crises en Ukraine, à Gaza, par exemple, Premièrement.
Deuxièmement, c’est qu’il y a des choix de décisions opérés par certains pays en crise notamment en Afrique. Au Burkina Faso, au Mali ou au Niger, des journalistes ont été expulsés, des médias suspendus, des signaux de médias coupés. Cela peut occasionner aussi un manque de visibilité médiatique autour de ces crises.
Troisièmement, il peut y avoir des raisons liées au manque de moyens des organes de presse. Si les combats se passent dans des zones loin des capitales, il est très difficile pour les journalistes de s’y rendre, même pour les journalistes locaux. Et cela peut expliquer l’absence d’informations sur le terrain autour de ces conflits.
Lesnouvellesdafrique.info : La situation s’est également détériorée dans les pays du Sahel dirigés par des régimes militaires qui ont pris le pouvoir suite à des coups d’Etat et rompu certains accords avec des partenaires occidentaux. Quel est la particularité dans ces pays-là ?
Ousmane Drabo : Il n y a pas de spécificités au Sahel par rapport à d’autres pays en conflit pour l’étude que nous avons menée. Mais comme vous l’avez vu, le Burkina Faso se trouve en première position du classement, comme en 2022, avec « un record de 707.000 nouveaux déplacements et des centaines de milliers de personnes privées de toute aide. C’est la première fois que le Niger apparaît dans le classement.
On retrouve trois pays du Sahel dans le top 5 des crises négligées. Ce qui n’est pas anodin. Sur le plan médiatique, il y a beaucoup de restrictions dans ces pays. De même, au niveau de l’engagement politique et diplomatique, on a remarqué qu’entre ces pays et d’autres puissances occidentales se sont dégradées depuis que les militaires ont pris le pouvoir . Cela peut expliquer le faible engagement politique et diplomatique sur ces crises.
Par ailleurs, chaque année le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unis (OCHA) définit les besoins de financement dans chaque pays. Il se trouve qu’au Burkina Faso, au Mali et Niger, même pas 40% de ces besoins n’ont été couverts. On a remarqué justement qu’à ce niveau, l’aide humanitaire a tendance à se politiser. Des puissances internationales, pour des raisons politiques ou géopolitiques ont décidé de couper l’aide humanitaire aux pays dirigés par des putschistes.
Lesnouvelledafrique.info : Comment l’aide humanitaire est collectée ?
Ousmane Drabo : Il y a des besoins humanitaires dans pratiquement toutes les zones de crise dans le monde. Les ONG, les agences humanitaires des Nations Unis se coordonnent pour faire l’état des lieux et font ensuite un appel à financement de ces actions humanitaires. Des pays comme la France, l’Angleterre, les États-Unis, le Canada, l’Australie, entre autres organisations internationales comme l’union européenne, OCHA à travers son fonds d’assistance humanitaire distribué à tous les acteurs humanitaires.
Lesnouvellesdafrique.info : Quelles sont les recommandations phares faites par le CNR ?
Ousmane Drabo : Nous avons recommandé aux médias et aux journalistes de s’engager davantage, de mettre en place plus de moyens pour donner plus de visibilité médiatique aux crises en Afrique.
Sur le plan du financement humanitaire, nous avons appelé à plus d’aide et de solidarité internationale de la part des bailleurs de fonds. Nous recommandons vivement les pouvoirs militaires et les puissances internationales de ne pas politiser l’aide humanitaire.
Les actions humanitaires ont des principes clés que sont l’humanité, la neutralité, l’indépendance et l’impartialité.
Donc elles ne doivent pas être politisées. Les gens meurent de faim dans des zones comme à Djibo et à Sori dans le Faso à cause de cette politisation. Sur le plan politique et diplomatique, nous appelons le conseil de sécurité des nations unies, les blocs politiques internationaux et régionaux à mettre en place plus d’initiatives pour mettre fin à ces conflits car l’aide humanitaire ne saurait être éternelle.
La meilleur solution est de mettre fin aux conflits et permettre aux populations déplacées de retrouver leurs domiciles.