Le Premier ministre guinéen Amadou Oury Bah a présenté ce lundi (27.05.24), sa déclaration de politique générale devant les conseillers nationaux de la transition. S’exprimant sur les questions relatives à l’ordre constitutionnel, le chef du gouvernement de transition à évoqué à nouveau l’organisation du scrutin référendaire sur la nouvelle constitution prévue pour la fin de l’année. Une démarche fondamentale, selon M. Bah, pour établir un cadre légal reflètant les aspirations nationales.
Mais pour Aissatou Baldé, journaliste et analyste politique, la réalité est toute autre. Selon elle, la junte est loin de vouloir rétablir l’ordre constitutionnel. Elle nous le dit dans cet entretien exclusif.
Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour Mme Baldé. Quel regard portez-vous sur la situation politique qui prévaut en Guinée, votre pays ?
Aissatou Baldé : Mon impression est que les Guinéens sont encore une fois trahis parce qu’ils sont dans une situation de coup d’Etat qui ne change pas depuis très longtemps. La Guinée a connu beaucoup de coups d’État mais avec Mamadi Doumbouya, après 10 ans de règne d’Alpha Condé sur fond de violence et de répression, on croyait que ce coup d’Etat avait l’air d’être salvateur. Beaucoup de choses ont été promises. Dans son discours du 20 septembre 2021, Mamadi Doumbouya avait dit que la justice allait être la boussole de leur gouvernance. Malheureusement, on s’est rendu compte très vite que ce n’étaient que des annonces, qu’il n’y avait rien de sincère.
Dans la situation actuelle, le scénario qui se présence est celui du Tchad. Il ne faut pas que les Guinéens se leurrent, Mamadi Doumbouya est soutenu par la France, il est issu de la mafia Françafrique et ça complique les choses.
Lesnouvellesafrique.info : Le gouvernement de transition est là depuis 2022. Les élections étaient prévues en 2024. Le Premier ministre a annoncé qu’elles ne pourraient avoir lieu qu’après 2025. Que comprend-on de la nouvelle posture des autorités de transition ? Sont-elles prêtes à céder le pouvoir ?
Aissatou Baldé : Tout porte à croire que les militaires au pouvoir ne sont pas prêts à céder le pouvoir. D’abord au départ ils ont nommé un Premier ministre, Mouhamed Beavogui qui a vite compris que ce sont des gens qui ne sont pas venus travailler. Lui, étant un fonctionnaire international de carrière, il est parti sans faire de bruit. Ils ont outrepassé le calendrier qui a été fixé avec la Cédéao sur la fin de la transition. Et pour retarder la date de la transition, ils ont posé des des actes tels que le brouillage des médias, en emprisonnant les voix discordantes. Il y avait donc assez de signes qui laissaient pressentir qu’ils ne sont pas venus pour partir. S’ils avaient l’intention de partir, la première chose qu’ils auraient faite, c’est de mettre en place une constitution. Hélas, jusque là, les Guinéens ne connaissent pas les tenants et les aboutissants d’une constitution future. Ils ont relégué tout cela aux oubliettes. Le dialogue inclusif qui a été lancé en fanfare n’a abouti à rien, car non seulement tous les partis politiques n’étaient pas présents, pire, Ils ont muselé la classe politique et la société civile, emprisonné des acteurs clés de l’opposition et contraint d’autres à l’exil.
Du coup, ce n’était pas du tout facile pour l’opposition de se mobiliser. Ils ont dissout le Front national pour la défense de la la Constitution – FNDC. Les militaires ont ensuite fait venir un politicien de carrière, Bah Oury. La position de la junte, elle est claire. Le gouvernement de transition est un gouvernement fantôme qui n’a aucun pouvoir de décision sur la marche du pays.
Bah Oury à été nommé pour faire comprendre aux guinéens qu’ils ne sont pas prêts pour partir.
Lesnouvellesafrique.info : Les médias les plus écoutés par les guinéens sont réduits au silence avec le retrait de leur licence. Comment comprendre une telle démarche ?
Aissatou Baldé : il y aura des élections – sans doute- Mamadi Doumbouya sera candidat. Donc, il sera question de légitimer sa candidature d’où la nécessité de verrouiller les médias. Les groupes de presse dont les licences ont été retirées sont des médias qui pèsent sur l’échiquier médiatique et qui ont beaucoup plus d’influence sur la population. Du coup si on ferme ces médias, on réduit tout le monde au silence parce que l’opposition est émiettée et c’est la presse qui jouait en quelque sorte le rôle de l’opposition. Donc la junte agit ainsi pour pouvoir dérouler son programme, c’est-à-dire rester au pouvoir le plus longtemps possible.
Lesnouvellesdafrique.info : La société civile est vent debout contre tout report de la date de fin de la transition. Les autorités de la transition sont droit dans leurs bottes. Si chacun tire les ficelles, ne craignez-vous pas que les démons de la violence resurgissent en Guinée ?
Aissatou Baldé : Oui c’est cela, en effet. De toute les façons, malheureusement, nous sommes dans une période de tension sociale et d’instabilité politique depuis au temps de Lansana Conté. Cela s’était apaisé un peu mais avec la venue d’Alpha Condé qui est d’ailleurs la source de la situation actuelle car il a refusé de partir par la grande porte à la fin de ses deux mandat en tripatouillant la Constitution pour se pérenniser au pouvoir.
Ce qui a conduit au coup d’Etat mené par Doumbouya. Oui les violences pourraient continuer parce que, à mon avis, la Guinée est à un moment où aucun espoir n’est permis. On a l’impression que personne n’ose mettre la pression sur Mamadi Doumbouya qui est un pion de la Françafrique.
Et si des puissances comme la France sont derrière lui, c’est clair qu’il va pouvoir rester. Et malheureusement, c’est le peuple qui va en pâtir parce que les guinéens ne sont pas prêts à se laisser faire. Il y a une charte de la transition qui a été élaborée par cette junte-là, il faut donc la respecter. Aujourd’hui, la lanterne de la population n’est pas éclairée. Le Premier ministre n’a pas donné les détails sur les raisons pour lesquelles les élections ne peuvent pas se tenir. Même sur le référendum constitutionnel dont le gouvernement fait état, il n’est même pas sûr qu’il aurait lieu. C’est dire que nous sommes dans l’impasse.
J’ai l’impression que la junte veut imposer l’anarchie parce que plus il y a le chaos, plus ils ont des arguments pour dire qu’ils vont rester pour stabiliser le pays. C’est inique, c’est perfide mais c’est malheureusement dans ce jeu là qu’ils sont.
Lesnouvellesafrique.info : Vous dites que la France est derrière Mamadi Doumbouya mais est-ce pour autant le peuple guinéen va se laisser faire ?
Aissatou Baldé : Il faut que le peuple guinéen prenne l’exemple sur le peuple sénégalais pour se lever et parler d’une même voix. Le défi actuellement, c’est comment rassembler les guinéens autour du projet de retour à l’ordre constitutionnel. Il faut que les guinéens se rassemblent pour faire comprendre à la junte qu’elle a fait le choix des ténèbres. Et le peuple s’érige en lumière pour éclairer la lanterne de la junte pour lui demander de partir de la façon la plus apaisée.
Lesnouvellesdafrique.info : Merci Mme Baldé
Aissatou Baldé : Merci à vous.