C’est ce mercredi (29 05 2024) que les élections générales en Afrique du Sud auront lieu. L’ANC, le parti au pouvoir est dans une zone de turbulence car confronté entre chômage endémique, corruption, coupures d’électricité et d’eau.
Dr. Paul-Simon Handy, directeur régional de l’Afrique de l’Est et représentant auprès de l’Union Africaine de l’Institut d’Etudes de Sécurité à Addis-Abeba, décrypte les chances du parti du Congrès National Africain (ANC) de remporter ces élections.
lesnouvellesdafrique.info : Bonjour Paul Simon Handy.
Paul Simon Handy : Bonjour.
lesnouvellesdafrique.info: Beaucoup d’observateurs spéculent sur une possible perte de sa majorité absolue pour l’ANC pour ces élections du 29 mai ? Êtes vous du même avis ?
Paul-Simon Handy : L’ANC pourrait perdre sa majorité même si c’est un narratif qu’on entend depuis les 3 dernières élections législatives en Afrique du Sud. Mais cette fois-ci beaucoup de choses ont changé.
D’un côté, il y a le bilan de l’ANC qui n’est pas reluisant économiquement car elle peine a créer assez d’emplois pour une population qui est de plus en plus jeune. Une population qui n’a pas vécu l’apartheid.
Dernièrement il a beaucoup fait l’objet d’accusations de scandales de corruption, un parti perçu comme un parti corrompu, peu compétent et dont les membres semblent être plus préoccupés par l’enrichissement personnel que par des efforts vérifiés pour l’avancement économique du pays.
Il y a aussi l’aspect démographique qui joue un rôle très important car la jeunesse sud africaine n’est pas aussi attachée à l’Anc que la génération de leurs parents.
A côté, il y a aussi cette multiplicité de partis qui est née surtout au sein de la majorité noire qui sont un peu le signe de ce désaveu grandissant de la majorité de la population envers l’ANC. Donc il y a de fortes chances que l’ANC perde sa majorité même si rien n’est sûr.
Ce qui pourrait faire que l’ANC ne perde pas sa majorité absolue c’est la multiplication de partis politiques de l’opposition et actuellement aucun des partis de l’opposition individuellement ne peut menacer l’ANC.
lesnouvellesdafrique.info : Justement 50 partis en lice pour ces élections avec 4 têtes d’affiche, est ce qu’une coalition des partis de l’opposition pourraient faire perdre l’ANC ?
Paul-Simon Handy : Ces partis n’ont rien en commun même si l’ANC venait à perdre sa majorité, ces partis ne pourraient pas former un gouvernement parce qu’ils ne s’entendent sur pratiquement rien.
Il est clair que si l’ANC n’arrive pas à avoir les 50%, elle pourrait s’accorder les faveurs d’un parti ou deux pour atteindre cette majorité. Elle sera toujours au pouvoir. Elle a perdu le pouvoir dans certains exécutifs municipaux.
Moi je les appellerai plutôt des alliances et non des coalitions qui sont très instables. En Afrique du sud, ce que l’on voit c’est pas des contrats sur des programmes politiques mais plutôt des distributions de postes dans l’exécutif tout simplement.
Ce sont des alliances politiques et non des coalitions qui sont plus profondes que cela. Si elle devait perdre sa majorité, l’ANC et s’allier les services d’un ou d’autres partis, je pense que l’Afrique du Sud entrerait dans une zone d’instabilité politique aux conséquences qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui.
lesnouvellesdafrique.info : Quel impact l’inéligibilité de Zuma peut-elle avoir comme conséquence pour ces élections de demain ?
Paul-Simon Handy : La non participation en tant que telle de Zuma n’aura aucun impact.
La différence de l’Afrique du Sud par rapport à d’autres pays africains c’est que c’est une véritable démocratie.
Vous avez vu que l’annonce de l’inéligibilité de Zuma n’a pas conduit à des émeutes même si son camp n’était pas content. Il y a eu une acceptation de cette décision de la cour constitutionnelle qui ne souffre d’aucun recours.
Zuma ne participera pas mais il est très possible que la participation de ce parti là puisse priver l’ANC de voix importantes surtout dans le KwaZulu-Natal, le bastion natal de Jacob Zuma qui reste un vivier important de voix pour l’ANC. L’impact pourrait coûter des voix importantes à l’Anc pour le décompte final.
lesnouvellesdafrique.info : Quel avenir pour l’ANC, ce parti au lendemain de ces élections pour un pays avec 1/3 de la population qui fait face à un chômage endémique, des pénuries d’eau, d’électricité ?
Paul-Simon Handy : A mon avis c’est là le véritable échec de l’ANC. Elle n’a pas su maintenir une dynamique économique qui soit génératrice d’emplois. Les sociétés publiques et para publiques dont elle a hérité se sont avérées être des gouffres financiers. C’est le cas de la société nationale d’électricité (eskom) ou encore la société de transport (transnet), un vrai désastre. Le manque d’électricité, une incapacité pour le gouvernement de l’ANC de diversifier les sources d’énergie a un impact direct même sur l’industrie.
On peut considérer cela comme le principal échec de l’ANC et d’où le grand désaveu surtout de la population noire, beaucoup de personnes surtout de la classe moyenne noire dans les grandes villes comme Johannesburg, Pretoria, Cape Town ont un grand attachement pour ce parti mais ne veulent pas voter pour l’ANC et ne trouvent pas une alternative viable.
Le gros problème pour ces élections risque d’être l’abstention car beaucoup même s’ils sont en désaccord avec l’ANC ne trouve pas que l’AD (l’alliance démocratique) qui est un peu l’héritière indirecte de l’ANC sous l’apartheid puisse faire l’affaire. Elle est trop blanche pour la majorité des noires même si elle est très forte dans certaines régions comme au Cap.
Cependant, elle n’est pas en mesure de représenter une alternative viable qui puisse menacer l’Anc au niveau national. Beaucoup se retrouvent dès lors face à une situation de choix impossible d’où une véritable menace de l’abstention.
Les nouvelles d’Afrique.info : Une abstention qui peut conduire à une victoire de l’ANC ?
Paul-Simon Handy : Elle va justement favoriser l’ANC. Car elle a un noyau d’électeurs très stables. Les personnes âgées de 40 ans et plus sont très favorables à l’ANC. C’est les jeunes qui sont très défavorables qui sont les plus menacées par l’abstention. Tout ceux qui s’abstiendront devront être confrontés au fait qu’ils auront indirectement votés pour l’ANC.
Mon inquiétude est que malgré les compétences de l’ANC, il reste qu’une défaite de l’ANC exposerait l’Afrique du sud à une instabilité politique qui serait très dangereuse pour toute la région d’Afrique australe.
Quelque part quand je vois les alternatives, la multitude de partis politiques qui ont très peu de membres, qui sont très populistes, anti noir africains, je suis quand même inquiet de la possibilité pour l’ANC de perdre sa majorité.
lesnouvellesdafrique.info : Paul Simon Handy, les nouvelles d’Afrique.info vous remercie.
Paul-Simon Handy : Merci à vous.