« Il faut mettre fin à la perpétuation de la dictature en Guinée Equatoriale »(Juan Carlos ONDO ANGUE)

Sous mandat d’arrêt par la justice de son pays, l’ancien président de la Cour suprême de Guinée-Equatoriale(GE), Juan Carlos ONDO ANGUE, dénonce l’acharnement contre sa personne et la tentative d’enlèvement aux fins d’assassinat a-t-il dit à notre rédaction.

 

Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour M. Juan Carlos ONDO ANGUE.

Juan Carlos ONDO ANGUE : Bonjour.

Lesnouvellesdafrique.info : En février 2020, vous avez du quitter votre pays après une tentative d’arrestation manquée. On vous soupçonnait alors d’être impliqué dans la tentative de coups d’État qui a échoué en 2017. plus récemment, un mandat d’arrêt international a été lancé contre vous par le ministère public de la Guinée Equatoriale, toujours pour des faits d’implication supposée dans un « plan de déstabilisation du pays ». Qu’en est il ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : L’homme de droit que je suis n’éluderait jamais l’action de la justice, toutefois qu’elle préserve mes droits fondamentaux. Mais comme chacun sait, il ne s’agissait pas, en 2020, d’une tentative d’arrestation, mais bien d’une tentative (nocturne) d’enlèvement aux fins d’assassinat, dont furent d’ailleurs témoins directs les ambassadeurs américain, français et espagnol de l’époque (respectivement Susan Stevenson, Olivier Brochenin et Guillermo Lopez Mac Lellan). Depuis lors, le régime n’a eu de cesse de déployer ses relais pour m’attirer en GE, toujours aux fins d’assassinat, à l’instar d’autres dissidents tels Bonifacio Nguema Esono, Eloy Elo Nve, Gabriel Nze Obiang, etc.

La tentative de kompromat à Paris, les accusations portées contre moi en GE en rapport aux décisions prises par la Cour Suprême sous ma présidence (donc antérieures au mois d’août 2018) et à des faits prétendument délictueux antérieurs à mon expatriation (en 2020), dont notamment ceux d’implication supposée dans la tentative de coup d’état de 2017 (dont les auteurs présumés ont été jugés alors que je me trouvait encore en GE), font partie d’une campagne visant à me discréditer et à occulter mes revendications en faveur de la restauration de l’état de droit en GE. Celles-ci sont par ailleurs portées par l’ensemble de la dissidence au sein de la plateforme pro droits de l’homme NEXOS GE, dont j’ai l’honneur d’assurer la présidence.

En effet, à l’instar de toutes les institutions de l’Etat, la justice est dépendante et soumise au dictateur Obiang, elle est de ce fait assignée à la répression de la dissidence politique. Dès lors, toute action intentée en droit interne contre celle-ci est contraire aux exigences du droit au procès équitable tel que défini par le Pacte International des Droits Civils et politiques (PIDCP) ratifié par la GE en 1987 et transcrite en droit interne.

Lesnouvellesdafrique.info : En exil en France, vous avez déposé une plainte avec constitution de partie civile pour tentative d’enlèvement et séquestration, menace de mort et chantage. Où en est la procédure ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : La plainte avec constitution de partie civile vise à dénoncer la persécution dont je suis l’objet de la part du régime, à sanctionner les actes préparatoires exécutés par la cellule française de la « securitate » en vue de mon enlèvement, transfert forcé en GE et postérieur assassinat. Elle a été déposée auprès du doyen des juges d’instruction de Paris, sous les soins de mon conseil, Me Dominique INCHAUSPE, et elle suit son cours.

Lesnouvellesdafrique.info : Fin février dernier, deux anciens ministres de Guinée équatoriale ont été condamnés à des peines de prison ferme pour leur implication dans une affaire de détournement de fonds publics de l’ordre de dix milliards de francs CFA (15,2 millions d’euros). Il s’agit de l’ex-ministre de l’économie et des finances Valentin Ela Maye. C’est une initiative à saluer non surtout que l’indice de corruption est évalué à 83 (sur une échelle allant jusqu’à 100) par l’ONG Transparency International ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : A mon connaissance (suite aux informations diffusées par les médias officiels), aucune accusation formelle n’a été intentée à l’encontre de deux membres du gouvernement pour des faits supposés de corruption. L’ancien ministre Valentin Ela Maye aurait fait l’objet, vraisemblablement, d’un ordre « d’arrestation à domicile » dans le cadre d’un audit réalisé par les forces armées sous la direction de Teodorin Nguema Obiang, fils du dictateur Obiang et vice président de la république. Une mesure coercitive décidée arbitrairement, qui ne correspond donc pas à la mise en œuvre d’une politique publique de lutte contre la corruption mais d’une véritable chasse aux sorcières en lien avec le projet de succession (de Teodorin Nguema Obiang) à la présidence de la république suite au retrait progressif du dictateur vieillissant et déclinant.

Or, précisément, Teodorin Nguema Obiang a lui-même été condamné en France, aux Etats Unis, en Suisse, au Brésil et en Afrique du Sud, pour blanchiment de fonds publics au terme de procès équitables au cours desquels il a été défendu aux frais de l’Etat. Il n’a par ailleurs (faut-il le rappeler) jamais fait l’objet de poursuites en droit interne en lien avec les faits antérieurs, bien que l’infraction pénale principale de détournement de fonds publics (de laquelle dérive celle de blanchiment) ait été commise sous juridiction équato-guinéenne. Plus récemment, l’opération « Dubai Unlock » a dévoilé une nouvelle trame de détournement et de blanchiment de fonds publics, qui serait à nouveau l’œuvre de Teodorin Nguema Obiang et d’autres membres de la famille présidentielle (dont son frère Hassan Obiang, son oncle Candido Nsue, ses cousins, etc), comme jadis l’enquête sénatoriale américaine sur l’affaire Riggs Bank. A l’instar de cette dernière, les révélations de l’enquête émiratie ne donneront lieu à aucune action légale en droit interne.

Au regard de ce qui précède, il apparait aisément que la justice (comme toutes les autres institutions de l’Etat, toutes inféodées a la dictature militaire) est à la solde de la famille Obiang, dont elle assure l’impunité pour les crimes et délits dont celle-ci se rend responsable depuis maintenant 45 ans, forfaiture et violation permanente de l’ordre constitutionnel, violations systématique des droits fondamentaux, et détournement de fonds publics. En définitive, les actions mises en œuvre en droit interne contre les membres de la famille Obiang et d’autres officiels, ne sauraient être tenues pour conformes aux standards internationaux relatifs au droit au procès équitable.

Lesnouvellesdafrique.info : Au terme d’un scrutin sans suspense, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a été réélu avec un score officiel triomphal de 94,9% fin novembre 2022. Croyez-vous en l’alternance dans votre pays ?

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Juan Carlos ONDO ANGUE : Au vu du contexte sus-décrit, il faudrait plutôt se demander si, à l’instar de ce qui vient de se passer au Gabon, les forces armées de la GE auraient le devoir de déposer le dictateur Obiang. Dès lors que depuis 45 ans, ce dernier viole également (comme le clan Bongo) l’ordre constitutionnel en vigueur, bafoue systématiquement les droits fondamentaux des citoyens, et perpétue à la force la dictature à travers la fraude électorale systématique, proscrivant de facto le pluralisme politique et le droit à l’alternance. Ainsi, l’armée républicaine, dont le rôle est de garantir l’existence même de l’Etat par le fonctionnement régulier de ses institutions, serait bien fondée à démettre le dictateur Obiang, en vue de permettre la restauration de l’ordre constitutionnel.

Lesnouvellesdafrique.info : Craignez-vous un coup d’État pour mettre un terme au régime du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo comme ce fut le cas au Mali, au Niger, en Guinée ou au Burkina Faso ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : Tel que précédemment, la dictature militaire imposée par le lieutenant colonel Obiang Nguema Mbasogo en 1979, muée en parti unique (le PDGE) et régnant depuis sans partage dans le cadre d’un multipartisme de façade, n’a jamais concédé le moindre interstice de liberté politique. Il accapare toutes les institutions de l’Etat et se perpétue par la fraude électorale, au vu et au su de la communauté internationale. Dès lors, et malgré l’alarmante précarité socio-politique des populations (négation des droits politiques basiques, taux de pauvreté de plus de 80%, etc), l’indifférence de la communauté internationale ne semble pouvoir (à court terme) se muer en empathie, et la doxa officielle du régime ne cèdera dès lors pas à la demande de liberté d’une population aux abois. De surcroît, l’armée, à laquelle revient l’obligation et le devoir de démettre le dictateur (cf ut supra), n’est pas en mesure de mener à bien ladite mission car encadrée par la famille Obiang et par des mercenaires étrangers. Dans ce contexte, on serait fondés à craindre le pire.

Lesnouvellesdafrique.info : Vous vivez en exil en France, où vous coordonnez une plateforme de l’opposition avec pour principal objectif : sensibiliser l’opinion internationale à l’actualité équato-guinéenne. Avez-vous des ambitions politiques ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : Après 45 ans de dictature sanglante (à la suite de la précédente de 11 ans co-dirigée par le lieutenant colonel Teodoro Obiang Nguema),  » au fils du tyran, Teodorin Nguema Obiang. Ce dernier a été discrétionnairement désigné par le tyran comme successeur constitutionnel sans l’assentiment du Peuple, dans le seul but de perpétuer la dictature. Dès lors, en vue d’éviter la dégénérescence du contexte socio-politique, nous formulons le souhait, dans le cadre de la plateforme NEXOS GE, que la communauté internationale soutienne et entérine la mise en œuvre d’une transition pactée et inclusive, aboutissant à terme au rétablissement de la démocratie. Dans cet espoir, je me tiens à la disposition de mon Pays et de tout projet politique œuvrant pour la défense de l’état de droit et la promotion de la justice sociale.

Lesnouvellesdafrique,info : Le 20 janvier 2023 à Paris s’est tenue la vente aux enchères des biens mobiliers saisis par la justice de Teodorín Obiang, vice-président de la Guinée équatoriale et fils du président Obiang. L’intégralité des recettes de la vente des 157 lots sera reversée à l’Etat français, puis redistribuée aux Equato-Guinéens. Où en est-on ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : La société civile équato-guinéenne, victime des crimes commis par le clan Obiang contre le patrimoine de l’Etat depuis 45 ans, n’a pas été associée au procès dit des Biens Mal Acquis (BMA). A fortiori, elle n’a pas été consultée lors du processus d’adoption de la loi portant sur la restitution des actifs confisqués, dite loi SUEUR, ni, encore moins, sur sa mise en œuvre concernant précisément le volet équato-guinéen de l’affaire. De surcroît, à travers une nébuleuse d’intermédiaires et d’ONGs, le régime tente depuis lors d’obtenir (frauduleusement) la restitution de l’immeuble Foch 42 et d’autres actifs confisqués au terme dudit procès. Ce qui aboutirait inexorablement à une double spoliation, si elle venait à être concédée par les autorités françaises.

Il est dès lors souhaitable d’établir le dialogue entre les instances officielles françaises concernées et la société civile équato-guinéenne regroupée au sein de la plateforme NEXOS GE, laquelle œuvre de concert avec les instances paneuropéennes (dont notamment le parlement de l’UE) en vue de la défense des droits de l’homme en Guinée Equatoriale. Les échanges entre ceux-ci auraient pour finalité d’esquisser une réforme du cadre normatif relatif à la restitution des avoirs confisqués, dans l’intérêt supérieur des populations.

Lesnouvellesdafrique.info :  Que pensez-vous de la position de la communauté internationale, notamment de la France par rapport à la situation de la Guinée-Equatoriale ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : Bien que la GE soit membre à part entière de la francophonie et de la CEMAC, elle ne fait néanmoins pas partie du giron français, dès lors qu’ancienne colonie espagnole. La relation bilatérale oscille dès lors entre la nécessité de préserver une certaine « stabilité relationnelle » et le devoir de promouvoir le respect du droit international, dans le cadre renouvelé des accords de Samoa. Ce dernier volet, que nous souhaitons privilégier, honore non seulement la France et l’UE mais l’ensemble de la communauté internationale, et devrait constituer de ce fait la priorité dans les relations diplomatiques avec la GE.

Lesnouvellesdafrique.info : Vous sentez-vous en sécurité en France ?

Juan Carlos ONDO ANGUE : Aucun dissident, à fortiori ceux qui, comme moi, ont occupé de hautes fonctions dans le Pays, ne se sent en sécurité nulle part. Ainsi que le démontrent les rapports périodiques d’organismes spécialisés de l’ONU, et plus récemment le rapport d’EUROPOL qui sous-tend l’enquête judiciaire actuellement en cours auprès de l’Audiencia Nacional espagnole, la persécution et l’éradication de la dissidence (dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le « terrorisme d’Etat du régime Obiang ») représentent le principal enjeu pour la survie de la dictature d’Obiang. De ce fait, l’antenne extérieure de la « securitate » (qui est basée en Espagne) traque les dissidents politiques dans toute l’Europe et partout dans le monde. Elle bénéficie d’appuis politiques importants, et compte sur une capacité logistique illimitée qui est financée par l’Etat.

Toutefois, forts du résultat des actions menées dans le cadre de la plateforme NEXOS GE, nous appelons l’ensemble des pays amis, et de la communauté internationale en général, à persévérer dans ses efforts en vue du rétablissement de la démocratie et de l’état de droit en GE.

Lesnouvellesdafrique.info :  Merci M. Juan Carlos ONDO ANGUE.

Juan Carlos ONDO ANGUE : Merci.

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